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Répit précaire pour les déplacés soudanais
Fuyant l’invasion militaire d’Abyei par les troupes de Khartoum, la population civile se dirige vers le Sud-Soudan. Agok est la première localité importante où les déplacés ont pu s’arrêter.
Mickaël se saisit de la radio: «Ici voiture 127. Départ pour Agok. Six personnes dans le véhicule. Over.» La Toyota aux couleurs de l’Organisation internationale sur les migrations (OIM) s’élance. Une cinquantaine de kilomètres et deux heures plus tard: Agok.
La dernière localité du Sud-Soudan avant la ligne de front. Au nord, à seulement 35 km, coule la rivière Kiir (Bahr al-Arab pour les nord Soudanais) où l’Armée de libération du peuple soudanais (SPLA, armée du sud) fait face aux Forces armées soudanaises campées sur la berge nord.
Arrivé en ville, le 4x4 bifurque soudainement pour mettre cap au sud-ouest. Les roues quittent le chemin en terre battue pour la brousse avant de s’enfoncer dans la boue. Après quelques tentatives infructueuses pour dégager la voiture, Mickaël prend ses carnets d’enregistrement à la main et finit le chemin à pied. A 500 mètres de là, quelque 5.000 déplacés en provenance d’Abyei attendent.
Pour la première fois, un membre de l’OIM a eu, le 1er juin, le feu vert de la sécurité de l’ONU pour rejoindre Agok. Il est chargé de recenser ces migrants.
Devant lui, s’étend Mading Jok Thiang, une immense terre craquelée par la chaleur et parsemée de flaques de boue, témoins de la saison des pluies qui débute. Les déplacés s’abritent sous de hauts arbres.
Des groupes de déplacés dans le village d'Agok. © Maryline Dumas
L'impuissance des habitants d'Agok
«Je dors sous ces arbres, se plaint Marco Dol, 30 ans. Il n’y rien d’autre pour se protéger de la pluie. J’ai fui la ville d’Abyei à cause de la guerre. J’ai vu l’armée ennemie [les Forces armées soudanaises] arriver avec des fusils. Je suis arrivé ici il y a sept jours avec ma femme et mes huit enfants. Nous n’avons pas pu continuer à marcher plus au sud à cause de ma femme, qui est malade, et de mon dernier, qui a seulement deux ans. Depuis que nous sommes là, nous n’avons rien à manger.»
Difficile effectivement de trouver de la nourriture à Agok. Sur l’unique marché de la ville, les étals sont vides. Plusieurs sont même fermés. Avec les bombardements d’Abyei, la population locale a pris peur également. Si les hommes sont restés pour veiller aux biens de leur famille, les femmes et les enfants d’Agok sont partis en nombre pour Turalei ou Mayen Abum, situés plus au sud.
Les seules marchandises offertes à la vue des chalands sont les sacs de 50 kg de céréales distribués par le Programme alimentaire mondial (PAM) et normalement réservés aux déplacés. Sur ces sacs est inscrit en lettres capitales: «Not to sale or to exchange» (ne pas vendre, ni échanger).
«Nous compatissons avec les déplacés. Ce sont des Dinkas comme nous [les habitants d’Abyei sont de la tribu des Dinka Ngok]. Mais nous sommes pauvres nous aussi. Nous ne pouvons pas les accueillir en les logeant ou en leur donnant à manger», souligne un habitant d’Agok dont le tukul (hutte traditionnelle soudanaise) se situe à Mading Jok Thiang.
A la même époque l’an dernier, le gouvernement de la région semi-autonome du Sud-Soudan avait alloué 35 millions de dollars pour nourrir la population de l’Etat de Warrap où se situe Agok. Depuis, la situation ne s’est guère améliorée pour la population. Et avec l’arrivée des déplacés, elle ne risque pas de s’arranger.
D’autant plus que les déplacés qui stationnent encore à Agok, plus de dix jours après l’exode des habitants d’Abyei, sont les plus faibles. Comme le confirme une visite à l’hôpital géré par Médecins sans frontière (MSF). Allongée sur un lit, une femme visiblement exténuée peine à bouger. Enceinte au moment de quitter Abyei, elle a perdu son enfant dans la fuite.
Groupe de femmes et enfants déplacés à Agok. © Maryline Dumas
Risque permanent de dérapage
Ines Hake, responsable de l’équipe médicale de MSF, détaille: «La moitié des patients sont des déplacés. Ce sont surtout des enfants qui souffrent de déshydratation et des personnes âgées, trop faibles pour avancer et qui ont été abandonnées par leur famille sur la route. Les déplacés arrivent chez nous peu à peu. Leurs premiers soucis étaient de se nourrir et de trouver un abri. Et seulement ensuite de se soigner.»
Les civils ont remplacé les soldats dans les lits. L’hôpital de MSF a été le premier à soigner les militaires blessés pendant la bataille d’Abyei. Aujourd’hui, les soldats du SPLA sont toujours présents à Agok. A environ un kilomètre au sud de la ville, l’armée a installé sa base arrière où stationnent notamment quelques chars d’assaut T72 de conception soviétique.
Une présence qui ne rassure pas la population. Le 23 mai, une fusillade a éclaté sur le marché «à cause de soldats trop alcoolisés», explique d’un ton désabusé Ines Hake. Le dérapage peut se reproduire à tout moment. Sur le marché, déambulent des soldats en quête de distractions et des civils, armés d’AK47, qui veillent sur leurs biens.
«On [le SPLA] ne bougera pas jusqu’à l’indépendance [du Sud-Soudan, prévue le 9 juillet]. Mais à partir du 11 ou du 12 juillet, on attaquera Abyei », annonce fièrement Mafoune, un mercenaire du SPLA venu de la République de Centrafrique. Si tel est le cas, pas sûr qu’Agok y gagne en tranquillité.
Mathieu Galtier
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