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Drapeaux libyens, le 22 août 2011. REUTERS/Osman Orsal
Drapeaux libyens, le 22 août 2011. REUTERS/Osman Orsal

Tripoli ne sera pas Bagdad

Bagdad a été l'échec sanglant de George W. Bush. L'opération Sirène pour prendre Tripoli ne doit pas déraper.

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Comment «tombe» une ville désormais? D’abord elle est encerclée, ensuite son dictateur ou son chef se replie dans un bunker secret, puis ses milices fuient et, enfin, la foule fait tomber la statue du Grand Frère, piétine ses portraits et abattent ses stèles et les frontons de son parti unique devant les caméras. Cela s’est passé ainsi, à Bagdad, en 2003. Hier, c’était le tour de Tripoli.

La nuit avait été longue pour les cathodiques du monde entier et ses internautes. A la pointe de l’info, quelques chaînes arabes qui ont déjà rodé leurs équipes pour les scénarios de chute des dictateurs de la région. L’opération Sirène, lancée pour abattre les derniers châteaux de Kadhafi, a été un succès presque total. La prise de la capitale libyenne ressemblait à la chute de Bagdad après les «Tempêtes du désert» et l’opération Iraqi Freedom, en épilogue d’une décennie de va-et-vient: effondrement brusque de l’armée régulière, fuites, rumeurs, captures de deux fils du Dictateur, images de liesse, libérations de milliers de prisonniers et un dernier discours criant à la victoire surréaliste, enregistré pendant les dernières minutes de pouvoir avec en appui, un ministre de l’Info loufoque, comme Saïd Essahaf l’Irakien, annonçant le retour de Saladin.

Peu à peu, il se révèle au spectateur qu’il s’agissait d’une véritable opération bien montée et finement ficelée, et non d’une attaque frontale classique. Le Saddam des lieux n’a pas été encore capturé et il semble se replier lui aussi vers le scénario du trou de Tikrit, en attendant sa capture, barbe hirsute et regard fou.

La prise de Tripoli ne doit pas déraper

Pourtant, malgré les ressemblances de façade, la différence entre Bagdad et Tripoli est immense. L’un était un échec; l’autre se devait d’être une réussite. Pour les révolutionnaires de Benghazi, un bain de sang, une pendaison hâtive du dictateur seraient un mauvais épilogue pour glorifier leur guerre de libération. Le retentissement de leur «barbarie» dans le monde entier aurait été immense dans ce cas. La prise de Tripoli se devait d’être propre, sans sang ni violence.

Le président du Conseil national de transition (CNT) prendra soin de rassurer les habitants de la capitale sur leurs vies et leurs biens, deux jours avant les opérations. La com’ prendra en charge la diffusion d’informations sur l’aide apportée par les officiers de Kadhafi pour «ouvrir» les portes de la ville et faciliter sa libération, et sur la liesse de la population locale —que l’on pouvait accuser de crime antirévolutionnaire parce qu’elle a tardé à se soulever contre le dictateur.

L’échec de Bush en Irak et sa méthode western, digne des temps sauvages, se retrouve d’autant plus évoqué que la prise de Tripoli semble s’être faite sans massacre et sans grosse mise en scène, comme celle où l’on a vu une foule soi-disant rémunérée pour jouer le jeu hollywoodien de la Défense américaine «abattre» la statue de Saddam.

Plus prompt à faire les choses dans les règles, le CNT a même promis de remettre à la Cour pénale internationale Seif al Islam, le fils de Kadhafi, capturé dimanche 21 août. De quoi ne pas se salir les mains avec une séance de pendaison à la chiite pour Saddam, ou créer une fausse tension à la Moubarak, arrivé à son procès sur son lit de malade. C’est la solution qui semble avoir été retenue pour liquider le cas du Colonel après sa capture et s’en débarrasser dans les formes de la nouvelle légitimité.

Le spectre de la guerre civile

Le souci? Ne pas entamer la nouvelle époque par des tensions entre tribus et régions dans un pays sans institutions fortes. Un dérapage lors de la chute de Tripoli, des vengeances ou des expéditions punitives seraient l’amorce de la vraie guerre civile dont menaçait le dictateur de Tripoli dans ses premières sorties télévisées.

Le cas de Bagdad et ses attentats incessants, ses voitures piégées et sa gouvernance par la Zone verte et ses hauts murs bétonnés a été un mauvais exemple qu’il s’agissait d’éviter.

«Tripoli ne sera pas Bagdad», expliqueront des porte-paroles du CNT et des révolutionnaires, depuis samedi 20 août sur les ondes d’Al Jazeera ou Al Arabiya. De quoi démontrer encore une fois, s’il le faut, que Bush a été le pire stratège du monde pour démocratiser le monde arabe et abattre ses dictateurs.

La version méga du Grand Moyen-Orient est en train de naître, mais sans les scénaristes des conservateurs américains des deux mandats de W. Bush, sans cinéma pour indigènes libérés. La différence a donc été creusée entre l’opération Iraqi Freedom, dont le sable n’est pas encore retombé, et l’opération Sirène, nom du jour J pour une Tripoli presque libre et dont le chant a trompé l’auteur du livre vert et ses appels à purifier la Libye «Zenga Zenga», c'est-à-dire quartier par quartier. C’est d’ailleurs ce qui semble rester au Colonel: un dernier quartier.

La Chute de Tripoli? Un moment qui semble faire oublier la blessure de la chute de Bagad et même, plus loin, l’humiliation de la chute de Grenade, il y a des siècles. Pour une fois, une capitale tombe mais… entre de bonnes mains. En attendant la suite, tout de même.

«La chute d’El Gueddafi prouvera une nouvelle fois que la révolution arabe n’est pas un phénomène passager et que les peuples arabes sont désormais des acteurs de l’histoire. Les dictateurs voleurs sont en train de tomber un à un. Ce n’est que justice. Au suivant…», concluait un éditorialiste algérien aujourd’hui, lundi 22 août.

Kamel Daoud

 

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Kamel Daoud

Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).

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