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Ngâbo sur la scène des Francofolies de Montréal. ©Stéphanie Trouillard
Ngâbo sur la scène des Francofolies de Montréal. ©Stéphanie Trouillard

Ngâbo, l'ingénieur de mélodies

Avec son premier album éponyme, Ngâbo marie l’électro et les sonorités africaines. Une pop endiablée aux accents français, anglais et swahili. Ce Montréalais né en République démocratique du Congo séduit le public avec son jeu de scène débridé.

En ce mois de juin, le soleil de Montréal n’est toujours pas au rendez-vous. De la pluie et du froid accueillent les festivaliers des Francofolies. Quelques courageux ont bravé les éléments pour assister au show de Ngâbo. Heureusement pour eux, le chanteur montréalais d’origine congolaise va vite réchauffer l’atmosphère.

Tresses sur la tête, colliers de perles cousus sur son pull, et voile noir d'une jeune mariée, le petit nouveau de la scène québécoise a déjà tout compris à l’art du spectacle. Pour sa première grande représentation, Ngâbo donne tout. Il bondit d’un coin à l’autre, hurle dans son mégaphone, fait voltiger un parapluie, fracasse un tambour et finit même torse nu.

«Je n'ai pas calculé ce mélange»

«Je n’aime pas les espèces d’artistes qui montent sur scène en tee-shirt et en jean. Les chansons peuvent être super bonnes, mais j’aime ça quand un chanteur arrive à t’emmener quelque part. J’ai envie d’offrir un côté théâtral aux gens qui prennent la peine de venir me voir», explique le jeune auteur-compositeur-interprète de 31 ans.

Pourtant dans la vraie vie, Ngâbo n’a rien d’une bête de scène. Quand il répond aux questions, ses mots sortent dans un murmure. Avec sa belle gueule et son air un peu gêné, il paraît même timide.

Christian Ngabonziza de son vrai nom, va devoir s’habituer pourtant aux honneurs. Son premier album, sorti en mai dernier, est déjà l’une des révélations de l’année au Québec. Un mixe détonnant de beats électroniques et de rythmes africains:  

«Je n’ai pas calculé ce mélange. Les gens pensent que c’est une décision consciente de vouloir garder un côté africain, mais c’est simplement ça qui est sorti. Cela fait vraiment partie de ma construction. C’est mon identité».

Une rencontre musicale entre l’Amérique et l’Afrique que Ngâbo a voulu avant tout festive:

«Le continent africain est toujours montré d’un côté négatif: les guerres, le sida, la pauvreté. C’est important de le dire et de le répéter, mais je n’avais pas envie de porter cette lourdeur. J’avais envie de représenter un coté africain plus joyeux et plus poétique».

La musique pour fuir la guerre civile

Une facette colorée pour oublier peut-être des souvenirs douloureux. Avant d’immigrer au Canada il y a onze ans, le jeune artiste a vécu en plein cœur de la guerre civile congolaise à la fin des années 90. Né à Goma, le chef-lieu de la province du Nord-Kivu en RDC, situé tout près de la frontière rwandaise, il a assisté de près aux conséquences du génocide:

«les gens qui ont perpétré les massacres au Rwanda, les Hutus, se sont réfugiés au Congo dans des camps», raconte Ngâbo, «comme l’ancien dictateur Mobutu était très vieux et malade, il n’y avait pas vraiment de gouvernement. Comme c’était chaotique, les réfugiés en ont profité pour former des groupes militaires. Mon peuple Tutsi s’est senti alors menacé et a commencé une rébellion pour se protéger».

Alors que les frères de Christian sont enrôlés dans l’armée, ses parents décident de lui payer un aller simple pour le Canada:

«j’ai été celui qui a été envoyé ici. Je n’avais pas assez de sang-froid et d’instinct guerrier. Un de mes frères était déjà parti au combat et c’était très dangereux. Beaucoup sont morts»

À tout juste 20 ans, le jeune réfugié démarre une nouvelle vie. Il se plonge alors dans sa passion, la musique:  

«Elle a toujours été présente dans ma vie. Quand j’étais petit, ma famille était très religieuse. Mon père nous faisait chanter dans la chorale de l’église».

De l’autre côté de l’Atlantique, Ngâbo découvre le monde musical anglophone:  

«J’ai eu une sorte de renaissance avec des groupes comme Radiohead, Beck, Tom Waits, Coldplay et Joy Division. Je ne parlais pas anglais du tout, mais j’apprenais en écoutant les morceaux».

Dans son coin, sans en parler à personne, il s’équipe de logiciels de musique et commence à composer: «Je ne joue d’aucun instrument. Je ne suis pas allé au Conservatoire et je ne sais pas lire la musique. J’avais peur qu’on se moque de moi. Je faisais tout tout seul, mais j’ai commencé à me dire qu’il y avait peut-être du potentiel». Aujourd'hui, il utilise naturellement Internet et ses réseaux comme MySpace, pour diffuser sa musique. 

Dans son dernier clip, Camarade Dominike, Ngâbo alterne entre le français et l'anglais et mélange avec une certaine évidence, les sonorités africaines aux nouvelles technologies. Il avoue ainsi être tombé par accident dans l’électro:

«C’est la seule façon de faire de la musique vite. Tu as les percussions, les synthétiseurs, toutes sortes de guitare. C’est infini!».

Autodidacte, il se considère comme «un ingénieur de mélodies». Accompagné aujourd’hui par un groupe au complet, Ngâbo a déjà collaboré avec des grands noms de la scène québécoise comme Ariane Moffatt et Jérôme Minière. Une carrière qui s’annonce prometteuse. Un destin qui s’est joué à un billet d’avion:

«Si j’étais resté en Afrique, est-ce que j’aurais aimé faire de la musique?», s’interroge Ngâbo. «Ce départ a complètement changé ma vie!»

Stéphanie Trouillard

 

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Stéphanie Trouillard

Stéphanie Trouillard. Journaliste française spécialiste du Maghreb et du Canada.

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