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Hissène Habré à la sortie du tribunal à Dakar, en 2005. REUTERS/Aliou Mbaye
Hissène Habré à la sortie du tribunal à Dakar, en 2005. REUTERS/Aliou Mbaye

Hissène Habré sera-t-il jugé un jour?

Le Sénégal vient à nouveau de freiner l’organisation du procès de l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré, qui vit en exil à Dakar depuis 1990. Un mauvais feuilleton qui dure depuis 2000.

Hissène Habré peut continuer à dormir tranquille. Ouverte le 30 mai 2011 à Dakar, la réunion entre experts du Sénégal et de l’Union africaine concernant son jugement a été reportée sine die, à la demande du Sénégal. Pour toute explication, Dakar s’est contentée d’invoquer le non respect de «certains préalables».

Les travaux devaient être consacrés à la création d’un tribunal international ad hoc pour juger Hissène Habré. L’ex-président du Tchad (1982-1990), poursuivi pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture, est réfugié au Sénégal depuis son renversement par Idriss Déby en 1990. 

«Il y a beaucoup de préalables à remplir pour des discussions techniques, surtout pour une question aussi grave que celle-là. Les dossiers sont arrivés avec beaucoup de retard, c’est une des raisons» du report, a affirmé un responsable sénégalais. Et d’ajouter: «Les documents volumineux ne peuvent pas être étudiés de manière bâclée. Le Sénégal n’était pas prêt à discuter dans ces conditions. Pour échanger, il faut que tout le monde soit dans les mêmes dispositions, mais cela ne veut pas dire que le Sénégal ne veut pas discuter du dossier Habré.»  

Reste que cet énième coup de frein fait à nouveau ressurgir les doutes sur la réelle volonté de Dakar d’organiser ce procès. En mai 2009, Jacqueline Moudéïna, coordinatrice du comité de pilotage du jugement de Hissène Habré, avait déjà exprimé à haute voix dans la presse sénégalaise son scepticisme. «Le Sénégal ne fait pas preuve d’une volonté politique pour arriver à un jugement», s’était émue cette avocate tchadienne. A l’époque, alors que les bailleurs de fonds attendaient depuis deux ans que le Sénégal élabore un plan d’organisation du procès avec un budget raisonnable, les autorités sénégalaises avaient exigé le versement global d’une énorme enveloppe de plus de 27 millions d’euros pour la tenue du procès. Pour Jacqueline Moudéïna, aucun procès n’a été financé globalement par la communauté internationale: «Cela se fait toujours par tranches.»

Un trésor de guerre pour se mettre à l'abri

Reed Brody de Human Rights Watch avait carrément mis le pied dans le plat:  

«Habré, avant de s’enfuir du Tchad, a vidé les caisses du pays. Il dispose d’un trésor de guerre qui lui a permis de tisser un vaste réseau de protection au Sénégal et ailleurs en Afrique. D’où la difficulté de la tâche des victimes.»

Conseiller juridique de cette très influente ONG américaine de défense des droits de l’Homme, Reed Brody s’est totalement impliqué dans ce combat aux côtés de Souleymane Guengueng, le fondateur et vice-président de l’Association des victimes des crimes et de répression politique (AVCRP) au Tchad.

Et il est à parier que, sans sa ténacité, les efforts des plaignants pour traduire en justice Hissène Habré seraient demeurés vains.

De son propre aveu, c’est en travaillant sur le dossier d’Augusto Pinochet, l’ancien dictateur chilien, qu’il a vu dans le principe de compétence universelle «un formidable outil pour traduire en justice les tortionnaires» qui vivaient jusqu’alors dans l’impunité. 

Hissène Habré a été inculpé pour la première fois au Sénégal en 2000, pour «complicités de crimes contre l’humanité, actes de torture et barbarie».

Au grand dam de l’AVCRP, la justice sénégalaise s’était déclarée incompétente pour le juger. Des victimes résidant en Belgique déposent alors une plainte auprès de la justice belge. Au bout de quatre ans d’enquête, le juge belge Daniel Fransen se rend au Tchad. Interroge des victimes, des témoins, mais aussi des anciens membres de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), la police politique du régime de Hissène Habré qui emprisonnait, torturait et tuait les opposants.

Il inculpe l’ancien Président tchadien au titre de la compétence universelle de la justice belge, pour «crimes contre l’humanité», «crimes de guerre et actes de torture». En septembre 2005, il délivre un mandat d’arrêt international à son encontre. Hissène Habré est de nouveau arrêté au Sénégal. Mais, comme en 2000, la justice sénégalaise se déclare incompétente, cette fois pour «statuer sur l’extradition de l’ancien président tchadien vers la Belgique». Le Comité des Nations unies contre la torture fait les gros yeux et demande à Dakar soit de poursuivre Hissène Habré, soit de l’extrader vers la Belgique. Sous la pression, le président sénégalais Abdoulaye Wade botte habilement en touche en décidant de filer la patate chaude à l’Union africaine.

Course de lenteur au Sénégal

Lors du sommet de Banjul (Gambie) en juillet 2006, l’institution panafricaine fait savoir au Sénégal qu’il peut juger Hissène Habré. Le pays de la Téranga (hospitalité en wolof, la principale langue du pays) acquiesce, tout en continuant sa course de lenteur. L’Assemblée nationale sénégalaise tergiverse pendant deux ans pour adopter finalement, le 24 juillet 2008, une modification de la Constitution introduisant une exception à la non-rétroactivité de la loi pénale pour le crime de génocide, les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Dès lors, plus rien ne s’oppose juridiquement à un procès de l’ex-dictateur tchadien au Sénégal.

Le 16 septembre de la même année, douze Tchadiens et deux Sénégalais saisissent cette nouvelle opportunité et déposent contre Hissène Habré une plainte auprès du procureur général de la cour d’appel de Dakar pour crimes contre l’humanité et tortures. Histoire d’accélérer le démarrage de la procédure. Dakar invoque alors un manque de moyens pour financer le procès. Et exige les fameux 27 millions d’euros pour l’organiser. Plus rien ne bouge vraiment jusqu’en 2010.  

Le 24 novembre 2010, une table ronde des bailleurs de fonds a enfin lieu pour mettre au point le financement du procès. «Après tant d’années de ténacité et de déception, les victimes de Hissène Habré voient enfin le bout du tunnel», se félicite Reed Brody. Mais nouveau contretemps. Dû cette fois à une décision de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), qui bloque les préparatifs. Selon elle, le Sénégal «seul» ne peut juger Hissène Habré. Il peut simplement aider à la mise en place du tribunal ad hoc. Les 23 et 24 mars, l’Union africaine et Dakar commencent à travailler sur le projet. On sait ce qu’il en est advenu. Et bien malin qui pourrait dire à quelle date Hissène Habré sera jugé.

Valentin Hodonou    

 

Lire aussi:

Pourquoi Hissène Habré pourrait ne pas être jugé, par Sonia Rolley

 

Valentin Hodonou

Valentin Hodonou. Journaliste béninois. Spécialiste de l'Afrique.

Ses derniers articles: Ce que l'élection de Hollande va changer  Pourquoi l’Afrique de l’Ouest est mal partie  Pourquoi le Niger a été épargné par une rébellion 

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