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Dakar, la bataille de l’électricité
Du fait des coupures de courant récurrentes, des «émeutes de l’énergie» embrasent le Sénégal.
Depuis 2005 au Sénégal, la Société nationale d’électricité (Senelec) a du mal à satisfaire ses abonnés. Les «délestages» (coupures d’électricité) font ainsi partie du vécu quotidien des sénégalais. Mais la coupe commence à être pleine. Les émeutes de l’électricité ont repris de plus belle, menaçant même la famille présidentielle dont la résidence à Niarry Tally a été vandalisée.
La mauvaise gestion de la Senelec épinglée
Le courant électrique est un véritable luxe pour les concitoyens d’Abdoulaye Wade, le président du Sénégal. Malgré un contrat signé récemment avec Electricité de France (EDF), la Senelec fait encore face à d’énormes difficultés techniques et financières en raison de la vétusté de son matériel. Parfois, l'électricité est coupée 35 heures d'affilée.
Les charges afférentes à l’approvisionnement en combustible représentaient en 2009 à environ 134 milliards de francs CFA (environ 200 millions d'euros). Et à plus de 190 milliards en 2010 pour un chiffre d’affaire estimé à 248 milliards (environ 378 millions d'euros).
Un consultant en économie pétrolière du nom de Djibril Thiongane estime que le système d’achat du carburant de la Senelec est mauvais.
«La Senelec est prisonnière d’un certain lobby qui s’arrange pour organiser de faux appels d’offres qui débouchent sur des prix exorbitants. Supérieurs de plus de 30% que ceux pratiqués sur le marché international.»
L’audit de la Senelec prescrit par le Chef de l’Etat a révélé que l’entreprise consacrait 800 millions de francs CFA (près de 1,2 million d'euros) au quotidien à l’achat de combustible.
En outre, la Cour des Comptes a consacré un rapport à la gestion 2005-2008 de la société nationale d’électricité. Elle s’est étonnée que la Senelec ne recouvre pas la pénalité estimée à 5,7 milliards de francs CFA (4,1 milliards d'euros) que lui doit la Centrale privée de Kounoune Power. La Cour des comptes a également demandé à la Senelec de dénoncer le contrat qui la lie à GTI (un fournisseur indépendant d'électricité), à cause des multiples défaillances de son fournisseur principal.
Les Dakarois en guerre contre les délestages
Pour manifester leur colère, les populations ont pris l’habitude d’organiser des émeutes. Dans les principaux quartiers de Dakar, des scènes de guérilla urbaine opposent depuis le 8 janvier les forces de l’ordre et les populations à la tombée de la nuit.
Les Sénégalais disent haut et fort qu’ils en ont marre des délestages. Des pneus sont brûlés aux carrefours bloquant ainsi la circulation, des barricades dressées, des routes obturées, des agences Senelec saccagées, des bus Dakar Dem Dik complètement réduits en cendre; voilà le bilan de ces chaudes nuits dakaroises. De Liberté 6 à Hamo dans la banlieue, en passant par les quartiers semi-présidentiels de Sacré Cœur, Liberté 5 et Dieuppeul, mais aussi Yarakh, Parcelles Liberté 6, les dakarois mettent à sac tout ce qui leur rappelle l’obscurité dans laquelle ils sont obligés de vivre.
A Niarry Tally, la maison familiale du président Wade a elle aussi subi l'ire populaire. Mécontente de voir cette famille privilégiée s’éclairer au moyen d’un groupe électrogène, la foule a failli saccager la belle bâtisse.
L’année dernière, des imams de la banlieue dakaroise avaient organisé la révolte contre les coupures d’électricité.
Pour faire face, les forces de sécurités sont obligées de procéder à des patrouilles. Ils sont postés aux différents points chauds pour prévenir tout risque de dérapage.
L'économie nationale pâtit autant que les particuliers
Ces «délestages» (coupures d’électricité) récurrents génèrent un manque à gagner important. Les aliments pourrissent dans les réfrigérateurs, les appareils électroménagers tombent en panne et certains Sénégalais sont réduits au chômage parce que le travail qu’ils exercent nécessitent de l’électricité. Les couturiers, mécaniciens, menuisiers et certaines petites entreprises se rongent le frein pendant des heures en attendant le retour de la lumière.
Suivant de récentes estimations, ces délestages grignotent 2,2% du produit intérieur brut sénégalais. Beaucoup d’hommes d’affaire et d’investisseurs étrangers déplorent cette situation qui leur coûte excessivement cher.
«C’est intolérable. On est obligé d’acheter des groupes pour pouvoir travailler. Je gère une unité industrielle dans le domaine de l’agroalimentaire, mais je perds beaucoup d’argent en carburant pour faire marcher le groupe», témoigne Jean Daniel.
Pour sa part, Nourredine, un jeune entrepreneur marocain, a tout simplement décidé de plier bagage et de rentrer chez lui. «Je ne peux plus supporter les délestages. C’est franchement difficile de vivre dans le noir et de voir le travail ralenti par les coupures d’électricité».
Ndèye Khady Lo