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Bi Kidude © Tiphaine Réto, tous droits réservés.
Bi Kidude © Tiphaine Réto, tous droits réservés.

Bi Kidude, la voix sacrée de Zanzibar

La chanteuse, presque centenaire, n’en finit pas de faire passer les rythmes du taarab, la musique traditionnelle de Zanzibar, au-delà des frontières.

Quand Bi Kidude ne chante pas, elle fume. Assise sur une natte dans la pénombre de sa petite maison d'un quartier périphérique de Stone Town, sur l'île d'Unguja (Tanzanie), elle sort de son soutien-gorge un minuscule briquet vert. La première cigarette n'a pas fini de se consumer que Bi Kidude en allume une autre avant de se mettre à raconter. Car quand Bi Kidude fume, elle parle. Elle parle de sa vie, longue et sinueuse comme les traits de son visage.

«J'ai rencontré la reine Elizabeth vous savez. Et puis j'ai chanté à Paris. Et j'ai vécu sur le continent, au Tanganyika.»

Bi Kidude, de son vrai nom Fatuma Binti Baraka, est loin d'être la «petite chose» que son surnom désigne en swahili. A Zanzibar où elle est née, on la considère aujourd'hui comme la reine du taarab, la musique traditionnelle de l'archipel. Elle est aussi celle qui, sans complexe, bouscule les traditions.

«J'ai commencé la musique à 10 ans, grâce à mon cousin. Il m'initiait au taarab en attendant le poisson dans sa barque. Puis, quelques années plus tard, je suis allée à la rencontre de Siti Binti Saad

Une femme qui, dans les années 1930, a réussi à se faire un nom dans le milieu très masculin du taarab.

«A l'époque, elle montait sur scène cachée sous un voile, se souvient Bi Kidude. Beaucoup disait que c'était parce qu'elle était laide comme un singe. Je peux vous affirmer, moi, que c'était faux: elle était belle et ne faisait que respecter la tradition.»

La chanteuse se redresse sur sa natte et réajuste son vêtement. «Moi aussi je respecte la tradition, mais je refuse d'être voilée.» Et qui pourrait imposer quoi que ce soit à Bi Kidude, une femme qui fume, boit de la bière et qui a divorcé deux fois dans un pays à 95% musulman?

«On ne sait pas quand elle est née»

Bi Kidude vit sa vie comme elle l'entend et ne laisse personne percer les mystères de son existence. Le réalisateur britannique Andy Jones en sait quelque chose, lui qui, pour les besoins de son documentaire As old as my tongue, a suivi l'artiste pendant trois ans d'un bout à l'autre de la planète:

«On ne sait pas quand elle est née, ni ce qu'elle a fait exactement de sa vie. Elle change de version à chaque interlocuteur. On peut juste affirmer qu'elle est née avant 1915 et qu'elle a vécu quelques années en dehors de l'archipel.»

Bi Kidude chez elle © Tiphaine Réto, tous droits réservés.

Quelques rares éléments, pourtant, reviennent d'un récit à l'autre: née d'un père vendeur de noix de coco dans le Zanzibar colonial, Fatuma aurait très jeune été reconnue par les musiciens locaux pour sa voix au grain si particulier. Mariée de force à 13 ans, elle quitte sa famille pour le continent. C'est là qu'elle rencontre Siti Binti Saad et, sous sa protection, elle commence à chanter dans toute l'Afrique de l'Est. On dit aussi qu'elle aurait traversé la Tanzanie à pied pour fuir son second mari avant de rentrer s'installer à Stone Town dans les années 1940.

Guérisseuse et initiatrice

Autant de bribes qui entourent l'existence de Bi Kidude d'un voile quasi mythique sur son île d'origine. Une aura renforcée en 2005 par sa récompense au prix Womex pour sa contribution à l'essor de la culture et de la musique d'Afrique de l'Est. Désormais, quand Bi Kidude monte sur scène, jeunes et moins jeunes partagent la même ferveur pour la chanteuse.

«Mais c'est aussi parce que c'est une guérisseuse bien connue pour son implication dans "l'Unyago", précise Andy Jones. Depuis toujours, elle anime les cérémonies de ce rite initiatique qui marque le passage des jeunes filles à l'âge adulte.»

Ça, la chanteuse en parle peu. Elle consent seulement cette phrase:

«Avec la danse et le chant, j'essaie d'apprendre aux futures mariées comment conserver leur mari en se faisant respecter.»

Puis, d'un haussement d'épaule, sa petite silhouette se déploie en direction des percussions posées dans un coin de la pièce. Elle s’assoit soudain, mi-amusée, mi-indignée avant de poursuivre en frappant la peau d’un instrument:

«Je leur explique aussi qu'on ne porte ni minijupe, ni t-shirts qui font voir le ventre. Vous imaginez si moi je me promenais dans la rue en montrant mon ventre?»

Bi Kidude a fini de fumer. Elle cesse aussi de parler. Mais dans les rythmes du taarab, elle continue de raconter. Elle chante une île épicée où une «petite chose» a pu devenir une grande dame.

Delphine Barrais et Tiphaine Réto

 

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Delphine Barrais et Tiphaine Réto. Journalistes françaises, spécialistes de l'Afrique.

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