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Le pouvoir , l’opposition et la peur pour la Tunisie
Par Mansour M’henni
A chaque fois que j'entends parler nos responsables politiques, au pouvoir comme dans l'opposition, j'ai encore plus peur pour la Tunisie, après la chance qu'elle a ratée, à la mi-janvier 2011, de balayer les indices de la défection et de remettre la machine en marche pour le développement et le progrès dans une ambiance démocratique sereine et civilisée. Ce jour-là, il y avait des forces qui avaient besoin du chaos, ou presque, pour prendre pied sur un sol où elles semblaient ne pas avoir racine. C'était dans la logique de l'Histoire, la faute est sans doute à tous ceux qui n'avaient su ni prévoir ni contenir le flux.
Aujourd'hui, la Tunisie est dans l'Etat où elle est, un état que d'aucuns continuent de trouver normal et même nécessaire. C'est leur droit de le penser au nom de la démocratie, mais il est du droit des autres de souligner qu'un peuple et un Etat qui sont passés par la richesse civilisationnelle de la Tunisie n'ont pas le droit aujourd'hui de sombrer dans un semblant de confusion généralisée qui ne saurait déboucher sur un sort meilleur !
Passe sur la troïka et sur les incohérences de son discours et l'arrogance de certaines de ses démarches : elle est au pouvoir et le pouvoir corrompt par définition, à plus ou moins longue échéance ; le musée de l'Histoire est plein d'exemples édifiants dont personne ne paraît vouloir tirer la leçon qui se devrait ! Je crois même que la troïka a trop gaffé pour accepter les bonnes règles d'un vrai fonctionnement démocratique, sain et transparent, engagé et constructif. Elle est déjà dans l'appréhension des suites d'un transfert du pouvoir non contrôlé par elle et elle s'applique à l'assurer à sa manière, par tous les moyens dont elle pourrait user, indépendamment de toute l'aspiration qui anime une majorité citoyenne. D'ailleurs, on ne pourrait même parlerde légalité, en l'absence d'une constitution qui tarde à venir, comme pour maintenir un arbitraire certain au centre des commandes ? C'est ce qui donnerait raison à tous ceux, nombreux, qui pensent que la vraie et la principale source du mal qui nous ronge, c'est bien l'ANC, l'assemblée nationale constituante dont les initiales sonnent comme une Assemblée de Non Compétence (pour ne pas reconduire d'autres formes de dénigrement dont pullulent les réseaux sociaux) !
Passons donc sur cela, ai-je dit, car les gouvernants d'aujourd'hui cherchent trop rapidement à aller vers ce que les dictateurs d'hier ont mis plusieurs années à se fixer comme objectif suprême : perdurer au pouvoir pour mieux exploiter, sinon trop exploiter trop vite et se garantir un refuge heureux, pour toute fin utile !
Par ailleurs, c'est l'opposition qui est tout aussi préjudiciable de ce point de vue. Je n'en voudrais pour preuve que de petits détails, apparemment anodins, mais en fait, au fin fond de l'état d'esprit qui, au nom de la lutte pour la démocratie, ne fait que reconduire la logique d'un quelconque leadership censé asseoir les piliers d'une domination future.
En effet, deux traits majeurs président au discours de l'opposition : chacun veut se présenter comme le principal initiateur d'une alliance démocratique généralisée pour lutter contre Ennahdha, donc aussi comme le principal conducteur légitime de l'opération et, en sous-entendu, le principal bénéficiaire légitime à l'arrivée, celle-ci étant l'éradication des islamistes au pouvoir pour prendre leur place.
J'ai peur qu'ainsi, l'opposition ferait comme l'amoureux jaloux qui, à force de s'attaquer à un rival avec acharnement et par tous les moyens, finirait par jeter sa bien-aimée dans les bras de ce rival ! En effet, construire un discours d'opposition sur l'attaque ferme et systématique d'Ennahdha est contre-productif. Il conviendrait alors de se faire valoir d'abord comme une dynamique favorable à un projet civilisationnel proche de l'affect des Tunisiens et conscient de ses problèmes les plus concrets. Il ne serait même pas temps de s'attarder sur des projets politiques spécifiques à chaque parti ou à chaque alliance. Il faudrait un projet civilisationnel commun à toutes les forces démocrates, indépendamment de tout narcissisme et de toute exclusive !
C'est l'argumentation seule, pour le projet et contre son contraire ou sa falsification qui tracera la voie décisive de l'opinion publique et donc de l'avenir. Plus de guide ni de messie, juste un projet crédible et ses assises institutionnelles ! Beaucoup d'énergie resterait ainsi en réserve pour le combat qui les nécessitera et qui est imminent !
Espérons seulement qu'il restera dans le cercle du combat politique, même si plusieurs indicateurs présagent du contraire !
Mansou M’henni le 6 avrl 2013