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Julius Malema, le 15 mai 2011 à Soweto, Afrique du Sud. AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTIN
Julius Malema, le 15 mai 2011 à Soweto, Afrique du Sud. AFP PHOTO / STEPHANE DE SAKUTIN

Les jeunes de l'ANC, plaie sud-africaine?

La Ligue des jeunes du Congrès national africain est-elle un fléau pour l’Afrique du Sud? On peut se poser la question, compte tenu des derniers épisodes du long feuilleton, émaillé de scandales et d’incartades, qu’imposent au pays les jeunes loups du parti au pouvoir.

La Ligue des jeunes du Congrès national africain (ANC), de plus en plus, se comporte comme un gouvernement bis. Cette structure n’écoute ni les rappels à l’ordre des ministres en poste, ni les mises en garde des responsables de l’ANC, le parti au pouvoir depuis 1994. Elle continue d’agiter l’épouvantail de la nationalisation des mines, des banques et des terres, contraignant des ministres à répéter sur tous les tons que telle n’est pas la politique du gouvernement.

Mais la Ligue a franchi une nouvelle ligne jaune, en demandant le 31 juillet 2011 un «changement de régime» au Botswana voisin. Et d’annoncer son intention d’aider les partis d’opposition dans ce pays à renverser le régime de Ian Khama, décrit comme «un valet de l’impérialisme». Le tort du président du Botswana? Etre d’accord pour abriter Africom, le commandement militaire américain opérationnel en Afrique. Et surtout, avoir affirmé en mai que Julius Malema était un «garçon indiscipliné», tout en se demandant pourquoi aucune sanction n’était prise contre lui.

L’arrogance de la Ligue des jeunes de l’ANC ne semble plus avoir de limites. Malgré la levée de boucliers provoquée par ses déclarations sur le Botswana, l’organisation a enfoncé le clou le 5 août, estimant que le prêt de 2,4 milliards de rands (plus de 230 millions d'euros) récemment accordé par le gouvernement sud-africain au Swaziland «revient à donner de l’argent de poche au roi Mswati III, alors que le peuple souffre et n’a aucun droit». A l’en croire, ce prêt «devrait être conditionnel», lié à la légalisation des partis politiques au Swaziland, la libération des prisonniers politiques et l’organisation d’élections démocratiques dans ce qui reste la dernière monarchie d’Afrique.

Ce n’est pas tout. Les dirigeants de la Ligue des jeunes ont exigé le 3 août un rendez-vous avec le quotidien noir The Sowetan pour obtenir des explications sur le licenciement «abominable» d’un ami, l’éditorialiste Eric Miyeni. Ce dernier a été remercié pour avoir traité Ferial Haffajeee, une consœur d’origine indienne, d’être «un serpent noir» aux ordres des «maîtres blancs», dans une tribune publiée le 1er août.

L’ancienne rédactrice en chef du grand hebdomadaire The Mail & Guardian, qui occupe aujourd’hui les mêmes fonctions au sein de l’hebdo noir The City Press, a été traitée «d’agent des capitalistes blancs». Selon Miyeni, elle aurait «probablement eu un pneu brûlant autour du cou» si l’Afrique du Sud en était restée aux années 1980. Pendant la lutte contre l’apartheid, le supplice du collier était le sort réservé aux «sell-out», les «vendus» soupçonnés à tort ou à raison d’espionner pour le compte de la police.

Le tort de Ferial Haffajee? Avoir publié le 30 juillet dans The City Press une enquête sur un fonds secret tenu par Julius Malema, le président de la Ligue des jeunes de l’ANC. Ce fonds familial, le Ratanang Family Trust, enregistré au nom de son fils de cinq ans, servirait à financer son train de vie luxueux, grâce aux commissions touchées sur des marchés publics octroyés par la province du Limpopo, dont il est originaire.

Malema magouille en toute impunité

Le Ratanang Family Trust détient en effet des parts dans la société privée On-Point Engineering, qui sous-traite depuis 2009, pour trois ans, de la passation des marchés publics portant sur la construction de routes, pour le compte de la province du Limpopo. Et ce en toute illégalité, puisque le Trésor public a interdit aux collectivités locales de sous-traiter ce genre d'activités.

The City Press affirme être en possession de documents confidentiels qui révèlent que les sociétés qui obtiennent les marchés rétrocèdent 50% à 90% de leurs profits à On-Point Engineering. Montant du budget transport et routes visé par la probable magouille: 4,6 milliards de rands sur trois ans (463 millions d’euros).

Qu’attend donc l’ANC pour sanctionner Malema et en finir avec l’impunité dont il jouit? Gwede Mantashe, le secrétaire général de l’ANC, a pris ses distances avec la Ligue des jeunes après ses déclarations sur le Botswana, évoquant le 1er août une «transgression sérieuse» avec le respect de la souveraineté nationale et le principe du bon voisinage.

«Malheureusement, beaucoup d’incidents avec la Ligue des jeunes montrent le désir de miner la direction de l’ANC, sous prétexte de ne pas comprendre les relations entre les deux structures», a constaté Mantashe.

Une réaction jugée trop molle par la plupart des analystes politiques:

«Si Malema n’est pas contraint à présenter ses excuses, ce qui représente le minimum, on peut penser qu’il jouit de fortes protections au sein même de l’ANC», estime Steven Friedman, directeur du Centre d’étude de la démocratie à l’université de Johannesburg.

«Il n’y a aucun doute sur le fait que les responsables de l’ANC en ont assez de Malema, mais honnêtement, ils ne savent pas quoi faire de lui», estime de son côté Price Mashele, du Centre de recherches et de politiques (CPR).

Une réunion au sommet entre Jacob Zuma, Gwede Mantashe et Kgalema Motlanthe, le président de l’ANC, devait se tenir le 8 août à Johannesburg, en présence de Malema et de son équipe.

Malema en campagne

Julius Malema est passé maître dans l’art du populisme, une tentation jadis proscrite par la culture politique de l’ANC. Mais tout a changé depuis l’accession au pouvoir en 2009 de Jacob Zuma, un président aux accents populistes qui a cherché à se démarquer de Thabo Mbeki, leader froid, distant et peu charismatique. Malema, qui fut l’allié politique de Zuma dans sa lutte pour le pouvoir, n’aurait plus la confiance de «J.Z.». Il n’en reste pas moins un allié crucial dans les luttes intestines de l’ANC, en vue de la succession de Zuma. Malema aurait notamment laissé entendre à Tokyo Sexwale, magnat minier et actuel ministre des Human Settlements (bidonvilles), qu’il le soutiendrait dans la course à la présidence en 2014 ou 2019.

Malema sert par ailleurs de soupape de sécurité à un parti qui doit gérer le mécontentement de sa base. 

«L’intention de Malema, souligne Pirce Mashele, est d’unir les pauvres noirs contre le reste de la société. C’est dangereux. Ce pays ne va pas être construit seulement par les pauvres. Nous avons besoin de messages qui recherchent l’unification.»

Manifestement, Julius Malema est en campagne. A chaque fois qu’il se trouve en mauvaise posture, il fait monter d’un cran la pression politique: alors qu’il était déjà mis en cause dans l’octroi de marchés publics dans la province du Limpopo, en mars 2010, il avait entonné le vieux refrain de lutte «Tuez le Boer», suscitant une vive polémique.

Cette fois, les partis d’opposition appellent le fisc à enquêter sur son train de vie, qui ne correspond pas à son salaire de 2.519 euros par mois. Malema, qui se sait en position difficile, a renoncé à l’achat d’une ferme de 139 hectares dans le Limpopo, d’une valeur de 352.000 euros, pour laquelle il aurait déjà payé 80 625 euros.

Mais va-t-il s’arrêter pour autant de miner le climat politique en Afrique du Sud? Rien n’est moins sûr. Lindiwe Zulu, la conseillère diplomatique de Jacob Zuma, n’est pas la seule à se demander si Malema «comprend vraiment l’impact de certaines de ses déclarations». Elle a confié, de retour d’une mission au Zimbabwe, que ses interlocuteurs lui avaient demandé qui, de la Ligue des jeunes ou de l’ANC, gouvernait vraiment l’Afrique du Sud.

Sabine Cessou

 

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Sabine Cessou

Sabine Cessou est une journaliste indépendante, grand reporter pour L'Autre Afrique (1997-98), correspondante de Libération à Johannesburg (1998-2003) puis reporter Afrique au service étranger de Libération (2010-11).

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