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Moubarak, le procès du siècle
Il faut voir au-delà de la cage, car les problèmes que rencontrera le procès d'Hosni Moubarak sont ailleurs.
Dans les années 90, j’ai accompagné un groupe de juges fédéraux américains lors d’une visite en Egypte. Nous avons réussi à visiter le tribunal militaire du pays, une institution encore célèbre aujourd’hui pour sa façon d’expédier impitoyablement les procès politiques gênants. Les juges américains ont été surpris par ce qu’ils ont vu: les accusés étaient dans une cage. Une telle chose n’aurait jamais été autorisée dans un tribunal américain; pour un jury, voir un accusé derrière les barreaux serait profondément préjudiciable.
Ils avaient raison d’être méfiants, mais ils ont négligé les vrais problèmes. Il n’y a pas de procès avec jury en Egypte. Les juges, civils ou militaires, voient toujours les accusés derrière les barreaux, et ils sont difficilement influençables. Mais n’importe quel observateur égyptien aurait pu pointer du doigt les vrais difficultés: manque de temps pour la préparation, des possibilités de faire appel extrêmement limitées, absence de la plupart des garanties procédurales, et un socle constitutionnel douteux pour les procès militaires de civils.
Avec le début du procès de l’ex-président Hosni Moubarak, le 3 août, le monde a vu le dirigeant octogénaire déchu étendu sur un lit d’hôpital à l’intérieur d'une cage —aux côtés de ses fils Alaa et Gamal, de l’ancien ministre de l’Intérieur Habib al-Adly, et de six autres accusés— pendant que le président du tribunal faisait lecture des charges pesant contre lui. Moubarak, accusé de corruption et d’avoir ordonné de tuer des manifestants, a rejeté toutes les charges pesant contre lui. Le spectacle était un peu bizarre. Mais qu’est-ce qui est vraiment perturbant, et qu’est-ce qui est simplement différent?
Corruption et violences
Lors d’une série de conversations avec des juges égyptiens en juin cette année, j’ai remarqué qu'ils faisaient énormément confiance au système judiciaire pour juger Moubarak. Mais deux éléments devraient susciter l’inquiétude, même parmi les fiers juges égyptiens.
Pour commencer, le nombre faramineux de cas de corruption et d’abus est effarant. Un juge égyptien a souligné que si tous les procès étaient menés en même temps, une moitié du pays seraient en train de juger l’autre moitié. Le procès de l’ancien président apparaît comme une procédure accélérée à cause de pressions politiques. Ce qui est regrettable, mais aussi inquiétant, car il risque de cacher à quel point le système est gangréné par la corruption sur laquelle s’est construit l’ancien régime.
Et ceci nous amène au second problème. Lors de procès très importants —caractérisés par de nombreuses victimes en colère et de vives passions populaires—, certains juges auxquels j’ai parlé n’étaient pas persuadés que les tribunaux fourniraient la sécurité nécessaire pour le procès. Ils étaient moins inquiets de voir des juges cédant aux pressions de la rue, qu'harcelés et vandalisés. D’où l'endroit inhabituel choisi pour l’audience de Moubara: le bâtiment hautement sécurisé de l’académie de police.
Pourtant, les affrontements devant l’académie entre les sympathisants de l'ex-Raïs et ses opposants —qui se sont à plusieurs reprises jetés des pierres et des bouteilles, avant et pendant l’audience— indiquent que les craintes des juges sont tout à fait justifiées. Mais l’anarchie ne règne pas partout.
Le système judiciaire égyptien est-il crédible?
Les personnes étrangères au système ont souvent besoin d’un peu d’aide pour savoir où regarder lorsqu’elles évaluent la crédibilité du système judicaire égyptien. Voici la bonne nouvelle: la justice égyptienne tourne au ralenti, mais elle est souvent crédible. Même si la session d’ouverture du procès de Moubarak a pu apparaître comme un cirque médiatique, elle présentait vraiment plusieurs aspects louables.
Tout d’abord, le procès est mené par le système judiciaire habituel. En fait, parmi toutes les déclarations sur le caractère sans précédent de ce procès, c’est cela qui constitue la réelle nouveauté. Les régimes post-révolutionnaires ont souvent jugé d’anciens dirigeants politiques dans le monde arabe, mais jamais devant un tribunal ordinaire. De plus, le président est jugé selon les lois en vigueur et non un décret vaguement spécifié et hautement «révolutionnaire» d’un point de vue politique.
Et qu’en est-il de l’apparente célérité du procès? Entre les hurlements, les rafales de plaintes déposées par les avocats et autres procédures étranges, qu’est-ce qui a rendu ce tribunal plus semblable à une gare qu’au décor de la série Perry Mason?
La roue de la justice égyptienne peut être lente à se mettre en marche, même si elle a l’air de tourner plus vite pour les procès criminels que pour les procès civils. Et oui, la scène du tribunal était un peu inhabituelle, mais les procès criminels ne se déroulent pas de la même manière que les procès américains. C’est moins un procès discret durant lequel les témoignages sont livrés à l'oral durant plusieurs jours, mais plutôt une série de brèves auditions, étalées sur plusieurs mois, durant lesquels des papiers sont remplis, des motions faites, et où des juges mènent des procès en de rapides séquences.
Et même pour l’élément le plus ridicule —lorsqu’un avocat a déclaré que Moubarak était en fait décédé et que c’était son sosie qui se trouvait dans le tribunal— il peut simplement s'agir de la version farfelue d’une ruse habituelle d’avocat égyptien.
Quiconque veut retarder un procès peut souvent y parvenir en demandant une enquête faite par un expert avant que le procès ne puisse avoir lieu. (Généralement, l’avocat requérant un délai demandera quelque chose comme l’authentification d’une signature, plutôt que de demander un test ADN, pour prouver que l’accusé n’est pas un sosie, mais peut-être que dans ce cas, l’avocat a senti que l’occasion requérait un traitement spécial).
L'Egypte doit penser à son avenir
Ceci n’est pas pour dire que le procès de Moubarak sera une grande avancée pour l’avenir de l’Egypte. Des experts en justice de transition trouveraient sans doute les procédures égyptiennes —et plus encore le climat général— trop axées sur la justice pour des faits passés, et pas assez à l’écoute du besoin de réconciliation aujourd'hui dans le pays. Sans aller jusqu’à dire que les anciens dirigeants doivent être traités avec des pincettes, ils privilégieraient certainement l’établissement de la vérité et de la responsabilisation par rapport à la vengeance et au châtiment.
Il y aura d’autres bizarreries de procédure au fur et à mesure du déroulement du procès de Moubarak. Certains des ses aspects les plus étranges paraîtront normaux, alors que des éléments surprenants —et plus particulièrement l’utilisation d’un pouvoir judicaire ordinaire— échapperont parfois à l’attention des personnes extérieures. Mais pour le meilleur ou pour le pire (et un mélange des deux), ce procès sera juste une procédure purement égyptienne.
Nathan J. Brown
Traduit par Sandrine Kuhn
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