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Bunker by mknobil via Flickr CC
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Ibni Oumar, un disparu difficile à oublier

Le 3 février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh, l'un des principaux opposants tchadiens, disparaissait à N'Djamena. Trois ans plus tard, un groupe de parlementaires français exige toujours la vérité.

Ibni Oumar Mahamat Saleh était l'un des principaux opposants tchadiens. Il a été arrêté le 3 février 2008 par l'armée, au lendemain d'une attaque rebelle sur la capitale, N'Djamena. A l'occasion du troisième anniversaire de sa disparition, un groupe de députés français a de nouveau interrogé le Quai d'Orsay. Régulièrement, ils rappellent Paris à ses obligations.

Pourquoi ne l'oublie-t-on pas au Tchad, comme en France; ce n'est pourtant pas l'unique opposant porté disparu sur le continent africain? Si Ibni Oumar sait se rappeler à notre bon souvenir, c'est qu'il était l'un des principaux opposants de son pays. Son parti était membre de l'International socialiste.

Des députés comme celui de la Nièvre, Gaëtan Gorce —le nouveau vice-président de la Commission des droits de l'homme à l'Assemblée nationale— qui ne sont pas des africanistes à l'origine, ont été ainsi amenés à s'intéresser à la situation au Tchad, et à ses relations très ambiguës avec la France. 

Ibni Oumar était également mathématicien, il avait fait sa thèse à l'Université d'Orléans. Sa disparition a provoqué un certain émoi dans le milieu scientifique et universitaire français. En témoignent les pétitions, messages sur les blogs de ses collègues de l'Hexagone depuis le 3 février 2008, le jour où des militaires sont venus l'arrêter chez lui. C'est aussi parfois, et peut-être trop peu ça, la relation privilégiée entre la France et l'Afrique.

France, Tchad: une histoire partagée

C'est aussi une question de moment. Les 2 et 3 février 2008, les rebelles mènent une attaque sans précédent sur N'Djamena, la capitale du Tchad. Pendant quelques heures, le régime du président Idriss Déby vacille. Les ressortissants français sont évacués. Des dizaines de journalistes déferlent dans la capitale tchadienne.

Un retour, puisqu'ils y avaient déjà passé plusieurs semaines pendant l'affaire de l'Arche de Zoé, et qu'ils connaissaient le terrain. Ils n'ont donc pas hésité à y revenir, espérant sans doute assister à la chute du régime d'Idriss Deby, en place depuis plus de 20 ans.

Si l'Afrique est assez peu présente à la une des journaux français, le Tchad a connu ses heures de gloire. Ancienne colonie française, c'est là-bas que les alliés ont remporté leur première victoire sur les forces de l'Axe durant la Seconde guerre mondiale avec la fameuse colonne Leclerc. On se souvient également de l'invasion par les troupes libyennes du nord du Tchad, et de ces rebelles qui avaient enlevé plusieurs mois durant la française Françoise Claustre.

L'histoire de la France et du Tchad est très imbriquée, plus que ne l'imagine dans l'Hexagone. Aujourd'hui encore, l'armée française a plusieurs détachements dans le pays, environ un millier d'hommes. Les opposants comme Ibni Oumar dénonçaient régulièrement le soutien militaire apporté par l'opération française Epervier au régime tchadien peu démocratique d'Idriss Déby.

Une vague d'arrestations encore obscure

Ibni Oumar Mahamat Saleh est arrêté avec deux autres opposants en fin d'après-midi le 3 février 2008, à son domicile à N'Djamena. Les rebelles sont déjà en train de quitter la capitale; ce coup de filet est donc mené par l'armée tchadienne.

Ce fait sera d'ailleurs établi par la commission d'enquête tchadienne et les experts étrangers qui lui seront associés. A ce moment-là, la plupart des dirigeants du régime ont fui ou se sont cachés. Seule la présidence a résisté à l'attaque rebelle.

Idriss Déby s'y trouve avec quelques-uns de ses proches. Cette commission d'enquête souligne d'ailleurs que cette vague d'arrestations n'a pu se faire sans implication des plus hautes autorités militaires du pays, et que la question de l'implication du chef de l'Etat, Idriss Déby, se pose.

Fait embarrassant pour Paris, des coopérants militaires français étaient durant tout le week-end dans le centre opérationnel de la présidence, qui coordonne les actions de l'armée tchadienne. Depuis, la famille d'Ibni Oumar, comme le groupe mené par le député Gaëtan Gorce, ne cesse de s'interroger: que sait précisément Paris?

Le jeu très ambigu de la France

Selon l'entourage des opposants tchadiens arrêtés, l'ambassade de France avait été prévenue par leurs soins dès le premier jour de leur arrestation. Le lendemain, Paris poussait pourtant les membres du Conseil de sécurité de l'ONU à signer une déclaration de soutien au régime tchadien, sans même faire mention de la disparition des opposants.

L'ambassadeur de France pour les droits de l'homme de l'époque, Michel Doucin, confirme leur arrestation à des partenaires européens huit jours plus tard. Il faudra dix jours au total avant que Paris se préoccupe officiellement de leur sort. A ce moment-là, Ibni Oumar est vraisemblablement déjà mort.

Le président français, Nicolas Sarkozy, fait le déplacement à N'Djamena. Il obtient, c'est vrai, la libération des deux autres opposants arrêtés et demande la création d'une commission d'enquête internationale.

Alors que la France n'aura au même moment aucune difficulté à obtenir la grâce d'Idriss Déby pour les membres de l'Arche de Zoé, cette commission d'enquête tchadienne associée des experts étrangers est créée après de multiples rebondissements. Malgré ses conclusions sans appel, la procédure judiciaire n'a toujours pas véritablement commencé.

Une affaire embarrassante

Le député Gaëtan Gorce se saisit de ce dossier. Il veut alors faire la lumière sur le rôle de Paris dans cette affaire. Il obtient dans un premier temps l'audition par la Commission des affaires étrangères de l'Ambassadeur de France à N'Djamena, Bruno Foucher, et du successeur de Michel Doucin, l'actuel ambassadeur de droits de l'homme, François Zimmeray. Mais c'est un véritable parcours du combattant.

Comme chaque dossier touchant à la Françafrique, cela crée des réticences à droite, comme à gauche. Son acharnement finit par payer. Il obtient l'an dernier le vote à l'unanimité d'une résolution de l'Assemblée nationale [PDF] demandant au gouvernement français que toute la lumière soit faite sur le sort réservé à Ibni Oumar. C'est une première en France.

Cette procédure nouvelle à l'époque, fruit d'une révision de la Constitution, a été inauguré avec le cas d'Ibni Oumar. Paris n'a alors eu d'autre choix que de faire pression sur le régime tchadien pour que des observateurs étrangers soient associés à la procédure judiciaire.

Un an plus tard, en ce troisième anniversaire de la disparition de l'opposant tchadien, ils n'ont toujours pas commencé leurs travaux. D'où la piqûre de rappel de Gaëtan Gorce et de ses collègues députés. La France n'a probablement pas intérêt à ce que toute la lumière soit faite sur cette affaire.

Sonia Rolley

Sonia Rolley

Sonia Rolley est journaliste. Elle a été correspondante au Rwanda et au Tchad, notamment pour RFI et Libération. En janvier 2010, elle a publié Retour du Tchad, carnet d'une correspondante (Actes Sud).

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