mis à jour le

La famine est un cancer politique
Agriculture moribonde, guerres intestines... Les médias d'Afrique de l'Est énumèrent les erreurs politiques qui ont mené la Corne de l'Afrique à une catastrophe humanitaire.
Depuis que les Nations unies ont déclaré l’état d’urgence humanitaire dans la Corne de l’Afrique le 20 juillet 2011, le débat est engagé pour savoir qui est responsable de cette pénurie alimentaire. D'une part, il est reproché aux pays riches d’avoir attendu l’extrême limite pour réagir alors que des signaux d'alerte avaient été lancés par le Programme alimentaire mondial (PAM) dès mai 2011. D'autre part, les gouvernements africains sont accusés d’avoir délibérément provoqué la famine, particulièrement en Somalie où les miliciens d’al-Shabab tolèrent à peine la présence d'organisations humanitaires.
12 millions de personnes sont menacées en Erythrée, à Djibouti, au Soudan du Sud, dans le nord de l’Ouganda et du Kenya et 3,7 millions de personnes sont touchées par la famine dans le sud de la Somalie.
Pour de nombreux titres de la presse d’Afrique de l’Est, ce drame est la conséquence directe de l’indifférence des gouvernements envers le bien-être des populations. Dans cette perspective, ils soumettent plusieurs solutions.
Développer l'agriculture
Pour le quotidien ougandais Daily Monitor, si la famine menace aujourd’hui le nord du pays, c’est que la production agricole y a été faible pendant des années. Et cette faiblesse est la conséquence directe des conflits politiques.
C'est le cas dans le triangle de Luwero, au nord de la capitale Kampala, où les autorités se seraient plus souciées d’obtenir des armes que de fertiliser les terres.
«Certains de nos dirigeants ont une vision étroite de la sécurité nationale. Ils pensent que nos vies sont en danger seulement en face d’une menace terroriste, d’activité rebelle ou d’une supposée invasion étrangère», écrit le Daily Monitor.
La revendication principale ici est une meilleure répartition des dépenses publiques. En effet, le quotidien considère que le secteur militaire accapare le budget de l'Etat au détriment du développement de l'agriculture.
Car si toute cet argent était utilisé pour «[…]avoir des systèmes d’irrigation fiables, des engrais biologiques, mettre en place des mesures pour limiter les conséquences du changement climatique, améliorer les graines, combattre les nouvelles formes de maladie sur les cultures, recenser la population[…]», les Ougandais n’auraient pas à faire appel à des interventions extérieures pour se nourrir. L'article s'appuie sur une évaluation de la Banque mondiale, estimant à 10% la part du budget nécessaire au secteur agricole.
En Ethiopie, la production agricole est également faible. Le soutien du gouvernement est insuffisant, selon le site d’information éthiopien Nazret.com. Le journal en ligne déplore la constante dégradation des conditions de vie des agriculteurs, d'autant que la récente hausse des prix des matières premières, au lieu de les enrichir, a accru leurs charges.
«[...] le gouvernement éthiopien ne soutient pas le développement rural de manière adéquate malgré qu’il ait annoncé des mesures progressives pour développer le secteur avec l’Agriculture Development Lead industry (ADLI)», écrit Nazret.
ADLI a été lancé en 1991. Vingt ans après, 4,5 millions d’Ethiopiens sur 88 millions se retrouvent en situation d’insuffisance alimentaire.
En Somalie, le secteur est moribond depuis le début de l'instabilité politique, il y a vingt ans. Ce qui pousse le Daily Monitor à considérer la sécheresse comme une «maladie opportuniste d’un cancer politique mortel».
Une gouvernance plus transparente
L'indifférence des gouvernements face à l'urgence humanitaire est également mise en cause. En Ouganda, la société civile s'est indignée lorsqu'elle a appris que 38 millions d'euros seraient octroyés à la présidence en 2011. Une annonce qui fait tâche, selon le leader de l'opposition Nandala Mafabi, qui l'a qualifiée dans le Daily Monitor d'«insulte aux pauvres Ougandais qui n'ont rien à manger».
«Le fait que l’Afrique soit touchée par des catastrophes naturelles —comme les nations développées— n’est pas nouveau. Mais la différence fondamentale réside dans la manière dont les pays développés ont mis en place des mesures pour limiter les conséquences de tels phénomènes et comment ils s’en chargent lorsqu’ils arrivent», analyse de son côté l’hebdomadaire The East African.
