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Malgré sa mobilisation, l'opposition politique burkinabè peut-elle faire bouger les lignes ?
Ils sont venus. Ils sont tous là. Norbert Michel Tiendrébéogo (FFS), Alphonse Ouédraogo (URD), Bruno Nabaloum (ADR), Clément Toubé Dakuyo (UDD), Ouindlassida François Ouédraogo (RDS), Ablassé Ouédraogo (Le Faso Autrement), Boly (CNPB), Ibrahim Ouattara (GDR), Paul Yaméogo (MDD), Joseph Ouédraogo (UPS/MP), Fidèle Hien (CDN), Me Bénéwendé Stanislas Sankara (UNIR/PS), Claude Ouédraogo (MPS), Modou Yé (UFP), Rasmané Congo (MPD), Hama Arba Diallo (PDS/Metba), Fatoumata Tiendrébéogo (PDP/PS), Evra Sorgho (PNDS), Philippe Ouédraogo, Boukari Kaboré « Le Lion », Saran Séré Sérémé (PDC)...
Et, bien sûr, Zéphirin Diabré (UPC), « chef de file de l'opposition politique », le CFOP-BF dans le jargon burkinabè (cf. LDD Burkina Faso 0357/Mercredi 24 avril 2013). Ils sont venus. Ils sont tous là. Place de la Nation à Ouagadougou. Nous sommes le samedi 29 juin 2013. Et la grande marche de protestation à laquelle à appelé Diabré, le CFOP-BF, voici quelques semaines déjà, peut s'ébranler.
La Place de la Nation, ce n'est pas la Place Tahrir au Caire ou la Place Taksim à Istanbul. Ouagadougou, ce n'est pas Rio de Janeiro ou Sao Paulo. La meilleure preuve en est qu'à Tahrir, Taksim et partout ailleurs où les populations font vaciller le pouvoir (et parfois même l'ont fait tomber), les manifestants interdisaient l'accès aux partis et à leurs leaders. A Ouaga, Place de la Nation, il y avait profusion de partis et de leaders. Ce qui tend à prouver que ni les uns ni les autres n'ont compris le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui. Un monde caractérisé par la « crise de la représentation politique », autrement dit des classes politiques qui ne servent à rien, inefficaces et dont les « tendances mafieuses » sont désormais avérées.
Noël Mamère, le député d'Europe Ecologie Les Verts (EELV) de la Gironde, maire de Bègles, a annoncé le 12 juin 2013, qu'il abandonnerait son mandat national en juin 2014 pour ne se consacrer qu'à son mandat local. Elu national, dit-il, cela ne sert plus à rien. Un avis que partagent les Français (d'où leur désaffection pour les consultations électorales) : ce qu'ils veulent, d'abord, c'est de la « compétence » (avant même « l'honnêteté »). Or, la compétence, ce n'est pas vraiment l'image que véhiculent les responsables politiques (l'honnêteté non plus d'ailleurs).
Partout dans le monde, le diagnostic est le même. Et à Ouaga, même Ablassé Ouédraogo le dit : « Notre pays n'a pas besoin de réformes institutionnelles. Nous avons besoin de développement ». Sauf qu'il était Place de la Nation, ce week-end, aux côtés de tous ceux qui pensent encore que ce sont les partis et leurs leaders qui sont maîtres du jeu politique. Or ce n'est plus vrai.
Bien sûr, la « marche » du 29 juin 2013 a été une réelle réussite de mobilisation dans la capitale et quelques villes de province. L'Observateur Paalga écrivait ce matin (lundi 1er juillet 2013) qu'il « faut remonter à la phase éruptive de l'affaire Norbert Zongo pour voir pareil monde prendre d'assaut la rue. Ou, plus loin encore dans le temps, à l'époque de la CFD réclamant la tenue d'une conférence nationale* ».
La question posée aujourd'hui est de savoir qui sera capable, de l'opposition ou du pouvoir, de capitaliser politiquement sur le malaise qui mine le moral de la population burkinabè. Capitaliser car ce qu'il faut éviter, aujourd'hui, c'est l'éruption d'une crise « spontanée » comparable à celle qui en 2011 aurait pu mettre par terre le Burkina Faso s'il n'avait pas été ce qu'il est.
