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En Afrique, le sida progresse toujours chez les homosexuels
Le sida gagne du terrain dans les communautés homosexuelles du monde arabe.
L’épidémiologie est une discipline qui peut ne pas toujours être politiquement correcte; à commencer lorsqu’elle s’intéresse aux conséquences infectieuses collectives de certains comportements sexuels individuels. Le sida l’a amplement démontré depuis son émergence, il y a trente ans, au sein de la communauté homosexuelle masculine des grandes villes américaines.
Il est généralement tenu pour acquis que cette épidémie continue, à l’échelle planétaire, à être majoritairement le fait de contaminations dues à des relations hétérosexuelles. Pour autant, la transmission homosexuelle —entre 5 et 10% des cas estiment les spécialistes— continue à jouer un rôle non négligeable, voire même à augmenter comme dans différents pays d’Asie et d’Amérique latine.
Les agences spécialisées des Nations unies estiment aujourd’hui à un peu plus de 33 millions le nombre des personnes infectées par le VIH (PDF) à travers le monde. Parmi elles, 22,5 millions vivent dans des pays d’Afrique subsaharienne.
C’est dans ce contexte que survient la publication, inquiétante à différents égards, d’un groupe de chercheurs dirigé par Ghina Mumtaz et Laith J. Abu-Raddad (du Groupe d’épidémiologie des maladies infectieuses, Cornell University de Doha, Qatar). Les auteurs expliquent, en substance, disposer de données chiffrées établissant que l’épidémie d’infections par le VIH émerge et progresse chez les hommes homosexuels et bisexuels vivant dans plusieurs pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (Mena).
Un constat alarmant
Les chercheurs qataris ont procédé à l’analyse rétrospective et systématique de l’ensemble des données biologiques et comportementales concernant à la fois le VIH et les «hommes ayant des rapports sexuels avec des hommes» (HSH), et ce dans les différents pays de cette zone géographique.
Il faut ici préciser que les «HSH» renvoient à une définition qui ne se réduit pas à la stricte homosexualité et aux rapports anaux. Il s’agit d’hommes pouvant également, selon les pays et les milieux, être bisexuels, transgenres, voire ayant des pratiques plus ou moins majoritairement hétérosexuelles.
Les nombreuses données qui sont ici pour la première fois analysées en commun provenaient de publications médicales ou scientifiques (disponibles sur Medline), mais aussi de rapports d’organisations internationales, d’institutions gouvernementales ou encore d’ONG.
Au terme de cette analyse, les chercheurs peuvent faire un double constat. Si la fréquence des infections par le VIH reste encore faible dans certaines communautés homosexuelles du Mena, d’autres sont au contraire de plus en plus touchées par l’épidémie virale: un taux de près de 28% pouvant être observé dans un groupe du Pakistan. En Egypte, au Soudan, au Pakistan ainsi qu’en Tunisie, plus de 5% des membres de certains groupes sont contaminés.
Pour les auteurs de l’étude, tous les éléments sont aujourd’hui réunis pour que l’épidémie poursuive sa progression au-delà de la communauté homosexuelle masculine: taux élevé de comportements à risque (entre 4 et 14 partenaires en moyenne au cours des six derniers mois); présence d’autres infections comme par le virus Herpes simplex de type 2 (entre 3 et 54%); faible recours à l’usage du préservatif (généralement inférieur à 25%); fréquence de la prostitution masculine (entre 20 et 76%); le tout associé à des comportements hétérosexuels à risque et, dans certains pays, à l’usage de drogues par voie intraveineuse.
Le risque de diffusion des transmissions en dehors des seules communautés homosexuelles est d’autant plus grand que différentes données épidémiologiques témoignent que des proportions importantes d’HSH ont aussi des relations sexuelles avec des femmes, mariées ou non, ayant ou non recours à la prostitution. L’étude fournit sur ce point de nombreuses données statistiques concernant notamment l’Egypte, le Liban, la Tunisie, le Soudan, l’Iran, la Jordanie ou le Pakistan.
Le caractère potentiellement explosif d’un tel constat ne laisse plus aucun doute aux chercheurs de la Cornell University de Doha, qui ont ici travaillé avec des chercheurs américains un travail financé par la Banque mondiale, l’Onusida et l’Organisation mondiale de la santé.
L’urgence est, selon eux, de développer dans l’ensemble des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient la surveillance épidémiologique vis-à-vis de l’infection par le VIH, mais aussi de faciliter au plus l’accès des personnes les plus exposées au dépistage à la prévention et aux traitements qui ont désormais amplement fait la preuve de leur efficacité curative —et qui commencent à être utilisés à des fins préventives.
Une telle approche pourra-t-elle être développée sans rencontrer de résistance politique, culturelle ou religieuse? Et à quel rythme?
Jean-Yves Nau
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