Cet article est une réponse aux déclarations du porte-parole du gouvernement kényan, Alfred Mutua. Lors d’une conférence de presse le 28 juillet 2011, il avait déclaré que le gouvernement n'avait eu aucun écho de Kényans mourant de faim. Pourtant l'insuffisance alimentaire menace bel et bien le nord du pays. Le quotidien kényan Daily Nation précise que si la région n'en est pas à une situation de famine comme au sud de la Somalie, 3,2 millions de personnes y souffrent toutefois d'un manque de vivres.
Mais pour Alfred Mutua les coupables sont les cartels qui bloquent l'arrivée des stocks. Il estime que l'Etat Kényan fait assez pour nourrir la population. L'hebdomadaire The East African publiait le 7 août 2011 un poème ironique dont la phrase principale moquait le déni de réalité de ce fonctionnaire:
«Si quelqu’un était mort, je le saurais bien sûr/
Parce que je suis, moi, omniscient/
Les yeux et les oreilles du gouvernement."
En Erythrée, la situation est encore pire, où le gouvernement d'Isaias Afeworki refuse de livrer un état des lieux, alors que les ONG considèrent peu probable que la crise alimentaire se soit arrêtée aux frontières du pays. Mais ce dernier refuse l'aide humanitaire internationale dans laquelle il voit une ingérence des Nations unies, comme le signifiait déjà le site du ministère de l'Information érythréen Shabait.com, en octore 2010.
Par ailleurs, Shabait.com, organe officiel d'information, rappelait en avril 2011 que le gouvernement avait fait de la sécurité alimentaire une priorité, une assertion qu'il est impossible de constater sur le terrain, car l'Erythrée est fermée à tout observateur étranger.
Au Soudan du Sud, touché également par l'insécurité alimentaire, le nouveau président de l’Assemblée nationale, Daniel Awet Akot, a fait une déclaration appelant la société à sortir de la dépendance humanitaire. Il fustige «une culture de l’assistanat contractée lors de la guerre avec le nord du Soudan, achevée en 2005» écrit le Sudan Tribune. Serait-ce un signe d'espoir?
En finir avec les conflits
Le grief principal de la presse d'Afrique de l'Est est surtout le fait que les Etats ne se préoccupent que de faire la guerre. D'ailleurs en Somalie, aider la population mourant de faim fournit aux shebabs et au gouvernement de transition une raison de plus pour se déchirer. Comme Alfred Mutua dénonçant les cartels, la position adoptée face à la situation est celle du «c'est sa faute, pas la mienne».
Les dirigeants s'accusent par médias interposés pour savoir qui est responsable de la famine. Sur le site de radio Shabelle en janvier 2011, le président de transition Sheik Sharif Ahmed, installé à Mogadiscio, la capitale, dénonçait «l'embargo» des shebab sur les vivres humanitaires. Des paroles qui reflètent l'impuissance de son propre gouvernement et ne font qu'illustrer la guerre civile qui gangrène le pays.
Parmi les autres conflits à la une, il y a aussi l'Erythrée où des diplomates d'Isaias Afeworki sont soupçonnés par un rapport des Nations unies de soutenir les shebab somaliens depuis le Kenya comme le titrait The East African.
Une nouvelle qui ravive les tensions entre le Kenya, l'Erythrée et la Somalie et qui n'incite pas le président kényan Mwai Kibaki à la solidarité. Pourtant, son territoire est une terre d'accueil pour des milliers de réfugiés somaliens. Mais pour combien de temps encore? Le même hebdomadaire faisait savoir le 14 août 2011 que le camp de Dadaab atteindrait 500.000 habitants à la fin de l'année, ce que le président juge désormais «inacceptable». Mwai Kibaki préfèrerait que les réfugiés soit rapatriés en Somalie.
Or, selon The East African, cette décision n'est pas sans lien avec le rapport des Nations unies. Le journal estime que le Kenya craint maintenant pour sa sécurité intérieure, qui ne doit bien sûr pas être confondue avec la sécurité alimentaire.
Agnès Ratsimiala
A lire aussi
Famine: comment les pays riches ont laissé faire