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Un Français peut-il diriger des Fennecs?
Alignant les défaites, l'équipe algérienne de football vient de recruter un nouvel entraîneur, le Franco-Bosniaque Vahid Halilhodzic. Un choix qui ne fait pas plaisir aux nationalistes, l'Algérie ayant une longue tradition d'entraîneurs du cru.
750.000 euros par an pour un contrat sur trois ans, ce sont les termes de la dernière acquisition de l'Algérie, un pays qui importe beaucoup, près de 40 milliards de dollars par an en biens et équipements. L'Algérie est le premier importateur africain de denrées alimentaires, d'armes et de médicaments, premier importateur mondial de blé dur et premier importateur tout court du Maghreb.
Après la récente humiliation contre le frère ennemi du Maroc (0 à 4), puis contre la Zambie (0 à 2), la FAF, Fédération algérienne de football, vient d'embaucher le Franco-Bosniaque pour mettre un terme à la longue série noire, avec deux objectifs: une qualification à la coupe d'Afrique des nations en 2013 et à la coupe du monde en 2014.
Le premier ministre Ahmed Ouyahia, du courant nationaliste RND (Rassemblement national démocratique), a immédiatement désapprouvé ce choix en avouant publiquement préférer un entraîneur algérien. Ce à quoi les commentateurs de la presse privée ont vite répondu qu'en temps de crise politique, il ferait mieux de s'occuper d'autre chose que de football. Malgré une bonne partie de sa vie passée en France et sa nationalité française, Vahid Hallilovic, ex-star du Paris Saint-Germain, est qualifié de Bosniaque par les officiels, qui ont pris soin de sous-entendre que bosniaque, cela signifie qu'il est musulman, et qu'il n'y a pas d'étrangeté spécifique dans le choix de cette étrangeté sportive.
Agé de 59 ans, Vahid Halilhodzic vient de remporter le championnat et la Coupe de Croatie avec son club, le Dynamo Zagreb, qu’il a mené à la Champions League Européenne (UEFA) pour cette année. Il a été le sélectionneur de la Côte d’Ivoire, qu’il a qualifiée pour la Coupe d’Afrique des Nations, en 2012, et la Coupe du Monde de 2010. En 2001, il est élu meilleur entraîneur de la Ligue 1 française. Il a remporté la Coupe de France en entraînant le PSG en 2004 et a même entraîné le Raja de Casablanca (Maroc) et remporté le championnat et la Coupe d’Afrique des clubs champions de la Confédération africaine de football (CAF). Un bon CV, mis à part qu'il est Français.
Joueurs noirs et entraîneur blanc
Opposée au «coaching blanc» et farouchement souveraine, l'Algérie a (presque) de tous temps fait appel à des compétences locales, contrairement à la pratique généralement en vigueur en Afrique, où l'on recrute des techniciens étrangers. A l'image du Maroc, dont la sélection est coachée par le Belge Eris Gerets, les grandes équipes du continent importent eux aussi des étrangers: le Cameroun avec son entraineur espagnol Javier Clemente, le Ghana avec le Serbe Goran Stefanovic ou la Zambie avec le Français Hervé Renard. C'est d'ailleurs un débat dans l'Afrique du football, les entraîneurs étrangers sont supectés d'avoir fait rater au continent la dernière coupe du monde 2010, et remettent en cause ces pratiques.
Le Nigeria avait un Suédois Lars Lagerback, le Cameroun un Français, Paul Le Guen, le Ghana un Serbe, Milovan Rajevac et la Côte d'Ivoire un autre Suédois sur le continent noir, Sven-Goran Eriksson, l'Algérie étant le seul pays africain lors de ce dernier Mondial à avoir un entraîneur africain, Rabah Saâdane en l'occurrence, sorti de l'école algérienne.
Mais au moment où les Africains commencent à inverser cette tendance avec l'Ivoirien Lama Lamba qui prend les rênes des Eléphants de Côte d'Ivoire, le Nigeria coaché par Shaibu Amodu (nigerian) et le onze de Tunisie dirigé par Sami Trabelsi (tunisien) —ce dernier n'a rien à voir avec la belle-famille de l'ex-dictateur Ben Ali—, l'Algérie, elle, "importe" un Français, d'origine bosniaque. M. Raouraoua, le tout puissant patron de la Fédération algérienne en a décidé ainsi. Preuve que le football est éminement politique dans ce pays, la Commission Bensalah, chargée de recevoir des personnalités politiques et des partis pour désamorcer la crise et engager de sérieuses réformes en Algérie, a récemment invité à ses réunions M. Raouraoua, celui-là même qui a fait venir Valid. Cette sollicitation en a étonné plus d'un. Le patron de la FAF aurait-il un avis à donner sur les réformes politiques? La nomination de Halilhodzic serait-elle liée au rapprochement algéro-français?
Balle au rebond du passé
Dans tous les cas, il reste la mémoire, pas celle des relations tumultueuses entre l'Algérie et la France, mais de la plus belle prestation de l'Algérie en Coupe du Monde. C'était en 1982 en Espagne, un Mondial auquel participait Valid Halilhodzic en tant qu'attaquant de l'ex-Yougoslavie, depuis démembrée. L'Algérie avait été éliminée au premier tour mais tout en gagnant deux matches, contre l'Allemagne (2 à 1) et le Chili (3 à 2) et uniquement avec des joueurs d'Algérie. Elle avait été éliminée après un arrangement honteux entre l'Allemagne et l'Autriche, quatrième équipe du groupe, ce qui avait poussé la FIFA à revoir l'organisation du premier tour, avec des matchs se tenant simultanément pour éviter ce genre d'opérations.
La prestigieuse équipe algérienne était entraînée par un Algérien, Mahieddine Khalef, aujourd'hui consultant sur les chaînes de sport d'Al Jazeera. Il est vrai, Khalef était aidé d'un entraîneur russe, Rogov. Mais c'était avant la chute du mur de Berlin. Ça change tout.
Chawki Amari