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Du black-blanc-beur au blanc-blanc-blanc
En 1998, la France scandait le nom de Zidane. En 2011, la Fédération française de football suggère de recruter moins de noirs et d'arabes. Que s'est-il passé?
Le 12 juillet 1998, la France remportait la Coupe du monde de football. Emporté par un mouvement de plénitude national ressemblant à celui de l’après-guerre, un portrait géant du buteur français d’origine kabyle Zinedine Zidane flottait dès le lendemain sur les Champs-Élysées. La nation proclamait sans complexe «Zidane président!». La France était donc encline à propulser un Français d’origine maghrébine, footballeur de surcroît, Premier homme d’un pays dont le rôle dans le dépeçage de l’Afrique en 1865 n’est plus à démontrer.
Treize ans plus tard, des dirigeants de la Fédération française de football (FFF) proposaient, en secret, de limiter le recrutement de jeunes footballeurs noirs et arabes par des quotas. Bien sûr, ce n’est pas le simulacre d’enquête menée par les accusés eux-mêmes, avec pour ordonnateur un Etat complaisant, qui va dédouaner la grande famille des dirigeants du football français. Famille d’une monochromie consternante au regard de joueurs en grande majorité noirs et arabes.
En 1998, les médias parlaient d’une France réconciliée avec son identité plurielle, une France à l’image de son équipe de football: black-blanc-beur. En 2011, les médias parlent d’une France divisée, repliée sur elle-même, à l’image des banlieues ghettos, de pauvres comme de riches. Qu’a-t-il bien pu se passer en 13 ans? Beaucoup de choses à vrai dire, et pas simplement l’avènement de «la Roja», l’équipe de football d’Espagne, championne d’Europe et du monde en titre.
L'échec français de la globalisation
Premièrement, la dégradation du climat économique et social. Il se caractérise par une France qui peine plus que jamais à épouser les mouvements du monde et notamment celui de la globalisation. Les politiques économiques menées jusqu’à présent ont coupé sciemment la France de cette réalité, alors même que le centre de gravité économique se déplace à grande vitesse vers le Brésil, l’Inde ou la Chine.
Les emplois français dans les régions se délocalisent chaque jour car la France n’a pas su anticiper la globalisation, préempter de nouveaux secteurs d’activité —notamment ceux de l’innovation— et former des nouvelles générations à s’ouvrir au monde sans condescendance et sans tentative de colonisation intellectuelle.
La globalisation fabrique déjà de la misère sociale mécaniquement, mais plus encore dans un pays qui la refuse en bloc sans même essayer de la comprendre pour mieux s’y insérer. On sait depuis longtemps que la croissance du chômage engendre des tensions sociales. Il suffit d’un rien pour que celles-ci se transforment en tensions ethno-sociales, d’autant que la télévision brandit chaque jour la menace de ces pays «nouveaux riches», peuplés de non-blancs qui n’auraient aucune pitié pour une vieille Europe qui se meurt. Le racisme économique est flagrant et il alimente un racisme ordinaire d’autant plus facile que la misère sociale gagne les classes moyennes —les plus nombreuses en France.
Tensions sociales, tensions raciales
L’Europe dans son ensemble n’échappe pas à la montée des tensions raciales. Une des explications serait la montée du chômage, inexorable en Espagne, Italie, Angleterre, en France et ailleurs. Cependant, il serait illusoire de croire qu’il s’agit de la seule explication à un racisme rampant au sein de toutes les sociétés européennes. Ce serait omettre par exemple que la France peine à reconnaître son apport désastreux à la traite négrière. Ce serait omettre que l’Italie ou l’Espagne n’ont jamais su régler le problème des nombreuses et sempiternelles manifestations racistes dont sont victimes les joueurs de football afro-descendants sur les terrains de la liga ou du calcio.
Deuxième chose qui a changé au cours de cette dernière décennie: l’avènement d’une politique très droitière. Nicolas Sarkozy cultive un drôle de paradoxe. Il est le président de la Ve République qui a nommé le plus de ministres issus des minorités ethniques. L’exemple le plus symbolique étant celui de Rachida Dati à la Justice, le troisième ministère le plus important, de surcroît vécu par les Français d’origine ethno-sociale différente comme le plus partial à leur encontre.
Sarkozy, le président du clivage
Nicolas Sarkozy restera également le président du clivage social et identitaire de la société française. Cliver pour mieux contrôler, cliver pour apparaître ensuite comme l’unificateur de la Nation dans un contexte où le Front national, parti d’extrême droite, progresse rapidement dans le corps social français. Une progression tel un poison inoculé se répandant inexorablement auprès des jeunes, des classes précaires et des classes moyennes, qui ont toutes pour point commun de former des cohortes d’exclus sans repères, dans un monde qui mute à grande vitesse.
Le clivage social, Nicolas Sarkozy l’a renforcé alors même qu’il était en campagne pour la présidentielle 2007, avec son fameux slogan «travailler plus pour gagner plus», et plus encore avec sa «France qui se lève tôt», flirtant toujours avec l’idée que les «lève-tard» seraient d’incurables fainéants, profiteurs de la générosité du système social français et souvent d’une origine ethno-sociale différente. Ce qui entre nous reste toujours très compliqué à démontrer —après tout, «français» tout court devrait suffire.
Le clivage identitaire a été très tôt consolidé par Sarkozy. En juin 2005, lors d’une visite dans une banlieue difficile, le futur président n’avait pas hésité à dire qu’il allait «nettoyer au karcher» les voyous. Ces voyous étant, dans l’esprit de beaucoup, originaires d’Afrique subsaharienne et du Maghreb.
