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Les martyrs s'affichent dans les rues égyptiennes

Une centaine de jours après le départ d'Hosni Moubarak, un vent de liberté souffle plus que jamais dans les rues égyptiennes. Le peuple profite intensément de la liberté d’expression inédite qu’il vient d’acquérir —sans oublier qu’ils en ont payé cher le prix.

Ganzeer, un artiste cairote de 29 ans, s’est mis en tête de rendre hommage à ceux qui sont morts pendant la Révolution, victimes de la répression de l’ancien régime. Avec un groupe de bénévoles, il tague dans la rue les portraits des martyrs. Il explique sa démarche:

«Il y a quelques temps, j’ai mis en place cette initiative d’art de rue qui consiste à peindre le portrait des martyrs qui sont morts dans la rue. Le but est d’un côté de leur rendre hommage, et d’un autre côté de rappeler aux passants le combat qu’a mené l’Egypte pour la liberté, la démocratie et l’égalité.»

Pour l’instant, deux graffitis ont été réalisés: les cairotes ont pu contempler les visages de Seif Allah Lustafa, 16 ans, et d’Islam Raafat, 18 ans, s’étaler sur de larges murs de la capitale égyptienne. Mais au bout d’un mois, les autorités ont peint par-dessus. Ganzeer confie au Guardian son goût pour la liberté, qu’il n’est pas prêt d’abandonner:

«Interdire l’art dans les espaces publics, c’est instaurer l’idée qu’il y a une plus haute autorité dans la rue que les citoyens ordinaires, ce qui fait que les gens se sentent tout petits. Mais à Tahrir et dans les manifestations qui ont eu lieu dans tout le pays, le peuple a pris goût à la liberté d’expression et le gouvernement ne peut pas reprendre facilement cet espace de liberté. Peindre des graffitis, c’est prendre possession des rues, exactement comme on l’a fait pendant la révolte. Bien sûr, c’est politique et illégal.»

La ferveur révolutionnaire inspire les artistes égyptiens qui sortent de la longue torpeur de l’ère Moubarak. Un esprit Do It Yourself («fais-le toi-même») imprègne les rues, désormais propriété publique du peuple qui a chassé le tyran du pouvoir. Le professeur Elliott Colla, expert égyptien à l’université de Georgetown aux Etats-Unis, explique:

«Les gens sentent qu’ils peuvent s'occuper d’eux-mêmes après la révolution. Ils maintiennent l’ordre dans leurs quartiers, ramassent leurs ordures et peuvent peindre sur les murs. Ils n’ont plus besoin de la permission de quiconque. C’est un changement fondamental. Avant, si l’on voyait quelqu’un faire quoi que ce soit dans la rue, on se demandait "qui peut bien le laisser faire ça?" Maintenant on pense: "je peux faire ça".» 

Musique, art de rue, cinéma; toutes les formes d’art s’inspirent de la Révolution, parfois maladroitement. Mais si cette profusion revêt un caractère brouillon, l’enthousiasme suscité par le changement politique et la liberté retrouvée des Egyptiens est néanmoins porteur d’espoir.  

Lu sur le Guardian