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France: le grand match des quotas
L'affaire des quotas dans le foot français a peut-être fait «pschitt», elle révèle néanmoins que les stéréotypes sur les noirs ont la peau dure.
L’affaire des quotas dans les centres de formation des jeunes qui a éclaté au sein de la Fédération française de football (FFF) s’est révélée un feu de paille.
C’est le moins que l’on puisse dire, au regard des commissions d’enquête diligentées par le ministère français des sports et par la FFF. Le temps que l’indignation suscitée retombe, la polémique n’aura finalement fait que distraire le monde sportif du fond du problème. En tous les cas, d’après le ministère des Sports, il n’y aura pas de suite judiciaire à l'enquête. Mais le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) ne l’entend pas de cette oreille. Son porte-parole Louis-Georges Tin s’interroge:
«Est-ce une enquête véritable, ou un simulacre, un écran de fumée destiné à faire illusion ou cacher la vérité? Ces interrogations légitimes suffisent à nos yeux un dépôt de plainte. Car nous voulons faire la lumière et, à ce jour, seule une enquête judiciaire nous permettrait d’y voir plus clair, quand tout est fait pour jeter un voile d'ombre sur l’affaire.»
En Afrique, les opinions sont assez partagées à ce sujet. Certains pensent qu’après la débâcle de l’équipe de France au Mondial 2010 en Afrique du Sud, il ne fallait pas compromettre sa fragile reconstruction entamée par Laurent Blanc. En cela, la position du ministère de tutelle est plus sage, mais moins juste. D'autres, au contraire, soutiennent qu’il fallait des sanctions pour prévenir des dérives encore plus graves dans le futur. Surtout que cette affaire concerne des gens à qui l'on a confié des responsabilités au plan national.
«Les moyens pour limiter les binationaux ont effectivement été débattus. Le sujet a été abordé de manière maladroite et déplacée. Il y a des sous-entendus à la limite de la dérive raciste, mais il n’y a pas eu de projet d’instauration de quotas», a conclu la ministre des Sports, Chantal Jouanno.
Cette conclusion surprend peu les Africains. Pas plus que le sort réservé au directeur technique national (DTN) François Blaquart et à Mohammed Belkacemi, l’auteur du fameux enregistrement révélé par Médiapart. Ce qui surprend le plus, ce sont les stéréotypes qui continuent d’être véhiculés dans le football sur les Africains ou les noirs en général.
L’erreur de Laurent Blanc a été de déclarer notamment: «Les Espagnols, champions du monde, ils disent: "Nous, on n’a pas de problème. Des blacks, on n’en a pas"» ou de poser la question: «Qu’est-ce qu’il y a comme grands, costauds, puissants? Des blacks», alors que le débat portait sur le recrutement de plus de joueurs techniques et moins de joueurs physiques.
Certains de ses anciens coéquipiers de la célèbre équipe de France «black-blanc-beur» (qui a gagné la coupe du monde en 1998), comme Lilian Thuram et Patrick Vieira, ont jugé scandaleux les propos de Laurent Blanc —même si l’on peut penser qu’ils ne le soupçonnent pas personnellement de racisme. Une affaire de quotas sur fond de polémique, et qui a finalement divisé les ex-champions du monde français de football.
Les stéréotypes ont la peau dure
Le sélectionneur de l’équipe de France a peut-être été victime des stéréotypes du sportif noir. Le mythe de la puissance et de la résistance du noir, idée reçue et malheureusement répandue, date du temps de l’esclavage. Il a autrefois justifié que les noirs soient préférés aux Indiens dans les plantations. Un stéréotype perpétué de génération en génération dans l’inconscient collectif des peuples. Il a aussi figé le portrait des Africains comme excellant dans le domaine du sport. A tort ou à raison.
Que ce soit en Afrique, aux Etats-Unis, dans les Caraïbes ou en Europe, les noirs les plus célèbres dans le monde ont toujours été des athlètes. Mais, paradoxalement, c’est encore moins au football qu’on a connu des joueurs physiques.
