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Egypte: il faut se méfier d'un retour des militaires
L'armée est acclamée par les Egyptiens, pourtant il n'est pas sûr qu'elle ait tiré la leçon de ses erreurs passées.
Les agitations de dernière minute n'y feront rien: des millions d’Égyptiens réclament, depuis une semaine, la chute des Frères musulmans.
Mardi soir, la tension était palpable dans les cafés du Caire, depuis lesquels on pouvait suivre le discours de Mohamed Morsi, retransmis à la télévision. Plus tôt, des millions de personnes ont manifesté dans différentes villes du pays pour exiger le départ du président. Dans la capitale égyptienne, ils étaient des milliers à converger sur la place Tahrir et les abords du palais présidentiel, à Heliopolis.
Morsi aux abois
Dans son discours à la télévision, Morsi n’a convaincu que les siens. Il a martelé que des élections libres et équitables lui avaient confié une responsabilité qu’il n’était pas près de céder. Tout cela au nom de la légitimité des urnes. Il a affirmé être prêt à se sacrifier pour préserver sa légitimité. Autrement dit, il n’est pas question de quitter ses fonctions d’ici l’expiration de l’ultimatum fixé par l’armée ce mercredi après-midi.
«Chez les Frères, c’est l’autisme qui prévaut, remarque Sophie Pommier, spécialiste de l’Egypte et enseignante à Science-po Paris. Les discours de Mohamed Morsi rappellent ceux d’Hosni Moubarak pendant les mouvements de janvier 2011. Or les Frères musulmans ne peuvent plus ignorer ce qui se passe dans la rue. Le rapport de force leur est défavorable.»
Malgré ce constat d’échec, les Frères musulmans sont-ils prêt à lâcher un pouvoir qu’ils ont arraché au prix de décennies de lutte politique? Cela voudrait dire qu’ils retourneraient dans l’opposition et renonceraient à leur statut de «gardiens de la révolution égyptienne».
Les deux derniers discours du président Mohamed Morsi en disent long sur la stratégie des Frères depuis plusieurs mois: se crisper, tout en criant au loup Feloul (représentant de l’ancien régime). Le sentiment d’être dans une forteresse assiégée peut conduire la confrérie à s’accrocher au pouvoir, quitte à jouer la carte de la violence avant celle des négociations politiques.
Le spectre de 2011
Les militaires égyptiens, qui ont lancé un ultimatum de quarante-huit heures aux partis politiques du pays, seraient prêts, selon le quotidien al-Ahram, à suspendre la Constitution, dissoudre le Parlement et confier le pouvoir à un «conseil intérimaire» majoritairement civil en cas d’échec.
L'armée se pose une nouvelle fois en garante de la stabilité et de la révolution. Un air de déjà vu: le 11 février 2011, c’est l’armée qui avait pris les commandes du pays à la suite de la démission d’Hosni Moubarak. Or, comme le rappelle Sophie Pommier, l’expérience militaire s’était soldée par un fiasco.
«Certains ont la mémoire courte. Les militaires sont acclamés comme des sauveurs, or l’armée c’est aussi Maspero, les tests de virginité, une répression meurtrière. Si de nouveaux visages ont émergé, il n’est pas sûr que l’armée ait tirée des leçons de ses erreurs passées.»
Une solution politique
Si Mohamed Morsi démissionne sous la pression de la rue et des militaires, un gouvernement de technocrates chapeauté par l’armée pourra-t-il assurer la transition? Les Frères musulmans demeurent, malgré leur incompétence, la première force politique organisée du pays.
Fort d’une machine électorale bien rôdée, le parti Liberté et Justice, la vitrine politique des Frères musulmans, avait gagné les élections législatives puis présidentielle.
«On ne peut plus marginaliser les Frères musulmans comme aux temps de Moubarak, analyse Sophie Pommier. La solution politique nécessite une participation des Frères musulmans.»
Alors que l’ultimatum est sur le point d'expirer, plusieurs scénarios émergent. Soit, les Frères musulmans plient et cèdent à la pression populaire, soit ils s’agrippent au pouvoir, au risque de plonger le pays dans le chaos.
Nadéra Bouazza
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