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Braveheart selon Kadhafi
Les émeutes de Londres sont pain bénit pour la propagande revancharde du «Guide» libyen.
«Saddamisé» à l’extrême, reclus dans un Tora-Bora nord-africain, le colonel Kadhafi a opté depuis peu pour la méthode com’ d’Oussama Ben Laden: les enregistrements audio. Ce qui n’empêche pas le «Roi des rois» d’Afrique de garder un sens de l’humour surréaliste que son appareil de propagande, la télévision, exprime au mieux.
Le régime libyen, revanchard
C’est donc le plus sérieusement du monde que la télévision officielle libyenne a annoncé, jeudi 11 août, que le Premier ministre David Cameron avait fait appel à l’assistance de «mercenaires venus d’Ecosse et d’Irlande» pour mater le soulèvement de son peuple.
Et, toujours avec le même esprit revanchard, elle passera sous le bandeau «Breaking News», pendant une émission matinale de routine, l’info sur la présence de «révolutionnaires anglais» à quelques kilomètres seulement de la ville de Liverpool, après d’intenses combats avec les «Katibates [les phalanges armées, ndlr] de Cameron». L’info est ensuite conclue par un «Allah Ouakbar» triomphant.
Poursuivant son analyse, la voix expliquera que les troubles que vit l’Angleterre ne sont pas des «complots de services étrangers» comme c’est le cas, selon cette télévision, de ce qui se passe en Libye depuis le soulèvement des rebelles à Benghazi.
La veille, mercredi 10 août, c’est le gouvernement de Kadhafi lui-même qui s’est chargé de retourner la politesse au gouvernement britannique en demandant le départ de son Premier ministre, tout en expliquant que celui-ci avait perdu «sa légitimité».
«Cameron et son gouvernement doivent partir après les manifestations populaires contre eux et la violente répression exercée par leur police contre ceux qui ont participé à ces manifestations pacifiques», a déclaré le vice-ministre libyen aux Affaires étrangères, Khaled Kaaim, cité par l'agence officielle Jana. «Cameron et son gouvernement ont perdu toute légitimité», avait-t-il ajouté sans sourciller.
L’occasion était en effet trop belle pour ceux qui se présentaient comme victimes du retour en force des Anglais dans les affaires des dictateurs de tous bords, nombreux en Afrique. «Les autres gouvernements responsables exigent une enquête internationale et l’arrestation de David Cameron», conclura un blogueur admirateur de Kadhafi.
Chez certains éditorialistes arabes, le jugement est sévère:
«La corruption des élites politiques et policières, l'affaire Murdoch […] nourrissent la rancœur, chez les jeunes notamment. Et ce ne sont pas les aventures militaires extérieures ou les fastes déployés pour un mariage princier qui risquent de calmer l'exaspération des laissés-pour-compte.»
Fatwa contre la Suisse
Il y a quelques temps, en février 2010, le «Guide» fantasque avait eu l’idée d’appeler au djihad contre la Suisse au motif que ce pays interdisait la construction de minarets pour les mosquées:
«C'est contre la Suisse mécréante et apostate qui détruit les maisons d'Allah que le djihad doit être proclamé par tous les moyens», avait déclaré Kadhafi dans un discours à… Benghazi.
«Le djihad contre la Suisse, contre le sionisme, contre l'agression étrangère [...] n'est pas du terrorisme. Tout musulman partout dans le monde qui traite avec la Suisse est un infidèle [et est] contre l'islam, contre Mahomet, contre Dieu, contre le Coran», avait-il expliqué aux fidèles de cette époque bénite —et révolue.
Mais la vraie raison de la fatwa n’était pas l’affaire des minarets bien sûr, plutôt celle de son fils Hannibal arrêté en Suisse et placé sous mandat de dépôt pour mauvais traitements sur deux employés de maison.
Les émeutes de Londres réjouissent les dictateurs arabes
Aujourd’hui, les émeutes en Angleterre sont pain bénit pour le Colonel: voici qu’en Occident un dirigeant réprime un soulèvement «populaire» par la force, tient un discours de fermeté, opère des arrestations massives et fait même appel à l’armée. Un vrai remake du cas libyen ou, plus largement, de la réaction des dictateurs arabes contre les révoltes de leurs peuples. Au détail près que Cameron est Premier ministre depuis un peu plus d’un an —et non quarante—, qu’il ne s’est jamais autoproclamé roi et qu’il est l’enfant élu d’une des plus vieilles démocraties au monde.
Mais le cas est là et il fait la joie bruyante du Colonel et celle, discrète, de Bachar al-Assad et des autres. Alors, les émeutes de Londres, effet collatéral du printemps arabe ou effet ralentisseur sur la diplomatie de pression exercée sur les derniers dictateurs? A voir. Kadhafi, lui, s’érige déjà en William «Braveheart» Wallace, héros et symbole de l’indépendance écossaise qui s’est dressé contre l’occupant anglais à la fin du 13e siècle.
Kamel Daoud
Kamel Daoud est chroniqueur au Quotidien d’Oran, reporter, écrivain, auteur du recueil de nouvelles Le minotaure 504 (éditions Nadine Wespieser).
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