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Kalabancoro-Plateau Extension : LA BATAILLE DU MARIGOT
A cheval entre la commune rurale de Kalabancoro et le District de Bamako, ce collecteur naturel est en voie d'obstruction suite aux travaux de construction d'habitations dans son lit
Les habitants de Kalabancoro-Plateau Extension viennent de vivre une journée folle. Des jeunes du quartier se sont, en effet, attaqués à des maisons en chantier au motif qu'ils obstruent la servitude du marigot qui sert de canal de drain des eaux de ruissellement pendant la saison des pluies. Armés de gourdins, battes ou autres barres de fer, les « justiciers » ont chargé, démolissant complètement les murs de clôture et des fondations en construction.
Ce coup de sang des jeunes de Kalabancoro-Plateau Extension extériorise un sentiment de colère longtemps contenu dans une zone jadis considérée comme un havre de paix. Ce jeune habitant du quartier résume l'état d'esprit des démolisseurs : le temps de la résignation est révolu. Si les autorités ont décidé de faire la sourde oreille face à leur détresse, les populations de Kalabancoro-Plateau Extension prendront elles-mêmes leur destin en main. Selon notre interlocuteur, l'acte de ses camarades est loin de survenir sur un coup de tête.
La révolte de la jeunesse provient d'un sentiment de désespoir. Kalabancoro-Plateau Extension, explique-t-il, est une zone marécageuse. Le plan d'urbanisation de la zone n'a malheureusement pas tenu compte de cet aspect physique. Le marigot qui sert de frontière naturelle, mais aussi et surtout de canal d'évacuation des eaux de pluie a été pris d'assaut par les services communaux. La servitude du marigot a été occupée par les nouvelles parcelles vendues pour usage d'habitation. Les travaux entrepris par les nouveaux propriétaires ont barré le lit du marigot. L'eau qui n'a plus de chemin pour se déverser dans le fleuve à quelques kilomètres de là, inonde les maisons. Comme ce fut le cas l'année dernière.
C'était un jour de grande pluie, se souvient Mamadou, un habitant de la zone. Le marigot étranglé n'a pu contenir le flot. Nombreuses sont les familles qui ont alors complètement fui les rez-de-chaussée pour se hisser sur les toits des maisons pour celles qui le pouvaient. D'autres ont abandonné leur maison immergée. Le spectacle offert ce jour-là par la montée des eaux était désolant. Les pleurs des enfants et les cris des chefs de famille impuissants face au désastre, étaient pathétiques, confie-t-il la gorge serrée.
En s'attaquant aux chantiers, les habitants du secteur affichent donc leur détermination à ne plus revivre le même cauchemar. La vue de la zone peut, en effet, inciter à la révolte car les grandes bâtisses poussent littéralement comme des champignons dans le lit du marigot.
Heureusement des bonnes volontés ont résisté à cet élan destructeur et invité à éviter à tout prix de créer une situation de crise irrémédiable. « C'est cet esprit qui nous a toujours animé. Nous avons toujours voulu régler ce problème par le dialogue et l'entente. C'est pourquoi nous avons pris à témoin l'ensemble des autorités concernées. Nous avons, dans notre démarche, écrit aux différents responsables administratifs et locaux. Les départements du Logement, des Affaires foncières et de l'Urbanisme, de l'Administration territoriale et des Collectivités locales, de l'Environnement et de l'Assainissement ont été ampliataires de nos lettres, au même titre que le gouvernorat du District, les mairies de Kalabancoro et de la Commune V du District de Bamako. Mais toutes ces lettres sont restées sans suite », énumère Djibril Coulibaly, un habitant du lieu.
Le droit derrière lequel se réfugient les autorités communales pour justifier l'occupation du lit du marigot ne peut nullement occulter le leur à vouloir vivre aussi dans la sérénité et la quiétude, soutient-il. « Ils veulent leur maison à eux, mais nous aussi nous tenons à notre vie et à celle de nos familles. Bamako est assez vaste pour venir obstruer un marigot. Et en cas d'inondation, ils sont les premiers à accuser les pouvoirs de n'avoir rien fait pour les secourir », s'emporte-t-il.