Il ne faut pas se leurrer. La classe politique (opposition + pouvoir) a perdu sa crédibilité ; et les partis sont des machines à faire carrière. Sauf que les nouveaux mouvements sociaux que l'on constate partout, aujourd'hui, dans le monde - encensés par les commentateurs comme étant « sans leader, sans parti, sans programme » - fondés sur la mise en ½uvre d'une « masse critique » rameutée par les réseaux sociaux, permettent de faire tomber les régimes mais pas d'en ériger de nouveaux. Tunis, Tripoli, Le Caire l'attestent. En Egypte, Mohamed Morsi, un an après son élection « démocratique », est contesté par la rue comme l'avait été son prédécesseur, Hosni Moubarak. Ce qui oblige à se poser un certain nombre de questions dès lors que l'armée devient la variable d'ajustement selon qu'elle bascule du côté de la rue ou du côté du pouvoir.
Au Burkina Faso, comme ailleurs dans le monde, la situation sociale est tendue. Pour des raisons tout autant économiques que politiques. Plus exactement, par le fait qu'il y a désormais connexion (pour ne pas dire collusion) entre le monde politique et le monde des affaires. C'est, hélas, dans l'air du temps et la France (parmi d'autres pays « démocratiques » et « libéraux ») en atteste en ce moment ; le fait que François Hollande ait pris la suite de Nicolas Sarkozy ne change pas grand-chose aux « affaires » (Cahuzac = Tapie).
Au Burkina Faso, quand à Ouaga 2000 un coupé sport Maserati (150.000 euros, au moins, prix neuf, en France), vous dépasse et que vous constatez qu'il n'a pas de plaque d'immatriculation, vous vous posez des questions. C'est Diabré qui donne la réponse : « Notre économie est devenue la propriété d'un clan au c½ur du pouvoir, composé de parents, d'amis, et d'obligés. Beaucoup de membres de ce clan sont devenus des opérateurs économiques prospères, non pas par leur génie entrepreneurial, mais par le simple fait qu'ils sont les attributaires des marchés octroyés à chaque conseil de ministres. Ce sont les mêmes qui bénéficient de passe-droits auprès des services des douanes et des impôts ou ils ont placé des hommes à leur dévotion, et qui, sous le couvert de prête-noms, exploitent notre or en complicité avec les multinationales étrangères, etc. »**
La charge de Diabré étonnera. Non pas que le diagnostic soit faux (même s'il caractérise tous les pays de la planète, les plus riches comme les plus pauvres) mais parce qu'il vient tout à la fois du monde politique et du monde des affaires (plus encore au sein d'une multinationale minière : AREVA) et qu'il ne nous a pas habitué à cette radicalité dans le langage.
On se souvient que lorsqu'il s'était lancé en politique avec le Rassemblement populaire des citoyens (RPC), il ne voulait être qu'une force de « propositions ». C'est la faute au calendrier politique burkinabè : prochaine échéance politique à l'automne 2015. Mais d'ici là doit être mis en place un Sénat dont personne ne voit l'utilité tandis tout le monde veut y voir une « manip »***. Il s'agirait, in fine, d'aboutir à la suppression de l'article 37 de la Constitution qui limite le nombre de mandats présidentiels.
La situation sociale est une préoccupation de la population ; et le Sénat est perçu comme une dépense inutile. L'article 37 est une préoccupation des politiques. Pour la population, l'alternance doit être en vigueur... par principe même si elle n'espère pas que l'opposition fasse mieux que l'actuel pouvoir (dont globalement le bilan n'était pas, jusqu'à présent, jugé négatif malgré ses dérives « affairistes »).
Pour les politiques, c'est empêcher leur accession au pouvoir en 2015. La question est aujourd'hui de savoir si l'opposition pourra déborder le pouvoir sur cette question ; ou si la situation sociale ne débordera pas et n'engloutira pas l'ensemble de la classe politique, pouvoir et opposition confondus.
* La Coordination des forces démocratiques (CFD) a été fondée le 4 septembre 1991 par le rassemblement de 14 puis de 17 partis pour exiger l'organisation d'une conférence nationale souveraine. Quelques jours plus tard, le 30 septembre 1991, elle fera une démonstration de force sur la Place de la Révolution (aujourd'hui Place de la Nation).
** « L'appel à la mobilisation de l'UPC », Le Pays, mardi 25 juin 2013.
*** Il faut dire que les propos des « défenseurs » du projet de Sénat ajoutent à la suspicion. Ainsi l'ancien député, ancien ministre des Affaires étrangères, Alfred Kaboré, a écrit dans Sidwaya (vendredi 28 au dimanche 30 juin 2013) que « le Sénat, au Burkina Faso comme ailleurs, est une autre façon de récompenser, d'encourager et d'utiliser des compétences et des valeurs « avant que les choses ne les quittent » et que la vieillesse puis la mort ne les précipitent dans l'oubli ».
Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique