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FMI: l’Afrique attend son heure
La Française Christine Lagarde pourrait succéder à DSK à la tête du FMI. Mais est-ce vraiment une bonne nouvelle pour l'Afrique.
Depuis le 25 mai 2011, Christine Lagarde est officiellement candidate au poste de directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Ministre de l’Economie et des Finances d’un gouvernement français qui s’est déjà délesté d’un de ses membres le 29 mai, elle n’a pas quitté le navire Fillon. Même si la situation de ministre-candidate est, de son propre aveu, «schizophrénique», elle juge certainement inutile de démissionner, tant sa campagne semble devoir déboucher sur une victoire assurée. Pour l’heure, au fil de ses voyages, elle engrange ici ou là des promesses de soutien.
Christine Lagarde incarne peut-être le changement. Changement de sexe dans une institution qui ne fut dirigée par une femme (Anne Krueger) que par intérim en 2004 et dont on reproche à son ancien patron un manque de contrôle. Changement de sensibilité politique, quand bien même le socialiste Strauss-Kahn avait la réputation d’être à la droite de la gauche; et la «libérale» Lagarde bien interventionniste depuis la récente crise du système bancaire.
Géographiquement, la nouvelle candidature française sera moins celle du changement que celle d’une certaine continuité: une règle tacite réserve la direction du FMI à l’Europe et, très souvent, à la France. Depuis 1963, quatre directeurs généraux —Pierre-Paul Schweitzer, Jacques de Larosière, Michel Camdessus et Dominique Strauss-Kahn (DSK)— ont été fournis par l’Hexagone. Même si l’opinion étasunienne semble avoir condamné, avant l’heure, le libertinage bien frenchy d’un DSK toujours présumé innocent, l’Etat américain, lui, principal actionnaire du FMI, n’en tiendra pas rigueur au pays de Nicolas Sarkozy. Après les conciliabules du G8 de Deauville, Christine Lagarde voit s’ouvrir devant elle la porte capitonnée du bureau de directrice générale du Fonds monétaire international.
Le reste du monde doit-il se résigner à suivre cette mascarade de sélection? Imaginons un match de tennis où les deux adversaires de la finale auraient été choisis avant le début du tournoi. Et où l’issue du match, elle-même, serait déterminée à l’avance…
Les Brics revendiquent
Les quatre pays émergents du Bric —Brésil, Russie, Inde et Chine— commencent-ils à s’en émouvoir, voire à s’en agacer? On leur explique que de nouvelles procédures de sélection sont envisageables, voire envisagées, à l’issue du mandat de Dominique Strauss-Kahn. Mais DSK n’a pas fini son mandat…
Le Bric ronge son frein, mais le Bric se fait Brics. L’acronyme s’enrichit du S de South Africa et voilà qu’émergent les revendications des émergents africains. A quand l’Afrique?, écrivait déjà l’historien burkinaabè Joseph Ki-Zerbo. «A quand l’Afrique à la direction du FMI?», semble renchérir l’Afrique du Sud. Le 24 mai 2011, les cinq pays du Brics s’élevaient, dans un communiqué commun, contre la mainmise de l’Europe sur le poste de directeur général du FMI. Le 26 mai, pour enfoncer le clou avec un maillet africain, le porte-parole du gouvernement sud-africain, Jimmy Manyi, estimait que le prochain chef du Fonds monétaire international devrait venir d’un pays émergent. Pourquoi pas le Mexicain Agustin Carstens, gouverneur de la banque centrale du Mexique et seul candidat déclaré face à Christine Lagarde?
Pourquoi pas l’actuel ministre sud-africain de la Planification, Trevor Manuel? Le 18 mai, le ministre des Finances et successeur de Manuel à ce poste, Pravin Gordhan, avait indiqué qu’une candidature sud-africaine était «quelque chose que l’Afrique du Sud» devait «se mettre à l’esprit». La date butoir pour le dépôt des candidatures est fixée au 10 juin 2011. Trevor Manuel a nié être intéressé par le poste.
Un FMI très impopulaire en Afrique
L’Afrique tente de s’imposer dans toute organisation internationale, brandissant à l’envi ses taux de croissance alléchants, aussi bien sur le plan démographique qu’économique. Mais conquérir la direction du Fonds monétaire international serait une victoire au goût spécialement suave. Le FMI est particulièrement impopulaire sur le continent. Chacun a en mémoire les cruelles politiques d’ajustement structurel, les programmes équivoques de rééchelonnement de la dette, les stratégies monétaristes implacables, la cession sauvage des grandes entreprises étatiques africaines ou encore la réduction des budgets dans les domaines de la santé ou de l’éducation. Les plans d'ajustement structurel (PAS) sont apparus comme des instruments de soumission des pays du Tiers-monde et, au final, des facteurs d’asphyxie économique. Le FMI devait être une caution pour des pays africains à la recherche d’emprunts judicieux. Il est devenu un tuteur autoritaire aux allures d’usurier. Et un surnom du FMI est apparu: «Fonds de Misère Instantanée».
Certes, le FMI et la Banque mondiale admettent, aujourd’hui, que les thérapies prescrites aux pays en développement ont été, en grande partie, des désastres sur les plans économique et social. Mais y a-t-il autre chose que des différences de vocabulaire entre les nouveaux Documents stratégiques pour la réduction de la pauvreté (DSRP) et les anciens PAS? L’Afrique est échaudée…
Les analystes les plus mesurés expliquent que Dominique Strauss-Kahn avait commencé à réserver plus de poids aux économies émergentes au sein des instances dirigeantes du FMI. Christine Lagarde continuera-t-elle dans cette voie? Si elle en a la volonté, elle est connue pour ne pas manquer de caractère. Et ne pas se laisser impressionner par l’environnement américain qui, lui, a la réputation de broyer les représentants étrangers dans les organisations internationales. Dès 1974, après son baccalauréat, mademoiselle Lallouette (son nom de jeune fille) obtint une bourse et décida de partir pour la première fois aux Etats-Unis. Titulaire d’un diplôme au lycée Holton Arms School dans le Maryland, elle effectua une première incursion dans la politique, comme stagiaire au Capitole, en tant qu'assistante parlementaire d’un représentant républicain du Maine.
Une bonne trentaine d’années plus tard, en 2009, le magazine américain Forbes classait Christine Lagarde 17e femme la plus puissante du monde. La même année, le Financial Times lui décernait le titre de meilleure ministre des Finances de la zone euro. Le magazine Time la citait parmi sa liste annuelle des 100 personnes les plus influentes au monde.
Lagarde, quelle connaissance de l'Afrique?
Le socialiste DSK démissionnaire, l’Afrique doit-elle craindre une directrice ultralibérale inconsciente des réalités du continent noir? Au danger de «droitisation» des politiques du FMI, Christine Lagarde répond par des promesses de libéralisme «tempéré», sorte de compromis entre le keynésianisme et le monétarisme. Il est vrai que le gouvernement auquel elle appartient s’est abondamment rallié à l’interventionnisme et à la régulation.
Que connaît Christine Lagarde du continent africain? Ce que peut connaître une «séminariste» qui passe deux jours de colloques dans un grand hôtel tropical. Elle en sait davantage sur les données macroéconomiques que sur la situation précaire d’une vendeuse d’attiéké (manioc). Elle n’est pourtant pas de ceux qui n’ont jamais mis les pieds sur le continent.
En novembre 2007, elle assistait à la réunion du G20 à Kleinmond, dans cette Afrique du Sud qui la toise aujourd’hui. En marge du sommet consacré à la stabilité financière dans le monde, elle s’était d’ailleurs entretenue avec le même Trevor Manuel qu’on voudrait lui opposer dans la course à la direction générale du FMI. En avril 2011 encore, Christine Lagarde était à N’Djamena, au Tchad, pour la réunion des ministres des Finances de la Zone Franc.
Le Cap-N’Djamena: deux Afrique; la fronde africaine à la candidature de Christine Lagarde ne peut-elle être qu’anglophone? Les pays francophones —singulièrement les anciennes colonies françaises— sont peut-être naturellement enclins à soutenir la candidate de Nicolas Sarkozy. Mais pas comme un seul homme. Depuis longtemps, et en particulier à l’époque où il était président de la Commission de l'Union africaine, l’anticonformiste Alpha Oumar Konaré s’insurgeait contre la règle tacite qui réserve le poste de directeur du FMI à un Européen.
Sur ce sujet, la ligne de démarcation entre les Afrique n’est pas que linguistique. Il y a bien sûr l’Afrique du franc CFA et les autres. Même si les anciennes colonies françaises n’attendent plus grand-chose des politiques du FMI, elles veulent rester dans les petits papiers de la France, incontournable avocat de l’arrimage du franc CFA à l'euro. N’est-ce pas la ministre française de l'Economie Christine Lagarde qui annonçait avoir signé, le 21 avril 2011, la garantie d'une première tranche de 200 millions d'euros de prêt à la Côte d'Ivoire, destinée notamment au paiement des arriérés de salaire des fonctionnaires? Les promesses de la candidate au poste de DG du FMI ne sont pas des détails pour des Présidents africains revenus bredouilles du sommet du G8 de Deauville.
Le 22 mai, le gouvernement congolais, par l'intermédiaire de son ministre des Finances, du Budget et du Portefeuille public, Gilbert Ondogo, exprimait, à Brazzaville, son soutien à la candidature de la ministre française de l'Economie et des Finances. Brazzaville, ancienne capitale de la France libre…
Damien Glez