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Le mini porte-clé Twitter mercadomambembe CC by Coletivo Mambembe via Flickr
Le mini porte-clé Twitter mercadomambembe CC by Coletivo Mambembe via Flickr

Tunisie: Twitter ou la générosité ostentatoire 2.0

Pendant le ramadan, la mobilisation autour des Tunisiens en errance à Paris depuis plusieurs mois se structure sur la Toile. Les utilisateurs de Twitter mobilisés auprès des migrants tunisiens affichent sans ambages leur générosité sur le réseau social. Forme détournée d'appel au don ou nombrilisme 2.0?

#Botzaris36. C’est le nom d’un collectif qui s’est formé sur le réseau social Twitter. Ils sont militants associatifs et politiques, sympathisants franco-tunisiens, internautes ou riverains. Depuis début juin, ils apportent nourriture, médicaments, vêtements et assistance administrative à une trentaine de migrants Tunisiens dormant dans le parc des Buttes-Chaumont à Paris.

Traînés de foyers en squats, de centres de rétention en commissariats de police, c’est finalement dans la rue que la plupart d’entre eux passent le ramadan. Ignorés par le gouvernement, délaissés par la mairie de Paris et boudés par les associations traditionnelles, les migrants de Lampedusa n’ont trouvé soutien et réconfort qu’auprès d’une poignée d’internautes.

Le hashtag (mot-clé) #botzaris36, leur sert de lieu de réunion sur Twitter. Il a été créé le jour où des migrants ont trouvé refuge au 36 rue Botzaris dans le 19e arrondissement, l’ancien siège parisien du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti de Ben Ali, le président tunisien déchu.

Du virtuel au réel

Si les associations caritatives ont généralement recours aux mailings, aux appels téléphoniques et aux groupes de discussions pour appeler au don, ici c’est sur Twitter que s’organise la générosité.

«Je tweete sur les sans-papiers depuis trois ans, témoigne Emmanuel Auray, alias @emaux, militant actif du hashtag #Botzaris36. Je milite également au sein du réseau éducation sans frontières, mais je sens que les membres sont encore réticents à l’idée d’utiliser les réseaux sociaux».

Pourtant, les opportunités offertes par ces nouveaux médias sont nombreuses.

«Twitter est plus flexible qu’une association classique. Le hashtag permet de suivre l’évolution de la situation, de centraliser les énergies, de relayer en temps réel nos besoins et de gérer l’urgence au quotidien», affirme Mohamed Dhaoui, président d’Action Tunisienne, association qui vient notamment en aide aux migrants des Buttes-Chaumont.

«Ce type de rassemblement informel permet de passer outre les contraintes bureaucratiques d’une association et de réagir rapidement à un problème donné. Il permet aussi de solliciter directement les personnes susceptibles de nous venir en aide», explique @emaux.  

«L’autre avantage de Twitter est qu’il rend la participation à l’action humanitaire plus poreuse. Il suffit de suivre le tag pour participer. Des nombreuses personnes d’horizons différents se mobilisent même si la colonne vertébrale du collectif compte une dizaine de membres actifs», précise-t-il.

Je donne donc je tweete

Action Tunisienne, se sert activement de Twitter pour générer des dons.  

«La plupart des virements que nous avons reçus viennent des Twittos (utilisateurs de Twitter). Ils se sont largement mobilisés pour la cause. Par exemple, en une semaine, un concert de soutien rassemblant 180 personnes a été organisé et a permis de récolter plus de 1000 euros», rappelle Mohamed Dhaoui.

Vu que sur Twitter les discussions sont libres et que chacun peut poster comme il l’entend, des messages sont venus se glisser dans les tweets liés à l’organisation de la mobilisation. Ainsi, au-delà des initiatives lancées sur le réseau, certains soutiens affichent ostensiblement leur générosité sur la toile.

Surtout que chaque bonne action est prétexte à un tweet: don de vêtements, de médicaments, ou même présence sur place. Si certains sympathisants se servent de leur don pour sensibiliser les internautes d’autres n’hésitent pas à rappeler leur implication, notamment financière, à tous leurs abonnés.