Puis, de désillusion en désillusion quant à l’absence de reprise économique —accompagnée par des erreurs politiques majeures telle que la faveur donnée aux riches en matière de fiscalité— Nicolas Sarkozy et ses «boys» n’ont eu de cesse de tenter la surenchère à connotation xénophobe, afin de contrer la montée en puissance d’une droite extrême sur fond d’accélération de misère sociale et de scandales politiques. Le plus récent étant le véritable «coup de tonnerre» de l’affaire DSK.
Depuis la fin des années 1990, la baisse de la pauvreté s’est interrompue. Le discours raciste de Dakar puis celui xénophobe de Grenoble sur les Roms —sans compter le nombre de dérapages qui n’en sont aujourd’hui plus— des ténors du gouvernement ont fini de sceller cette stratégie de clivage identitaire. Les crises économiques et sociales à répétition ont donc durci la xénophobie. Une xénophobie que les politiques d’assistanat de la gauche ont étendue. Une xénophobie que les politiques sécuritaires de la droite ont amplifiée. Alors, dans ce contexte, le football, sport national par excellence, reflet de notre société avec des «Bleus» qui symbolisent la Nation, ne pouvaient échapper à ce raz-de-marée nauséabond.
Nous avons cru, en 1998, que le rêve républicain du «vivre tous ensemble» pouvait devenir réalité. Nous avons compris, en Afrique du Sud en 2010, que le rêve était devenu un cauchemar. A cette époque j’écrivais déjà:
«La défaite avérée, la condition sociale des joueurs leur a été durement rappelée. Par leurs amalgames pernicieux, les commentateurs politiques ont aussi gravement porté atteinte à l'idéal de société que les joueurs à leur maillot. Le "black-blanc-beur" de la sélection nationale agit comme un révélateur de leur propre qualité d'"homme-blanc-CSP+++".»
Le nouveau racisme «ordinaire»
Derrière une xénophobie du quotidien, l’esprit de la victoire de 98 s’est effacé de manière progressive depuis 13 ans, pour atteindre son point le plus bas avec l’échec des Bleus en Afrique du Sud durant le Mondial 2010.
Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, cette xénophobie a trouvé de nouveaux lieux d’expression. En répétant le discours de l’extrême droite, Nicolas Sarkozy l’a publicisé. Et cette publicisation a délié les langues. Il n’est pas un mois sans qu’une personnalité médiatique ne tienne des propos xénophobes publiquement. En France, les ministres condamnés pour propos racistes se font nommer conseiller spécial du Président. En France, les journalistes condamnés pour propos racistes sont invités à faire des conférences pour le parti présidentiel. Peut être que les directeurs de la Fédération française de football s’attendent-ils à recevoir une promotion?
Et le sport dans tout ça?
Quelle université voudrait limiter à 30% le nombre de joueurs noirs autorisés à entrer dans son équipe de basket? Ce serait la décision la plus absurde qui soit. C’est pourtant bien la décision que voulait prendre la FFF. Une décision privée de tout fondement sportif: dans une équipe, chacun à sa place et on a besoin de tout le monde. On a besoin de petits, de grands, de costauds, de légers, de gauchers, de droitiers… Deux ans avant de se retrouver sur le toit du monde, «la Roja», brillante sélection espagnole, a conquis l’Europe avec une tour de contrôle au milieu du terrain: Marcos Senna. Devinez de quelle couleur était ce fantastique joueur ?
Bien sûr, 11 génies du ballon rond ne font pas une dream team. C’est la stratégie qui fait la victoire. C’est l’alchimie qui fait le rêve. Aujourd’hui, il n’y a plus de jeu à la française. Il n’y a plus de jeu du tout. Aujourd’hui, il n’y a pas de projet de société pour la France, il n’y a plus d’ambition collective pour forger un destin commun. La FFF a perdu le sens sportif. Les élites du football français ne pensent plus au sport, mais à leurs intérêts, à l’intérêt de «la famille» comme ils s’appellent entre eux. En fait, les élites du football français ont rejoint depuis longtemps l’incurie d’une partie de nos élites notamment politiques, avec pour trait d’union l’incompétence et pour fonds de commerce commun la rente de situation.
Le foot, un ghetto de plus
A la vérité, le scandale n’a rien à voir avec le sport. Le véritable scandale, c’est que le football est devenu un ghetto social de plus: la plupart des jeunes souhaitant devenir footballeurs sont issus des quartiers populaires. Des quartiers dont la population est majoritairement issue de l’immigration. Le foot est un sport de cours de récréation. Il ne coûte rien. C’est pourquoi il est devenu le sport populaire par excellence.
Mais, de sport populaire, il est en train de devenir le «sport de l’aspirant nouveau riche». Cela fait longtemps que les parents qui vivent dans les beaux quartiers préfèrent voir leurs gamins sur les courts de tennis, les terrains de rugby, sur les tatamis ou dans les gymnases plutôt que sur des terrains de football.
La société française n’a jamais été aussi clivée. A un point tel qu’il en est de même pour son football, doté autrefois d’une véritable capacité à faire jouer collectif une nation qui a de plus en plus de mal à se reconnaître en tant que telle. Je suis assez convaincu que Marine Le Pen, leader du parti d’extrême droite français, se verrait bien en «sélectionneur» de notre pays, avec pour projet de jeu «la défense de la France blanche».
Alain Dolium
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