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L’Afrique, l’autre berceau du reggae
Popularisé sur le continent dans les années 70 par Bob Marley, le reggae continue de susciter des vocations et d'être un symbole de liberté.
Partout où il se déplace aujourd’hui, le reggaeman ivoirien Tiken Jah Fakoly électrise les foules. Avec ses chansons fortement contestataires, il est devenu en seulement quelques années, depuis son premier concert en 1998 à Paris, la voix des sans voix du continent africain.
Sa musique, énergique et révoltée, véhicule un discours franc et virulent contre les dictatures. Mais l’artiste relaie aussi le sentiment antifrançais de plus en plus présent en Afrique —un thème très à la mode actuellement. Le reggae, il l’utilise pour «éveiller les consciences et dénoncer les injustices que subit le peuple africain». Résultat, Tiken Jah Fakoly a un avis sur tout, et sur tout le monde.
Son compatriote ivoirien Alpha Blondy , star incontestée et figure emblématique du reggae africain depuis sa première apparition à la télévision il y a trente ans, se considère quant à lui comme un «rastaphoulosophe». Avec des textes et une musique certes contestataires mais davantage empreints de spiritualité, il a ouvert la voie à un grand nombre d’artistes et su faire d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, l’une des trois capitales mondiales du reggae, après Kingston (Jamaïque) et Londres (Royaume-Uni).
Longtemps, Alpha Blondy a cheminé en parallèle avec l’autre mégastar du reggae en Afrique, le Sud-Africain Lucky Dube, tué par balles en 2007 dans la banlieue de Johannesburg, la capitale économique et culturelle de son pays d’origine. Depuis ses débuts en 1981, il avait produit plus de 25 albums pour dénoncer, comme tant d’autres, le système ségrégationniste de l’apartheid.
La nouvelle génération du reggae
Si ces trois noms sont ceux qui reviennent le plus souvent lorsqu’on évoque le reggae sur le continent africain, la liste des héritiers de Bob Marley est pourtant longue —interminable même. Partout, de Johannesburg à Tunis, nombre de reggaemen cherchent à percer, avec plus ou moins de talent. Tous n’ont pas la possibilité de se produire hors du continent, mais leur passion pour cette musique rebelle et révolutionnaire sait toujours trouver un écho au sein d’une population qui, pour la plupart, n’a vraiment jamais cessé de croire en l’idéologie rastafari.
Sister Phumi en Afrique du Sud, la Camerounaise Kaissa, Rocky Dawuni au Ghana, Serge Kassy en Côte d’Ivoire (dont on a annoncé la mort en avril 2011 lors des affrontements à Abidjan), ou encore les Black Missionnaries au Malawi; tous s’efforcent de produire une musique de qualité et à portée sociopolitique. A l’instar de leurs aînés, ils contribuent tant bien que mal à maintenir le reggae parmi les genres musicaux les plus populaires d’Afrique.
Contester pour exister
Le reggae a drainé des stéréotypes qui ont vite collé à la peau de tous ceux qui, à une époque, cherchaient une échappatoire à la crise identitaire noire. Ces mêmes stéréotypes qui sont aujourd’hui le symbole d’une jeunesse en proie à une désespérance sociale. Dreadlocks, ganja et une nonchalance teintée d’insouciance.
Mais au-delà de ces clichés —et c’est là toute la magie de cette musique— le reggae a réveillé la conscience de la jeunesse africaine et continue de convaincre cette dernière que «l’Afrique est bien la terre promise», comme l’affirme l’idéologie rasta.
Le rastafarisme, un des mouvements mystiques les plus populaires du XXe siècle, révélé par le très illuminé empereur d’Ethiopie Hailé Sélassié 1er, a en effet trouvé dans le reggae un vecteur de diffusion massive. Au point que certains les ont souvent confondus, tous deux faisant appel à la «fierté» du peuple noir et prêchant un «retour aux racines».
Si les Africains se sont approprié le reggae, c’est aussi parce qu'il semble fortement s’appuyer sur des sonorités traditionnelles du continent. D’ailleurs, de jeunes pousses n’hésitent pas introduire des musiques de leur pays, comme la reggaewoman Kaissa qui introduit dans ses albums le Makossa, rythme traditionnel camerounais.
L’influence de Marley
Introduit en Afrique dans les années 60 par les musiciens Desmond Dekker et Jimmy Cliff, le reggae est véritablement popularisé sur le continent par le très mythique Bob Marley, dont on commémorait le trentième anniversaire de la mort le 11 mai 2011.
Marley visite l’Ethiopie en 1978, prête sa voix aux problématiques sociopolitiques du continent africain, soutient avec force détermination la lutte pour l’indépendance de la Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) et sort des tubes comme Africa Unite, Zimbabwe ou Wake Up and Live. Mais c’est le concert qu’il donne en avril 1980 pour célébrer l’indépendance du Zimbabwe qui scelle définitivement le lien entre Marley et l’Afrique, entre le reggae et le continent noir.
Dès lors, un créneau s’ouvre pour les musiciens africains, et les populations, elles, trouvent à travers le reggae un véritable exutoire pour cracher toutes leurs frustrations et dénoncer la «domination» de l’Occident.
Depuis le fameux concert d’Harare, cette musique venue de la lointaine Jamaïque est encore aujourd’hui un outil d’affirmation identitaire et de revendication sociale. Un esprit contestataire que les artistes se sont donné pour mission de maintenir en vie même trois décennies après la disparition de l’icône du reggae.
Raoul Mbog
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