mis à jour le

Vers un combat des chefs sur la Grande Île
Andry Rajoelina et les forces de l'ordre à Madagascar durcissent leur position dans la perspective d'un retour annoncé du président déchu Marc Ravalomanana.
Branle-bas de combat à Madagascar. Après le sommet des chefs d’Etat de la Communauté de Développement d'Afrique Australe (SADC) de Sandton sur la crise malgache, qui s'est déroulé du 11 au 13 juin 2011, plusieurs voix du régime de la Haute Autorité de la Transition (HAT) sur la Grande Île ont affiché leur désaccord avec l’une des décisions majeures de cette organisation chargée d’une médiation internationale: le retour sans condition de Marc Ravalomanana, le président malgache déchu qui vit en exil en Afrique du Sud depuis 2009.
Fait remarquable, les premiers à avoir réagi officiellement sont les forces de l’ordre malgaches. Au lendemain du communiqué de la SADC, le chef d’état-major général de l'Armée Malagasy (Cemgam), ainsi que le commandant de la gendarmerie et le directeur général de la police à Madagascar sont imprudemment sortis de leur réserve pour lire une déclaration solennelle à la suite des décisions de Sandton.
L'avertissement des forces de l'ordre
Ces forces s’opposent au retour immédiat de Marc Ravalomanana. L’hostilité affichée par ces hommes en uniforme ne surprend pas. Le chef d’état-major actuel de l’armée, André Ndriarijaona, avait pris la tête, avec une poignée d’officiers, d’une mutinerie qui porta finalement Andry Rajoelina au pouvoir. Plus intrigant est le point qui stipule que les forces de l’ordre s’engagent «à prendre toutes les dispositions nécessaires» pour empêcher le retour de Ravalomanana.
D’après leur déclaration, il faut s’attendre à un serrage de vis supplémentaire contre tous ceux qui seraient considérés comme des «fauteurs de troubles» et qui se rendraient coupables entre autres de «manifestations illégales sur la voie publique» en faveur du retour de l’ancien président, par exemple. La logique intransigeante des forces de l’ordre feint d’oublier que le régime de la HAT a vu le jour dans la rue en février 2009, au sein d’un mouvement d’opposition insurrectionnel.
Le rédacteur en chef de l’Express de Madagascar s’étonne de voir les militaires s’exprimer sur les décisions de la SADC avant même le «chef suprême des armées» Andry Rajoelina.
«On comprend très bien que les officiers qui furent les bourreaux de Ravalomanana aient du souci à se faire si jamais il revenait. De là à prendre publiquement position dans une déclaration lue avant celle du président de la HAT, on voit qu'il y a anachronisme. Pire, quand la déclaration est ni plus ni moins une prise de position politique qui exclut l'hypothétique neutralité de l'armée dans cette crise, son rôle de dernier rempart de la République, cela laisse perplexe.»
Le forcing des élections
La déclaration d’Andry Rajoelina a été faite le 14 juin, comme annoncé par les services de la présidence de la HAT. Elle se résume par un refus de suivre les nouvelles dispositions énoncées lors du sommet de Sandton.
«Andry Rajoelina déclare qu’il va poursuivre "sans conditions" l’application de toutes les dispositions de la feuille de route paraphée à Ivato le 9 mars [2011]», rapporte Madagascar-Tribune.
C’est qu’il avait tout misé sur cette feuille de route, paraphée par huit partis malgaches, tous favorables à la HAT.
Andry Rajoelina n’est prêt à aucune concession sur ce document qui lui va comme un gant. Il ignore les demandes d’amendements dont la SADC a reconnu la nécessité. Bref, TGV fait cavalier seul et poursuit sur la voie du forcing en plaçant adversaires et observateurs devant le fait accompli. Une méthode qui jusqu’à présent lui a réussi. Sauf que depuis sa prise du pouvoir, Madagascar est sanctionnée par la communauté internationale, qui lui a coupé ses aides non humanitaires.
Andry Rajoelina suit désormais un seul cap qu’il répète inlassablement: organiser au plus vite des élections, notamment présidentielles. A cet égard, sa candidature —bien que non déclarée officiellement— ne fait guère de doute. Le 17 novembre 2010, la HAT avait déjà organisé un référendum qui a vu l’adoption d’une nouvelle Constitution baissant l’âge d’éligibilité des candidats à la présidence. Une disposition sur mesure pour le jeune président de la HAT, âgé de 37 ans.
Si la tenue d’élections est perçue comme la principale option de sortie de crise vers un retour à la normalité constitutionnelle, elles ne garantissent pas pour autant un apaisement, tant les rivalités voire les rancoeurs entre les candidats et leurs partisans sont exacerbées après une crise de plus de deux ans.
Ravalomanana n'a plus peur
Un retour immédiat à Madagascar de Ravalomanana pourrait compromettre les plans électoraux de Rajoelina. Il pose directement le problème du statut de l'ancien chef d'Etat malgache: est-il un président déchu impliqué dans la sortie de crise politique, un condamné par contumace qui doit purger sa peine de travaux forcés à perpétuité, ou un candidat potentiel et favori à une élection présidentielle?
Visiblement, Ravalomanana croit en ses chances. Le 15 juin, il a de nouveau fait savoir qu’il rentrait, sans condition. On peut croire qu’il ne s’agit pas uniquement d’un effet d’annonce pour galvaniser ses troupes au pays, mais d’un sentiment que le rapport de forces lui est plus favorable —notamment avec l'accord de la communauté internationale.
Il est clair que le président déchu dispose d’un nombre non négligeable de partisans et qu’il forme avec les deux anciens présidents Zafy Albert et Didier Ratsiraka l’ossature du front anti-HAT. Néanmoins, rien n’indique que ce trio, improbable avant la crise, ait un projet ou une ambition commune pour l’avenir. Les alliances de circonstances qui se nouent et se dénouent de façon inattendue sont l’une des particularités de la classe politique malgache et, sans doute, un des facteurs de son discrédit.
Philippe Randrianarimanana