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50 ans de l'Union africaine: penser «panafricain» et européen
Plutôt que d'attendre que l'Afrique s'unisse, la France a tout intérêt à devancer le mouvement par une approche européenne.
Comme le montre l’invitation du président français, François Hollande, à Addis Abeba au sommet de l’Union africaine (UA), l’attentat au Niger contre la mine d’uranium du français Areva contraint plus que jamais Paris à dessiner sa politique africaine à l’échelle du continent, après une intervention militaire pourtant très ciblée au Mali.
La Chine et l’Inde jouent déjà à plein cette carte «panafricaine», celle des Etats mais aussi des entrepreneurs, des petits commerçants et de la culture, alors que l’UA fête actuellement ses 50 ans autour d’un fort sentiment de «renaissance» continentale.
La route est semée d’embûches, l’Afrique le sait elle-même, comme le montrent tous les entretiens publiés par la revue Géopolitique africaine. Mais on doit aussi l’aborder avec confiance, voilà ce dont les Européens doivent se persuader, et tout particulièrement la France qui compte sur son territoire la diaspora africaine la plus nombreuse, et dispose donc du levier le plus puissant en Europe pour bénéficier du dividende de jeunesse du continent noir.
La renaissance d'un continent
L’Union africaine et ses 54 membres célèbrent ainsi en cette fin mai 2013 à Addis Abeba, en Ethiopie, son cinquantième anniversaire, autour du «panafricanisme» et d’une renaissance du continent. La marche vers l’unité politique et économique africaine reste certes problématique: on est encore très loin du rêve de véritables Etats-Unis d’Afrique des leaders des années post-indépendance comme le président ghanéen Kwamè Nkrumah, auteur en mai 1963 du manifeste «Africa must unite», à Addis Abeba, déjà.
Mais, devant le chemin parcouru —nettement moins de conflits en Afrique, de famines et de putschs depuis 20 ans, les chiffres le prouvent contrairement au «chocs médiatiques»— et surtout les perspectives nouvelles, on peut voir le verre «à moitié plein» plutôt que «à moitié vide» et déjà agir en conséquence.
Qu’on en juge: avec sa dynamique nouvelle présidente de la Commission de l’UA, la Sud-Africaine Nkosazana Dlamini-Zuma, l’organisation, minée souvent par les dissensions entre ses membres, affiche de nouvelles ambitions et s’est impliquée très en amont dans la résolution des conflits au Mali ou en Centrafrique, en attendant la concrétisation militaire de la fameuse Force africaine en attente (FAA), qui devrait être opérationnelle d’ici 2015.
Cette femme, la première à la tête de l’UA —alors que l’Union européenne (UE) n’a jamais été incarnée ainsi à ce niveau par une femme!— défend aussi une libre circulation des biens et des personnes dans les prochaines décennies et le développement des infrastructures, en lien notamment avec la très entreprenante Banque africaine de développement (BAD).
Celle-ci tient d’ailleurs sa réunion annuelle, au Maroc, fin mai et le discours de son président, Donald Kaberuka, au sommet de l’UA mérite d’être lu en détail par tous. Ce banquier hors pair, image de l’Afrique moderne, a fait de la BAD la banque de développement régionale la plus dynamique de toutes, avec un sens aigu de l’engagement calculé auprès de deux autres géants de la planète: la Chine et l’Inde.
L'Afrique de toutes les convoitises
Avec 5% de croissance annuelle en moyenne ces dix dernières années, le continent est en tous cas bien déjà considéré au niveau «panafricain» par les investisseurs institutionnels et les nations émergentes mais aussi par cette myriade d’entrepreneurs indiens, de commerçants chinois et de milliardaires africains eux-mêmes, comme la famille égyptienne des frères Sawiris, présente dans les télécoms, la construction, les médias, du Nord au Sud. Sans compter avec le Maroc ou la Turquie, dont la stratégie panafricaine a pris corps en quelques années.
Indéniablement, le cours élevé des matières premières a joué un rôle dans cette croissance africaine, à hauteur d’environ deux points, selon le dernier rapport Afrique de l’OCDE, et le retournement actuel des cours va impacter un certain nombre de pays africains, et donc l’Afrique dans son ensemble.
Mais le coup de pied de la Chine et de l’Inde dans la fourmilière africaine, couplé à la transition sociodémographique et institutionnelle du continent, a enclenché un développement beaucoup plus endogène qu’on ne le pense. Il suffit pour s’en convaincre de mesurer les investissements réalisés ces dernières années dans les secteurs non liés aux matières premières. De l’ordre des deux-tiers du total, selon le dernier rapport sur les investissements de la Cnuced. Il suffit également de se laisser imprégner par le renouveau culturel du continent, avec des films comme Nairobi half life, de David «Tosh» Gitonda.
Plutôt que d’attendre que l’Afrique s’unisse, ce qui prendra encore des décennies, la France a tout intérêt à devancer le mouvement comme le fait le groupe Orange dans la téléphonie, qui a su s’implanter au niveau africain et répondre aux besoins, souvent plus basiques et frugaux au départ, d’un continent qui compte déjà plus de 700 millions de mobiles, d’avantage qu’en Europe.
L'avenir de l'Europe passe par l'Afrique
Il n’y a pas de fatalité à laisser les entrepreneurs de Chindia mener la danse en Afrique, pas plus que de se laisser distancer en matière de bourses d’études ou d’influence culturelle par les instituts Confucius ou le cinéma Bollywood. Mais cette politique africaine doit aussi s’envisager avec une force de frappe européenne. Il en va de l’intérêt de l’Afrique dans son rapport de force avec les géants mondiaux. Il en va aussi de l’intérêt de l’Europe, au moment où les Etats-Unis ont décidé un réengagement stratégique en Afrique, comme le montre le dernier discours du secrétaire d’Etat John Kerry, à Addis Abeba, dans la foulée du récent rapport de la Brookings («Top five reasons why Africa should be a priority for the United States»).
Certains lobbys français voudraient jouer une carte purement bilatérale, c’est bien connu. Mais ce serait alors reproduire le schéma du «divide and rule» (diviser pour mieux régner), sur lequel jouent si habilement la Chine mais aussi l’Inde et même les Etats-Unis. Avec les résultats que l’on sait: un rapport de force de plus en plus faible de chaque pays européen pris individuellement avec ces partenaires, et des citoyens européens de plus en plus nationalistes.
Le panafricanisme en route est au contraire une opportunité de plus à saisir pour relancer le projet européen autour d’une vision commune. Cette fois autour des réalités du XXIe siècle et non de l’épouvantail des seules horreurs européennes du siècle passé, qui ne suffit manifestement plus uniquement à convaincre les citoyens comme les dirigeants de l’Europe.
Jean-Joseph Boillot et Stanislas Dembinski, co-auteurs de Chindiafrique, comment la Chine l’Inde et l’Afrique feront le monde de demain, éditions Odile Jacob, janvier 2013.