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L'Afrique du Sud impressionne
La «Nation arc en ciel» vient d'être intégrée dans le groupe des puissances émergentes, le Brics (Brasil, Russia, India, China et South Africa). Même si elle n'a pas encore le poids de ses nouveaux partenaires.
Jacob Zuma, le président sud-africain, en a rêvé; il l’a eu. Son grand frère chinois l’a invité dans la grande famille des puissances émergente: le Brics (groupe informel qui réunit le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et désormais l’Afrique du Sud).
La ministre des Relations internationales et de la coopération sud-africaine, Maite Nkoana-Mashabane, se réjouit des «apports importants que l’Afrique du Sud pourra apporter aux Brics»: faciliter les investissements des nouveaux partenaires sur le continent africain, faire poids dans le G20 et dans les négociations sur le changement climatique pour les pays en développement, participer aux réformes du commerce international et des Nations Unies. Le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud souhaitent figurer comme membres permanents au Conseil de Sécurité de l’ONU. La Chine et la Russie le sont déjà.
Le nouveau monde
«Les changements que nous percevons sur la scène économique s’opèrent peu à peu sur la scène politique. Il faut être prêt à construire un monde bipolaire, et minimiser les turbulences».
Singh Batia vient tout juste de prendre sa retraite d’ambassadeur de l’Inde à l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) de Genève. Pour lui le monde de demain est un monde avec «des leaderships venus de tous les continents, pour plus de prospérité et de paix. Il ne sert à rien de remplacer une superpuissance (les Etats-Unis) par une autre superpuissance (la Chine).» Mais l’Afrique du Sud a-t-elle vraiment sa place dans le leadership mondial?
Pour Neren Rau, directeur de la chambre de Commerce à Johannesburg et représentant de 17.000 entreprises sud-africaines, interrogé par SlateAfrique, le pays a encore un long chemin à faire pour être un membre influent parmi les Brics:
«L’invitation de la Chine fut une surprise pour nous tous. Il faut que l’Afrique du Sud renforce ses liens économiques avec le continent africain. La Chine et l’Inde ont de grandes ambitions en Afrique, de lourds investissements à sécuriser, c’est pour cela qu’ils nous ont invités. Il faut mettre en place un vrai agenda d’actions pour être à la hauteur. Il n’y en a aucun pour l’instant.»
Représentant de l’Afrique?
Intégrer les Brics faisait partie des objectifs du mandat du président Zuma. Mais comme un cadeau que l’on a désiré pendant de longues années, une fois qu’on l’a entre les mains, on ne sait plus trop quoi en faire.
L’adhésion de l’Afrique du Sud aux puissances émergentes est un bon exemple de la présidence Zuma: beaucoup de discours, peu d’ambition. Il ne sait visiblement pas où conduire son pays.
Son prédécesseur, Thabo Mbeki, avait de réels desseins pour l’Afrique du Sud, en terme de leadership du moins. Il se voulait le fondateur d’un nouveau panafricanisme. Bien sûr, comme dans les années de décolonisation, le père de la «renaissance africaine» s’est heurté à la Real Politik et aux anciennes alliances. Il a ruiné son idéal d’une «Afrique rebelle, anti-dictateur», en accordant son soutien à Robert Mugabe.
Jacob Zuma, en tentant de concilier toutes les parties, n’a jamais pris de position ferme sur aucun dossier «africain» depuis qu’il est à la présidence. Ni au Zimbabwe, ni en Côte d’Ivoire.
En matière économique, l’Afrique du Sud est certes la première puissance du continent et son premier investisseur, mais sa croissance reste faible par rapport aux autres puissances émergentes: 2,6% seulement au dernier trimestre 2010.
Et encore, le chiffre est toujours boosté par la Coupe du monde de juin 2010. Le chômage, les inégalités, une croissance qui ne profite qu’à une infime partie de la population, le médiocre système d’éducation sont autant de facteurs qui forcent l’Afrique du Sud à régler en priorité ses problèmes internes plutôt que de s’ouvrir aux questions globales.
Attirer les investisseurs occidentaux
L’Afrique du Sud est beaucoup moins importante que ses nouveaux alliés par sa taille, sa croissance, et sa population; elle ne devrait pas beaucoup peser dans la balance des puissances émergentes.
L’économiste sud-africain Stephen Gelb ironise: «Maintenant qu’on a l’étiquette des Brics, on pourra toujours prétendre qu’on leur ressemble! C’est bien, ça va attirer les investisseurs européens, ils auront plus confiance en notre pays!»
Après tout, le terme «Bric» est une pure intellectualisation de l’institut de conseils et d’investissements américain Goldman Sachs, pour regrouper les puissantes émergentes et établir des statistiques.
Les quatre pays cités par Sachs, honorés d’être ainsi «craints» par les économistes américains, ont finalement décidé de se réunir une fois par an pour parler de «l’avenir du monde». Ils se disent «alliés». Mais il n’existe officiellement aucun accord commercial ni droit de véto sur aucun de ces partenaires.
Interrogé par SlateAfrique, Stephen Gelb est lui carrément sceptique sur l’intérêt de ce partenariat. «En fait, ce sont plus les Européens et les Américains qui s’intéressent aux Brics. Les pays émergents s’en servent pour se vendre. Pour nous, c’est juste un instrument marketing.»
Sophie Bouillon