Les Africains ou même les noirs d’Amérique latine qui ont évolué au plus haut niveau du football mondial n’ont jamais eu ce profil «mythique». Ils doivent bien souvent leur carrière davantage à leurs qualités techniques que physiques. Outre Marcel Desailly, il n’y avait pas un joueur costaud et puissant dans la sélection de l’équipe de France qui a remporté le Mondial 98. Et personne ne pourrait dire qu'il a eu la carrière qui a été la sienne parce qu’il n’était qu’athlétique.
Pléthores de contre-exemples
Et pour les footballeurs africains ayant fait carrière en France et ailleurs en Europe, les exemples sont légion. Le malien Salif Keïta, 2e meilleur buteur du championnat français à Saint-Etienne et Soulier d’argent européen en 1972, avec trois titres de champion et deux coupes de France n’est pas costaud ni puissant.
De même pour Jean Tigana, actuel entraîneur des Girondins de Bordeaux. Cet ancien joueur de l’équipe de France et qui a disputé la brillante coupe du monde de 1982 aux côtés de Michel Platini a contribué en grande partie à la victoire de la France à l’Euro 84. On se souvient encore de sa mémorable chevauchée solitaire à l'issue de laquelle il offre le but de la victoire à Platini.
Le Libérien George Weah, qui a passé une bonne partie de sa carrière en France, restera pour longtemps aussi dans les mémoires des passionnés de foot en raison de ses qualités techniques. Ce n’est d’ailleurs pas le fait du hasard s’il fut le premier joueur non européen à recevoir le Ballon d’or.
Le charismatique camerounais Roger Milla n’est pas pour autant physique. Connu pour ses dribbles extraordinaires, cet attaquant et Ballon d’or africain qui a évolué notamment à Valenciennes, l’AS Monaco, Bastia, Saint-Etienne, Montpellier, en a émerveillé plus d’un à l’occasion de la coupe du monde d’Italie en 1990 avec la sélection camerounaise.
Au nombre de ceux qui pratiquent en ce moment les stades européens, les meilleurs joueurs africains ne sont pas de la race des «grands», des «costauds» ou des «puissants», dans l’esprit du débat sur les quotas au sein de la FFF. Que ce soit le Camerounais Samuel Eto’o, considéré comme le meilleur avant-centre du monde, le Togolais Emmanuel Adebayor, qui fait les beaux jours des différents clubs où il évolue, ou le virevoltant ivoirien Didier Drogba.
De son vrai nom Edson Arantes do Nascimento, Pelé, légende vivante du football mondial, ne correspond pas au stéréotype du sportif noir. Il est pourtant considéré comme le plus grand footballeur de tous les temps. Ce champion du monde avec la sélection brésilienne à trois reprises (1958, 1962 et 1970), est l’auteur du triplé contre la France lors de la demi-finale et du doublé en finale contre la Suède, pays hôte de la coupe du monde de 1958. Il demeure le buteur le plus prolifique avec son millième but au Maracanã à Rio de Janeiro en 1969.
Outre la pérennité malheureuse des stéréotypes sur les noirs, cette affaire des quotas révèle également que le sport, pratiqué à haut niveau en dehors de l'Afrique, est l'une des trop rares chances qu’on laisse aux Africains ou aux noirs d'exprimer leur talent et de se faire connaître (ou reconnaître). Une affaire qui fâche les Africains du continent, qui y voient une manière de continuer à cantonner le noir au rôle qu’on veut bien lui accorder.
Pour l’ancien président de l’Olympique de Marseille Mababa Diouf, dit Pape Diouf, l’affaire des quotas révèle un malaise social dans la France actuelle:
«Pour un arabe ou un noir, faire partie des instances dirigeantes du football français, ce n’est pas possible.»
En France, le grand match des quotas est bien loin d’être terminé.
Marcus Boni Teiga
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