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La politique et la morale ne partagent pas le même lit
Ce sont les Grecs, rappelons-le, et plus précisément les Athéniens qui inventèrent, à l'orée du V' siécle av.J.C, la démocratie, le mot et la chose. Ce « gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple » selon la formule de Périclès, chef du parti démocratique d'Athènes, succéda au long règne de la tyrannie et ses méfaits.
Pour défendre leur précieuse conquête qu'ils savaient fragile et menacée, les Athéniens s'outourèrent de beaucoup de précautions et multiplièrent les dispositifs légaux de nature à décourager toute tentative de rétablissement de la tyrannie honnie. Le plus connu de ces dispositifs est l'ostracisme. Il consistait à éloigner de la Cité pour une période de dix ans tout homme dont l'influence ou les actes étaient jugés dangereux ou menaçaient le régime démocratique.
Cette mesure infamante était individuelle, exceptionnelle et décidée par vote suite à un procès instruit en public devant l'Ecclésia, institution phare de la démocratie directe qui réunissait tous les citoyens.
La démocratie moderne qui s'inspira de la démocratie antique ne retint pas cependant l'ostracisme dans la panoplie de ses mécanismes de prévention le jugeant sujet aux surenchères, aux passions et à la démagogie.
Nos constituants s'apprêtent à discuter, librement et en âme et conscience comme à leur habitude, un projet de loi supposé « bétonner » la révolution contre les hommes du régime déchu. Il faut être aveugle et sourd pour ne pas saisir la tromperie qu'il y a derrière cette intention affichée. Ce n'est pas être divin que de dire qu'il s'agit là d'une tentative misérable d'éliminer, sans autre forme de procès, des adversaires politiques et de réduire à néant toute possibilité d'alternance démocratique au pouvoir.
Cet ostracisme collectif qui confine à l'apartheid politique réfère à un précédent historique de triste mémoire. C'est la Révolution française dans ce qu'elle avait de plus sombre qui nous le fournit.
En 1793, la rivalité entre les deux grands partis de la Convention, Girondins et Montagnards, est à son paroxysme. Robespierre, l'homme fort des Montagnards. Et figure marquante des Jacobins, conseilla à ses amis d'exciter le zéle du peuple « pour, dit-il, exterminer légalement nos ennemis ». Sous la pression populaire la Convention vota l'arrestation de 29 députés girondins accusés d'être les « foulouls » et les « azlam » de l'Ancien Régime et de préparer la restauration de la Monarchie abolie au détriment de la République fraîchement établie.
Tous furent guillotinés le 31 octobre 1793. Ce massacre politique inaugura la phase la moins glorieuse de la Grande Révolution , celle de la Terreur institutionnalisée et du pouvoir tyrannique de celui qui passait pour « Incorruptible », Robespierre.
Certains historiens voient dans cet épisode sinistre une résurgence, en plein siècle des Lumières, de l'esprit d'Inquisition et d'intolérance. D'autres y détectent des signes pré-totalitaires que le XX ' siècle portera au sommet de leur expression à travers les totalitarismes de droite comme de gauche, et dont la caractéristique essentielle, consubstantielle, est la liquidation des adversaires politiques. Par tous les moyens.
Et, pour finir, une question na?ve. Est-il moralement permis aux victimes du despotisme d'agir comme leurs bourreaux et de commettre l'injustice après l'avoir subie ?
Les cyniques répondront que la politique et la morale ne partagent pas le même lit. Soit ! Mais peuvent- ils nous dire comment naissent les Révolutions ?
Par Hayy Ibn Yaqdhan