UNE ZONE PARTICULIERE. Son point de vue diffère de celui des propriétaires des chantiers qui voient dans cette révolte une « manigance » de certains élus locaux pour régler leurs comptes. Pourtant, les jeunes qui ont commis les saccages démentent être à la solde de qui que ce soi. Ils assurent agir pour la bonne cause, celle de protéger les vies. Des balivernes, réplique Mme Keita Mariam Diallo, une habitante dont la maison a été prise pour cible par les jeunes. Pourquoi leur maison et non certaines qui sont complètement dans le lit du marigot, se demande-t-elle. Selon Mme Keita, le problème d'inondation, évoqué par les jeunes, est connu de tous. Elle confie que son mari et leur voisin, député à l'Assemblée nationale, en ont fait leur affaire à travers un projet de pont qu'ils ont initié pour faciliter la circulation dans la zone.
Demba Traoré, une autre victime de l'agression des jeunes, est plutôt résigné. Le comportement des jeunes n'est pas surprenant, de son point de vue. « Je m'y attendais d'ailleurs. Pour celui qui a visité la zone, l'on se rend compte du problème d'inondation. Pour limiter les dégâts, mes voisins et moi avons investi plus de 600.000 Fcfa dans un canal de drainage des eaux de pluie. Malheureusement ces efforts n'ont servi à rien, car il s'est avéré que le passage de cet ouvrage était également un lot. La famille Traoré et les voisins ont essayé de dissuader le nouvel arrivant d'épargner le canal. En vain, déplore Demba Traoré.
A Kalabancoro-Plateau Extension, le foncier a la fièvre. Les chantiers surgissent de partout comme dans d'autres endroits de la capitale. Mais le phénomène a, ici, dépassé les bornes. Outre le marigot, les principales voies d'accès de la zone n'ont plus d'issue. Pour accéder au centre ville ou à leurs maisons, certains habitants sont astreints à un circuit de 5 kilomètres. La situation est d'autant plus intenable qu'elle enfreint la règlementation édictée par le Code domanial et foncier. Certaines des constructions ne figurent nullement dans le plan initial de lotissement de la zone, comme le reconnaît une lettre de la direction régionale de l'urbanisme et de l'habitat du district de Bamako (DRUH-DB), en date du 6 décembre 2011, adressée au directeur national de l'Urbanisme et de l'Habitat.
Kalabancoro-Plateau Extension est une zone particulière. Le site est à cheval entre la commune de Kati et la Commune V de Bamako. Les travaux d'urbanisation qui s'y effectuent sont à mettre au compte du District de Bamako, indique le maire de Kalabancoro, Issa Bocar Diallo. L'édile dément toute implication de la commune dans l'occupation de la zone. « De 1999 à nos jours, la mairie n'a été impliquée dans une quelconque transaction foncière dans la commune. Je mets au défi quiconque de prouver le contraire », insiste-t-il. Issa Bocar Diallo n'ignore rien de la situation mais invoque son impuissance face à un problème qui relève d'une autre circonscription.
Le responsable communal n'est pas responsable mais se sent pleinement concerné par le problème. Issa Bocar Diallo déplore ainsi le comportement de certains de ses collègues qui ternissent l'image des élus locaux. Il regrette que toutes ses démarches auprès de ces collègues de la Commune V soient restées sans suite, malgré son insistance de les rencontrer pour discuter des suites à donner aux plaintes de l'Association pour le développement de la zone de Kalabancoro-Plateau Extension.
Les riverains ont, eux, cessés d'attendre. Auront-ils gain de cause pour autant grâce à la manière forte ? Rien n'est moins sûr.
L. DIARRA