mis à jour le

RDC: la double peine des femmes violées
Plus de 200 femmes ont été violées le 11 juin lors d'une énième attaque dans l'est de la République démocratique du Congo. Beaucoup ont été répudiées ou sont marginalisées.
«Ils ont commencé par piller des biens, de l'argent et des médicaments à l'hôpital de Nakiele. Le soir, ils sont entrés dans les différentes maisons où les femmes et les filles mineures étaient en majorité restées seules pour les violer.»
Le coordonnateur national de l'ONG Arche d'Alliance, Baudouin Kipaka, raconte comment 150 hommes ont attaqué le 11 juin Nakiele, Kanguli et Abala, des villages du territoire de Fizi, dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC).
Les agressions sexuelles sont récurrentes dans cette partie du pays. Les victimes, principalement des femmes, mettent régulièrement en cause des éléments appartenant aux groupes rebelles ou aux Forces armées de la RDC (FARDC). Qu’en est-il du 11 juin? Les habitants ont attribué les exactions à des déserteurs de l'armée nationale emmenés par le colonel Nyiragire Kulimushi, alias «Kifaru». L’ancien milicien Maï Maï, qui s’est rendu depuis, avait démenti toute implication.
A l’arrivée des assaillants, la plupart des hommes avaient gagné la brousse pour ne pas être contraints de transporter leurs bagages. L’époux d’U., 29 ans, mère de quatre enfants, n’était pas parti très loin. «Le mari était caché dehors dans un champ lorsqu'on était en train de violer sa femme. Il entendait comme elle criait», indique un rapport du Comité de coordination des actions de paix (CCAP), basé comme Arche d’Alliance dans la province du Sud-Kivu, où se trouvent les trois villages.
«Il l'a chassée du lit, elle dort sur une natte»
Plus de 276 femmes auraient été violées ce jour-là. «Dont 72 à Kanguli, 135 à Nakiele et 69 à Abala», selon des rapports médicaux et des enquêtes d’ONG nationales et internationales cités par Baudouin Kipaka. Il ajoute qu’une «enquête judiciaire a été ouverte début juillet par le parquet militaire du Sud-Kivu» et qu’Arche d’Alliance a offert une assistance à 75 victimes ayant accepté de comparaître devant l’auditeur militaire, une sorte de procureur.
En apprenant l'agression de leur épouse, des dizaines d’hommes sont partis pour «une destination inconnue», laissant leurs femmes subvenir seules à leurs besoins et ceux des enfants. Certains ont même refait leur vie.
«Son mari est parti à Mukera, et on a informé son épouse qu'il a déjà une deuxième femme», lit-on dans le rapport du CCAP, qui relate aussi le témoignage d'une femme dont le conjoint «a déménagé chez [ses] autres épouses».
Quant aux chefs de famille restés au foyer, ils observent en majorité une séparation de corps. «Il ne passe plus la nuit dans la même chambre, il ne parle plus à son épouse et ne lui donne plus la ration», poursuit le rapport. L'histoire de cette mère de quatre enfants est représentative, d’après les 57 femmes âgées entre 18 et 50 ans qui se sont livrées.
«Il l'a chassée du lit, elle dort sur une natte», «La femme dort dans la cuisine et le mari dans la chambre», «Il dort sur le lit et la femme dort par terre».
Craignant le même sort, des épouses ont passé leur viol sous silence. En vain.
«Il y avait des évidences, commente François Mionda, secrétaire exécutif du CCAP. Des femmes violées par les militaires sont allées vomir, d’autres ont pleuré toute la nuit ou sont allées à l’hôpital sans présenter de signes de maladie, ce qui a éveillé les soupçons. Dans d’autres cas, les auteurs des viols avaient emporté tout ce qu’il y avait dans la maison, alors les maris ont compris ce qu’il s’était passé…»
Des femmes «consentantes»
Pourquoi cette stigmatisation?
«Lors des enquêtes menées à Nakiele, nous avons identifié 17 cas de femmes répudiées au motif que, conformément aux us et coutumes chez les Babembes, le viol est une cause d’indignité qui mérite cette sanction», explique Baudouin Kipaka.
Bien des maris considèrent aussi que leurs épouses n'ont pas été violées mais ont volontairement eu des relations sexuelles avec ceux qu'elles accusent de les avoir agressées. Le CCAP a recueilli plusieurs exemples:
«Il la gronde tout le temps [en lui disant] qu'elle est la femme de Kifaru», «Le mari a écrit à son épouse qu'il ne veut plus vivre [avec elle] ou la revoir dans sa vie parce qu'elle est devenue femme des militaires», «Il est devenu furieux. Il dit que comme elle a couché avec les Banyamulenge, elle ne peut plus être son épouse»…
Les hommes évoquent par ailleurs la peur de partager leur lit avec une femme peut-être contaminée par le virus du sida:
«J'ai vécu une situation similaire à Minembwe: les Banyamulenge qui avaient des armes disaient qu'ils allaient semer des maladies sexuellement transmissibles, confie A., 47 ans, l'un des dix hommes rencontrés par le CCAP. C'est pourquoi j'ai peur de me rapprocher de mon épouse sexuellement.»
Il se dit toutefois prêt à reprendre la vie conjugale si sa femme «passe le test des maladies transmissibles». Les ONG et associations savent qu’il n’est pas le seul à exprimer cette doléance, qu’elles prennent souvent en compte dans leur médiation pour la réconciliation des couples.
Habibou Bangré
A lire aussi
Aider enfin la RDC à sortir de la violence