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Des rebelles à l'enterrement d'Abdel Fattah Younès, le 29 juillet 2011, à Benghazi. AFP PHOTO/GIANLUIGI
Des rebelles à l'enterrement d'Abdel Fattah Younès, le 29 juillet 2011, à Benghazi. AFP PHOTO/GIANLUIGI

Qui a tué le général Younes?

Le général rebelle, ancien ministre de Kadhafi, a bel et bien été assassiné jeudi 29 juillet. Mais nul ne sait par qui, ni pourquoi. Il y a comme une odeur de discorde dans les rangs de la rébellion libyenne.

L’ombre de la fitna (discorde en arabe) plane sur le Conseil national de Transition (CNT), instance suprême de la rébellion libyenne contre le régime de Mouammar Kadhafi.

Depuis l’assassinat, jeudi 28 juillet, d’Abdel Fattah Younes, le chef militaire des rebelles, les observateurs se perdent en conjectures et s’interrogent sur les motivations des assassins et sur les conséquences de leur geste. Officiellement rappelé à Benghazi pour s’expliquer devant le CNT sur le manque de progrès enregistré par ses troupes sur le terrain, Abdel Fattah Younes serait tombé dans un traquenard et aurait été tué par balles puis égorgé, et son corps brûlé.

Qui a tué Younes?

C’est la version qu’avance son neveu Hisham al-Obaïdi, pour qui les tueurs appartiennent à la Brigade des Martyrs du 17 février, l’une des composantes du CNT, dont il faut savoir qu’elle est l’héritière du Groupe de combat islamique libyen (LIFG), un mouvement islamiste qui a combattu le régime du Colonel Kadhafi dans les années 1990 et 2000.

Cette version n’a pas été confirmée officiellement mais de nombreux responsables du CNT interrogés par les chaînes arabes d’information ont reconnu plus ou moins ouvertement que Kadhafi n’avait rien à voir avec cet assassinat.

«C’est une très mauvaise nouvelle pour la cohésion de la rébellion, constate un diplomate maghrébin. Le risque maintenant est de voir se multiplier les règlements de compte car la tribu des Obeïdi à laquelle appartient Younes ne va pas rester les bras croisés.»

Reste à savoir quelles sont les raisons de cet assassinat. Si l’hypothèse d’un attentat commandité par Kadhafi est mise de côté (peut-être a-t-elle été trop vite écartée?), plusieurs explications sont possibles, toutes aussi inquiétantes les unes que les autres. A tel point que les Etats-Unis ont officiellement appelé les rebelles à éviter la désunion et à garder en tête que leur principal objectif est la chute du régime de Tripoli.

Vengeance islamiste?

La première hypothèse concerne donc une vengeance des islamistes membres de la Brigade des Martyrs du 17 février. Ces derniers auraient ainsi fait payer à Abdel Fattah Younes la répression qu’il leur a fait subir lorsqu’il était ministre de l’Intérieur de Kadhafi. Le fait que cette thèse soit évoquée par plusieurs observateurs met pour la première fois en lumière l’importance de la présence des islamistes au sein du CNT.

Plus ou moins minimisée par les dirigeants rebelles et leurs soutiens en Occident, cette mouvance s’enorgueillit du fait qu’elle a été l’une des premières à prendre les armes contre Kadhafi et qu’elle compte bien peser sur ce que sera la future Libye.

«Jusque-là, les islamistes sont restés plutôt discrets. Mais s’ils sont derrière l’assassinat, c’est qu’ils considèrent désormais que la direction militaire des opérations leur appartient», commente encore le diplomate algérien.

Une rébellion divisée?

Une deuxième explication met en cause le CNT lui-même. Ce dernier aurait tout simplement décidé d’exécuter Abdel Fattah Younes pour le punir d’avoir entamé des négociations directes avec le régime de Kadhafi en vue d’un cessez-le-feu —voire de son retour au bercail. Depuis sa défection en février dernier, Younes n’a jamais fait l’unanimité au sein du CNT, de nombreux opposants à Kadhafi lui reprochant à lui, comme à d’autres ralliés, le fait d’avoir longtemps servi le «Guide suprême».

Cette explication fait donc apparaître une ligne de faille qui traverse la rébellion entre ceux qui n’ont jamais été membre de l’appareil d’Etat et ceux qui, exilés, militants clandestins ou simples citoyens, ne se sont jamais compromis. Et la défiance entre les deux camps s’est aggravée avec l’enlisement des opérations militaires. Depuis la fin juin, les puissances occidentales, tout en continuant à bombarder Tripoli, exhortent le CNT à négocier avec Kadhafi. Dès lors, tout rallié devient un canal possible pour établir le contact avec ce dernier.

Abdel Fattah Younes a-t-il voulu jouer double jeu? Etait-il prêt à conclure un cessez-le-feu avec Kadhafi? A-t-il rejoint la rébellion sur ordre de ce dernier afin de mieux la contrôler? Il n’est pas sûr que l’on connaisse un jour la vérité, même si le CNT a mis en place une commission d’enquête. A cela s’ajoute une autre interrogation. Le général Khalifa Heftar, membre de la rébellion et que l’on dit proche des Etats-Unis et de la CIA, a-t-il décidé d’éliminer un rival dont il revendiquait le poste?

Qui veut les milliards gelés de Kadhafi?

Une troisième explication avance l’hypothèse d’une exacerbation des rivalités au sein du CNT, ce dernier étant en passe d’accéder à une partie des avoirs financiers libyens gelés à l’étranger. Le magot concerné est tout sauf négligeable puisque l’on parle d’une somme pouvant atteindre les 3,5 milliards d’euros (d’autres estimations tablent même sur 21 milliards). Avec une telle manne, le CNT sera capable d’acheter des armes lourdes; et il est évident que celui qui la contrôlera pourra empocher au passage de conséquentes commissions.

«Dans ce genre de conflit, il y a deux postes névralgiques: le commandement militaire et le contrôle des ressources financières. Si le CNT n’arrive pas à un consensus pour leur attribution, les risques d’une guerre des factions n’est pas à exclure», confirme un ancien diplomate français, pour qui cet été sera «l’heure de vérité pour la rébellion».

Reste enfin une dernière explication avancée par Moussa Ibrahim, le porte-parole du régime libyen. Selon lui, c’est al-Qaida qui serait derrière cet assassinat, l’organisation terroriste souhaitant à la fois marquer «sa présence et son influence» dans l’Est libyen et démontrer que le CNT n’aurait aucun pouvoir. Des propos qui rappellent que Kadhafi a accusé al-Qaida d’être derrière les troubles dans son pays dès la fin du mois de janvier et qui sonnent comme une volonté de prouver que l’Occident s’est fourvoyé en soutenant la rébellion.

Akram Belkaïd

 

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Akram Belkaïd

Akram Belkaïd, journaliste indépendant, travaille avec Le Quotidien d'Oran, Afrique Magazine, Géo et Le Monde Diplomatique. Prépare un ouvrage sur le pétrole de l'Alberta (Carnets Nord). Dernier livre paru, Etre arabe aujourd'hui (Ed Carnets Nord), 2011.

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