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Les amoureux au ban public
«L’Amour au Ban» sensibilise aux problèmes des couples franco-étrangers qui s’aiment, mais sont soupçonnés de mariage blanc. Le résultat peut sembler caricatural, mais Massamba Diadhiou affirme que, de sa pièce à la réalité, il n’y a qu’un pas.
Et la lumière fut. Douce, chaude, elle éclaire progressivement un petit banc en bois. Une femme s’assied, un homme la rejoint. Ils parlent, se découvrent, s’aiment… Mais le prince charmant est également un prince sans-papiers, explique la voix off. Une fois marié, Patrice reste clandestin: l’administration française soupçonne un mariage blanc, un délit passible de cinq ans d’emprisonnement.
Les doutes ne suffisent pas; il faut en avoir le cœur net. Deux policiers débarquent au domicile des époux, vérifient si les deux brosses à dents sont mouillées, si la cuvette des toilettes est relevée ou baissée… Les questions s’enchaînent: pouvez-vous me donner le patronyme de votre conjoint? Comment faites-vous pour vivre à deux avec votre salaire de vendeuse? Quand avez-vous eu des relations sexuelles avec votre femme pour la première fois? Pourquoi après deux ans de mariage n’avez-vous toujours pas d’enfant? Quelle est la fréquence de vos ébats?
Des situations absurdes
Les autres scénettes de L’Amour au Ban, jouées par huit comédiens bénévoles, présentent des situations tout aussi cocasses. François, qui partage la vie de Leïla, cherche à convaincre que «ce n’est pas parce que ce n’est pas un mariage de blancs que c’est un mariage blanc». Bientôt mère, Raïssa, elle, se bat depuis un an et demi avec le consulat pour rejoindre son mari en France. Quant à Maître Diop, il s’évertue à prouver à la préfecture et au policier venu l’arrêter qu’il ne s’appelle pas Olga, en réalité le prénom de sa cliente russe… Un peu trop caricatural?
«Les situations sont réelles, et vécues par la plupart des couples. Après, je ne veux pas dire que tous les fonctionnaires se comportent de la même façon. Ils ont des consignes, chacun a sa façon d’agir… Mais certains sont très zélés», commente Massamba Diadhiou, auteur de L’Amour au Ban, parue aux éditions Acoria.
La pièce est notamment soutenue par la Ligue des droits de l’homme, la Cimade, le Réseau éducation sans frontières et les Amoureux au ban public, le mouvement qui a sensibilisé Diadhiou aux tracas administratifs des couples franco-étrangers.
«En 2007, j’ai assisté à des tours de table avec Nicolas Ferran [l’un des principaux initiateurs des Amoureux au ban public]. C’est là que je me suis rendu compte de cette problématique. Pour la petite histoire, ces tours de tables, je n’en ai fait que deux parce que je ne pouvais pas supporter tout ce qui se disait en termes de brutalité, de tragédie...
C’est comme ça que l’idée (d’écrire la pièce m’) est venue. Parce que les situations étaient tellement absurdes et caricaturales que je me disais que ce serait comique, si ce n’était pas tragique», se souvient l’écrivain d’origine sénégalaise.
«Votre mari est décédé, donc vous n’avez plus rien à faire ici»
Et de raconter l’histoire vraie d’une habitante de Marseille qui venait de perdre son partenaire:
«Elle partait pour renouveler sa carte de séjour à la préfecture. On lui a dit: "Votre mari est décédé, il n’y a plus de communauté de vie, donc vous n’avez plus rien à faire ici. Vous devez partir". Et quand elle tentait de montrer qu’elle avait un boulot, qu’elle était bien insérée, elle nous a dit qu’on s’est moqué d’elle.»
Diadhiou, 33 ans, relate cet épisode avec émotion. C’est sa nature. «Toutes les injustices humaines me touchent...» Pour autant, l’auteur d’Œdipe, le bâtard des deux mondes (éd. L’Harmattan), un roman sur le déchirement identitaire, revendique sa neutralité.
«Dans la pièce, il y a une chose que je n’ai pas voulue: attirer un regard compassionnel sur les couples mixtes, et surtout pas utiliser une trame pathétique. Je voulais montrer ce qu’ils font, comment une partie de l’administration se comporte avec eux, comment on met tous les couples mixtes dans le même panier, sans aucune réflexion, et de façon automatique.
Ce n’est pas pour dénoncer, donner des leçons de morale. Juste pour qu’on sache comment aujourd’hui en France les couples mixtes sont traités, pour que personne ne puisse dire qu’il ne savait pas que ça se passait comme ça. Après, chacun décide, prend position. Soit pour, soit contre.»
Pour sa part, s’il souligne le calvaire de nombreux couples sincères, il n’oublie pas le tort causé par les fraudeurs, qui favorisent la paranoïa des autorités et montent parfois de douloureuses arnaques.
«Pour moi, un mariage blanc c’est juste une association de malfaiteurs, résume-il. Mais un mariage gris se fonde sur la souffrance de quelqu’un. Une personne est manipulée, on lui fait croire à l’amour pour avoir des papiers. Là, on nie la dignité d’un être.»
Habibou Bangré
L’Amour au Ban, les 15 et 22 mai à 20h45 et le 6 juin à 19h, au Théâtre du Nord-Ouest, 13 rue du Faubourg Montmartre, 75009 Paris.