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L'ex-président Moubarak et ses fils, lors de l'audience du 3 août  2011 au Caire. © REUTERS/Stringer Egypt
L'ex-président Moubarak et ses fils, lors de l'audience du 3 août 2011 au Caire. © REUTERS/Stringer Egypt

Moubarak: procès ou parodie de justice?

Le procès de l'ex-président égyptien, après seulement quelques mois d'instruction, peut-il solder le passif d'une dictature de trente ans? Son procès a de nouveau été reporté au 28 décembre.

Mise à jour le 31 octobre 2011- Le procès de l'ex-président égyptien Hosni Moubarak pour corruption et meurtre de manifestants a été reporté au 28 décembre, en attendant une décision sur un éventuel remplacement du juge, a indiqué l'agence officielle Mena.

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Ainsi donc le procès de l’ancien président égyptien Hosni Moubarak, de ses deux fils Alâa et Gamal sans oublier plusieurs anciens haut responsables dont l’ex-ministre de l’Intérieur, Habib el-Adli, a fini par se tenir, même s’il a été renvoyé au 28 décembre. Mais faut-il applaudir cette justice mondialement médiatisée? Pas si sûr. Certes, le tyran égyptien va enfin répondre d’une partie de ses crimes notamment la mort, par ses ordres, de plusieurs centaines de manifestants en janvier et février 2011. De plus, nombre d’Egyptiennes et d’Egyptiens voulaient absolument que ce procès ait lieu de manière à ce que leur révolution soit renforcée et qu’ils aient enfin la preuve qu’un retour en arrière ou une restauration de l’ancien régime sont désormais choses impossibles.

Gêne et interrogations

Mais il est difficile de ne pas éprouver une sensation de malaise face aux images de ce vieillard de 83 ans humilié et avili devant la planète entière en étant présenté à ses juges sur une civière et dans une cage. Une cage et des barreaux qui font immanquablement penser aux procès des années 1990 d’islamistes radicaux dont certains ont été condamnés à la peine capitale puis exécutés. Peut-on se réjouir d’entendre la foule exiger que Moubarak soit vite pendu sur la place Tahrir? Certainement pas, car une telle justice expéditive risquerait d’entacher à jamais la révolution égyptienne et cette place devenue un symbole mondial du printemps arabe. Et relevons au passage que cela confortera d’autres tyrans, comme Bachar al-Assad, dans leur intention de ne rien céder à leur peuple.

Oui, Moubarak mérite d’être jugé. Ses fils aussi, véritables déprédateurs qui ont mis en coupe réglée l’économie de l'Egypte. Mais le procès du 3 août ne correspondait à rien d’autre qu’à une parodie destinée à calmer les Egyptiens et à leur prouver que les changements majeurs qu’ils réclament sont en cours. Pourquoi un tel empressement? Peut-on vraiment croire qu’une instruction de quelques mois peut solder le passif de trente années de dictature? N’est-on pas en droit de penser que c’est le système, mêlant privilèges des militaires et affairisme, qui a décidé de sacrifier à la vindicte populaire l’un de ses éléments, coupable d’une trop grande rapacité, pour préserver l’essentiel. On scie une branche en faisant croire que c’est tout l’arbre qui est coupé. On tranche la tête du parrain, mais la mafia demeure…

Ne pas insulter la révolution

Il ne s’agit pas défendre Moubarak ni même de se laisser émouvoir par ce qu'il lui arrive. Ce dernier n’est pas une victime et on ne saurait oublier ses errements et ses agissements. Mais l’essentiel est de ne pas perdre de vue ce pour quoi les Egyptiens, comme les Tunisiens d’ailleurs, se sont révoltés. On a parlé d’exigence de dignité mais il ne faut pas oublier la revendication aux droits. Moubarak a des droits que le pouvoir transitoire égyptien doit respecter. S’il ne le fait pas, s’il mène un procès dont l’issue est connue à l’avance, alors il fait non seulement insulte à la révolution mais il annonce une bien sombre couleur en perpétuant l’arbitraire de la dictature. L’important pour l’Egypte est la bataille pour l’Etat de droit et pour que les choses changent en profondeur. Si un général vient à remplacer un Moubarak pendu ou condamné à vie sans que la justice n’ait sérieusement fait son travail, alors la révolution n’aura finalement servi à rien.

Il faut aussi espérer que les Egyptiens sauront éviter l’erreur des Irakiens. En 2006, la pendaison dans des circonstances sordides de Saddam Hussein avait choqué le monde entier, renforçant au passage le cliché selon lequel les Arabes ne sont que des barbares adeptes de la loi du talion. De fait, il serait peut-être opportun pour les Egyptiens de s’inspirer de ce qui se passe en Norvège et de la manière digne avec laquelle la population réagit à la double tuerie d’Oslo et d’Utoya. De la colère, oui, mais pas au point d’en oublier les principes humanistes et de se comporter de la même manière que le monstre tueur d’innocents.

Juste une mise en scène?

Reste enfin, une autre hypothèse. On peut aussi se demander si cette justice mise en branle en plein mois de ramadan (un exploit quand on sait qu’habituellement le pays tourne au ralenti en cette période) ne relève pas d’une stratégie bien orchestrée qui jouerait sur la versatilité supposée du peuple égyptien. «Pardonnons-lui. C’est un vieillard malade. Ne soyons pas cruels», s’est exclamée une jeune avocate interrogée par la chaîne Al-Arabiya. Oui, un homme de 83 ans que l’on mène au tribunal dans une civière et que l’on enferme dans une cage, peut effectivement provoquer de la pitié laquelle ne fait pas toujours bon ménage avec l’exigence de justice. Voilà pourquoi, là aussi, la célérité d’un tel procès et sa mise en scène, paraissent suspectes.

Akram Belkaïd

 

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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