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Libye: l’Otan déploie les grands moyens
Des renforts considérables sont envoyés contre le colonel Kadhafi. Objectif déclaré de l'Otan: un délai de 90 jours pour faire tomber le régime.
Trois mois, c’est le temps que se donne l’Alliance atlantique pour venir à bout de la résistance des forces favorables au colonel Kadhafi en Libye. Et, depuis quelques jours, la guerre semble effectivement être entrée dans une nouvelle phase, plus dure, que les états-majors occidentaux espèrent sans nul doute décisive.
Partout, que ce soit à Bruxelles, Paris, Londres ou Washington, le discours est le même. «Cette décision [le délai de 90 jours pour mener à bien les opérations] adresse un message sans détours au régime de Kadhafi. Nous sommes déterminés à poursuivre nos opérations pour protéger la population de Libye», a ainsi lancé Anders Fogh Rasmussen, le secrétaire général de l’Otan, cité par le quotidien britannique The Daily Telegraph. De son côté, dans chacun de ses communiqués et de ses points de situation, le ministère français de la Défense tient à rappeler que «cet engagement s’inscrit dans le cadre de la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) qui autorise l’engagement de moyens militaires aériens pour protéger les populations civiles des attaques de forces de Kadhafi».
Un avis que ne partage apparemment pas la Russie qui, si elle a soutenu l’Ouest sur la Libye à l’occasion de l’e-G8 de Deauville, n’en reste pas moins très critique des frappes de l’Otan. Alors que les hélicoptères britanniques Apache et les Tigre français entraient pour la première fois en action contre des cibles militaires libyennes afin «d’augmenter la pression sur les forces de Kadhafi qui menacent la population civile» (Défense française), le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, faisait savoir que le recours par la France et la Grande-Bretagne à des hélicoptères de combat constituait «selon [eux] une transformation, intentionnelle ou non, [de l’opération de l’Otan] en une intervention au sol».
Le plus gros navire de guerre du monde en renfort
L’Alliance, c’est certain, semble muscler son dispositif, et les nouveaux déploiements coïncident avec l’annonce officielle portant sur la prolongation des opérations. Les Etats-Unis, en particulier, sont sur le point de revenir sur le devant de la scène, avec l’arrivée sur zone d’une force qui devrait encore accroître le déséquilibre entre les deux camps. Le porte-avions George H.W. Bush, le plus puissant bâtiment de l’US Navy, accompagné de son groupe, vient en effet de rejoindre la VIe Flotte américaine en Méditerranée.
Le Bush est le plus gros navire de guerre du monde. D’un déplacement de plus de 100.000 tonnes, ce monstre récemment entré en service a pour devise «La liberté à l’œuvre» et pour surnom le «Vengeur» (fort probablement, dans l’esprit américain, des attentats du 11-Septembre). Pour accomplir son «œuvre de liberté», le Bush emporte un groupe aérien composé de 90 aéronefs à voilure fixe et tournante, dont 44 chasseurs-bombardiers F/A-18. Le groupe qui encadre ce Léviathan, car un porte-avions ne se déplace évidemment jamais seul, comprend deux croiseurs lance-missiles et deux destroyers lance-missiles, qui vont encore renforcer la capacité occidentale de frappe sur des objectifs libyens.
Tous sortent à peine d’un exercice, curieusement baptisé Saxon Warrior, qui a eu lieu à la fin du mois de mai dans l’Atlantique, au large des côtes britanniques. Ces manœuvres avaient entre autres pour but de peaufiner l’entraînement des équipages à la défense antiaérienne. Au cas où quelques pilotes libyens suicidaires tenteraient de s’en prendre au Bush? Un scénario qui paraît peu vraisemblable. Notons enfin que le groupe de ce «super porte-avions» est commandé par une femme, le contre-amiral Nora W. Tyson. Les Américains aiment frapper l’imagination de leur public par des «premières» de toutes sortes et celle-ci en est une, tout comme le déploiement du bâtiment en lui-même.
Avec le Bush, l’Otan compte donc maintenant deux porte-avions sur place, le premier n’étant autre que le Charles de Gaulle. A ces deux géants s’ajoutent plusieurs porte-hélicoptères britannique, français, et américains, entre autres l’USS Bataan, qui, à lui seul, serait capable d’orchestrer le débarquement de 2.000 marines. Des déploiements qui semblent confirmer les inquiétudes de Sergueï Lavrov.
La stratégie de l'Otan
L’irruption de ces renforts américains devrait a priori changer la donne dans le conflit. Le principe de l’Otan est simple, et est le même que celui appliqué lors de l’invasion de l’Afghanistan en 2001. La force aérienne, avions de combat et hélicoptères d’attaque, va de plus en plus s’employer à faire sauter les verrous défensifs qui subsistent encore dans le dispositif de Kadhafi, jusqu’à ce que celui-ci ne puisse plus compter que sur des unités d’infanterie dépassées en nombre et en armement, démoralisées par des mois de bombardement. Alors, escompte-t-on, les rebelles, que l’on s’affaire à entraîner et à encadrer dans l’Est du pays, pourront lancer une offensive généralisée qui, en quelques jours, quelques semaines tout au plus, devrait finalement s’emparer de tous les points clés de la côte. Et c’en sera fait du colonel, qu’un tribunal attend d’ailleurs déjà, puisque les accusations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité font désormais partie intégrante de l’arsenal occidental.
A moins d’une surprise d’ordre diplomatique plutôt que militaire, on voit mal comment Kadhafi et son entourage pourraient s’en tirer. Même si l’entreprise prend plus de temps que ce qui avait été proclamé au départ, les fidèles du régime ne peuvent sérieusement espérer l’emporter sur le terrain. Ils ont beau résister avec acharnement face à des rebelles qu’ils continuent de surclasser sur le terrain, ils ne font en réalité que retarder l’inévitable.
Roman Rijka
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