Ces messages, postés par les militants et visibles par tous les visiteurs du hashtag #botzaris36, ne font pas l’unanimité.

«C’est gênant quand les tweets sont trop ostentatoires, l’effet est plutôt négatif, regrette @emaux. Les personnes, en voyant que quelqu’un a déjà donné, seront moins pressées par l’urgence d’agir».

Mohamed Dhaoui, président d’Action Tunisienne relativise l’impact négatif de ces messages sur les donations.  

«Les tweets ostentatoires sont minoritaires. Ils permettent par ailleurs de donner un nouveau souffle au mouvement. Ils montrent comment on peut agir, même en étant loin», estime-t-il.

Selon Michael Stora, psychologue spécialiste des réseaux sociaux, ils favoriseraient même la charité des internautes.

«Les tweets sont prescripteurs, Les followers, par identification, vont suivre l’exemple donné par leurs pairs. L’effet en sera d’ailleurs décuplé si le donateur est une personne influente sur Twitter. Ce phénomène s’observe dans le métro. Quand quelqu’un donne à un SDF, tout le monde s’y met», analyse le psychologue.

Nombrilisme 2.0

Pour mieux comprendre ce qui pousse les twittos à la générosité, il convient de revenir sur les trois facteurs qui motivent généralement les donations. «Le don lié aux sociabilités des donateurs est fréquent», explique Johanna Siméant, enseignante-chercheuse en science politique spécialisée dans l’humanitaire.

«Souvent religieux, il est inscrit dans les mœurs comme la quête à l’église ou l’aumône (zakât) pour les musulmans. Un événement qui interpelle particulièrement favorisera également le don. Au moment du Tsunami en Indonésie, les occidentaux se sont facilement identifiés aux touristes présents sur place et ont donné en conséquence. Enfin, quand les personnes de votre entourage vous demandent de donner, vous êtes plus enclins à le faire. Quelque part, Twitter sélectionne pour vous les causes auxquelles vous serez sensible. On s’intéresse plus facilement à une action si un proche ou un de ses amis sur Twitter s’y est engagé».

Si les raisons qui motivent les donateurs sont connues, il faut aller plus loin pour expliquer pourquoi certains l’affichent sur le réseau social.

«Même si l’on pense le contraire, quand on donne, on attend toujours quelque chose en retour d’une bonne action, ne serait-ce que la reconnaissance du bénéficiaire. Ainsi le sentiment de supériorité du donateur sur le receveur ou le fait de publiciser sa bonne action encouragent le fait de communiquer autour de sa générosité. Être généreux est valorisant, le faire savoir l’est encore plus», considère-t-elle.

Notre tendance naturelle à rechercher l’amour de nos pairs est donc exacerbée par Twitter et l’audience qu’il apporte à l’internaute.

«Quand on tweete ses bonnes actions, on attend des félicitations. L’individu est narcissique et a besoin d’être aimé, Twitter n’en est que le reflet», remarque Michael Stora.

Une pratique discutable

Si le fait de mettre en avant son don est parfois considéré comme discutable, pour Johanna Siméant, ce type de comportement ne paralyse pas pour autant la générosité.

«Il y a même des chances que cela produise des effets de suivi, une compétition vertueuse, estime-t-elle. C’est à celui qui donnera le plus, comme dans les dîners de charité aux États-Unis». 

L’ostentation ne décourage pas forcement le don mais, sous certaines formes, elle peut gêner.

«Quand on perçoit que le donateur se fait plaisir plus qu’il ne pense à la victime, le fait d’afficher son altruisme devient contre-productif».

Si les tweets ostentatoires ne sont pas incompatibles avec l’action humanitaire, ils peuvent néanmoins nuire à la mobilisation et à la bonne entente entre les soutiens.

Pour @emaux, «ces manifestations égotiques nuisent à la mobilisation et aux Tunisiens. Les personnes concernées ne pensent pas aux conséquences ni à l’utilité de leurs tweets», juge-t-il.

Agacés par ces messages auto promotionnels, certains soutiens aimeraient discipliner les échanges sur le hashtag #botzaris36 tout en ménageant les susceptibilités.

Emmanuel Daniel


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Emmanuel Daniel. Journaliste français.

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