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L’affaire DSK, facteur de division en Guinée?
Le président Alpha Condé est réputé proche du Parti socialiste français. Son principal opposant Cellou Dalein Diallo est Peul, comme la victime présumée du socialiste DSK.
Les plaies sont encore à vif en Guinée, six mois après la dernière présidentielle, qui a vu Alpha Condé l’emporter face à Cellou Dalein Diallo. L’affaire DSK (Dominique Strauss-Kahn), parce qu’elle implique un éminent socialiste français (Alpha Condé compte de nombreux amis au PS français) et une femme peule (le leader de l’opposition est Peul) ravive de profondes fractures politiques.
«Je suis foudroyée. Humiliée. [...] C’est une de mes concitoyennes qui joue à ce jeu. Franchement je n’y crois en rien [sic]. Dans ma culture, une mère de famille qui se sent violée dans un hôtel, sans témoins, et selon tout ce qui se dit, c’est après des heures qu’elle a déclaré avoir été violée, sans témoins, moi je suis confuse [sic]. C’est une femme africaine qui adopte une culture américaine pour sortir publiquement qu’elle est violée. Une mère de famille… Ça m’étonne. Je compatis à l’humiliation de Mme Anne Sinclair. […] Je crois que Nafissatou est manipulée par son propre entourage. [...] Cette dame fréquente un milieu qui n’est pas sain. Vous avez vu l’attitude de cet homme qui dit être son frère et le lendemain qui dit être son ami? N’est-ce pas un petit copain? On la pousse à avoir un comportement comme ça rien que pour l’argent.»
Cette diatribe de Sano Doussou Condé, émigrée guinéenne de New York et représentante des femmes du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG), le parti d’Alpha Condé, a été très remarquée. Cette interview donnée le 20 mai à IvoirTV a fait le tour d’Internet et provoqué la colère de la communauté peule, majoritaire parmi les Guinéens installés aux Etats-Unis. «Cette femme malinké accuse carrément notre cousine, sans aucun fondement», proteste ainsi un membre de la famille de Nafissatou Diallo, victime présumée d'agression sexuelle de la part de Dominique Strauss-Kahn.
Tensions ethniques autour du pouvoir
L’affaire DSK ravive les plaies ouvertes lors de l’élection présidentielle de 2010, qui a vu le candidat peul, Cellou Dalein Diallo, être battu au second tour par l’opposant historique Alpha Condé, un Malinké. Cellou Dalein Diallo était pourtant bien parti, fort d’un score de 43,69% au premier tour, le 27 juin 2010, face à un Alpha Condé crédité de 18,25% des suffrages. Quatre mois et bien des péripéties plus tard, revirement complet de tendances: Alpha Condé l’emporte avec 52,5% des voix au second tour, le 7 novembre. Cellou Dalein Diallo accepte sa défaite, sur fond de violences perpétrées par des militaires contre des civils peuls. Il n’en conteste pas moins les résultats, s’estimant privé de sa victoire en raison de nombreuses irrégularités. Mais la crise ivoirienne, en décembre, vient éclipser les complications de la vie politique guinéenne.
Alpha Condé a su retourner l’opinion en sa faveur entre les deux tours, en usant de l’argument ethnique durant sa campagne. Exploitant un vieux ressentiment à l’œuvre dans la Guinée de Sékou Touré, il a fustigé «la mafia des commerçants peuls». Les Peuls, qui tiennent le marché central Madina de Conakry et le commerce de détail à travers le pays, sont souvent accusés de s’enrichir aux dépens des autres communautés.
Cellou Dalein Diallo se trouve désormais à la tête de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition. Soutenu par la majorité des Guinéens des Etats-Unis, des émigrés majoritairement peuls, il avait recueilli plus de 80% de leurs suffrages à New York lors de la dernière présidentielle.
L’affaire DSK s’inscrit dans un climat politique toujours tendu en Guinée. La moindre petite phrase d’Alpha Condé contre les Peuls est prise comme une nouvelle attaque par cette communauté, qui représente 40% d’une population de 10,3 millions d’habitants. Soudée derrière l’homme qu’elle perçoit comme «son» candidat, Cellou Dalein Diallo, cette communauté, qui n’a jamais exercé le pouvoir politique (Sékou Touré était un Malinké, Lansana Conté un Soussou et Moussa Dadis Camara un Guerzé de la Guinée forestière), se sent dans le collimateur du président Alpha Condé.
Selon un grand patron guinéen qui s’est confié à SlateAfrique, «Alpha Condé incite les Libanais à faire de l’importation de riz, ce qu’ils ne faisaient pas avant en dehors d’un seul homme d’affaires parmi eux. Des facilités douanières et fiscales leurs sont accordées, mais pas aux hommes d’affaires peuls». Beaucoup de grands commerçants peuls, installés entre la Guinée, le Sénégal, la France et les Etats-Unis, se trouvent actuellement en position d’attentisme.
Tentatives d'intimidation
Tout est suspendu à l’organisation des prochaines élections législatives, prévues pour le troisième trimestre 2011, que Cellou Dalein Diallo entend bien remporter. Mais un nouveau contentieux l’oppose à Alpha Condé. Ce dernier voudrait reprendre les listes électorales établies pour la présidentielle avant d’aller de nouveau aux urnes. Cellou Dalein Diallo, lui, s’y oppose, et assure qu'«Alpha Condé sait qu’il n’a pas de chances de gagner avec cette liste sans procéder à des tripatouillages».
Des incidents ont émaillé la vie politique en Guinée ces derniers mois. Lors de son retour au pays, le 4 avril 2011, après trois mois d’absence, Cellou Dalein Diallo a été accueilli par une foule à l’aéroport, et une répression qui a fait un mort et 28 blessés, dont 8 par balles. Le 13 mai, des militaires ont fait une descente musclée à son domicile à Conakry.
«Ils ont mis tout le monde en respect et affirmé chercher des armes chez moi, déclare Cellou Dalein Diallo à SlateAfrique. Je me trouvais alors à Dakar. Les militaires ont dit qu’il n’y a qu’un seul président en Guinée, Alpha Condé. C’est une manœuvre d’intimidation!»
Sur l’affaire DSK, Cellou Dalein Diallo reste très prudent. «Je fais confiance à la justice américaine, déclare-t-il. Je suis un homme de droit et je ne vais pas me mettre à raisonner par hypothèses. Ma tendance naturelle serait de prendre la défense d’une compatriote, mais il faut que le droit soit dit.»
Alpha Condé, de son côté, n’a rien dit sur une affaire susceptible de le gêner aux entournures. L’ancien opposant historique aux régimes dictatoriaux de Sékou Touré et Lansana Conté est en effet connu chez lui pour avoir cultivé des relations étroites avec le Parti socialiste français, tout au long de son exil en France. Une vieille amitié le lie notamment à son camarade de lycée Bernard Kouchner, l’ancien ministre français des Affaires étrangères. D'après les sondages, Dominique Strauss-Kahn aurait été le meilleur candidat du Parti socialiste à la présidentielle française de 2012.
Sabine Cessou
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