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Des réfugiés somaliens collectent de l'eau dans le camp de Dadaab au Kenya, le 3 avril 2011. REUTERS/Thomas Mukoya
Des réfugiés somaliens collectent de l'eau dans le camp de Dadaab au Kenya, le 3 avril 2011. REUTERS/Thomas Mukoya

En Somalie, la faim fait fuir plus que la guerre

Aux violences armées s'ajoute la «pire» sécheresse qu'ait connue la Somalie. Où se réfugier? Itinéraires et galères d’une famille dispersée dans l’enfer de Mogadiscio, au Yémen et au Kenya.

Quand ils sont arrivés dans le gigantesque camp de réfugiés de Dadaab au Kenya , l'un des plus importants au monde, en janvier dernier, les trois frères Khalif venaient de quitter leur Bakool natal, avaient marché longuement à pieds, roulé en camion chargés «comme des sardines», payé des passeurs puis marché de nouveau, à la frontière, pour rejoindre le camp...

La famille a enduré plusieurs années le harcèlement des miliciens armés, la pauvreté, le chaos d’une société qui vit sans Etat depuis 20 ans. Puis, ce jour-là, le père a dit: «on doit partir». Presque tout le village s'est vidé. «On a fait comme les autres. Il n'y avait plus rien à manger chez nous et chez les voisins», témoignent les enfants. Depuis, rien que dans ce méga-camp à la frontière kenyane, le HCR accueille environ 10.000 nouveaux arrivants de la Somalie, chaque mois.

Ils auraient aimé aller ailleurs, disent-ils, au Yémen, afin de poursuivre la route vers l'Europe. «Seul notre cousin a pu monter dans le camion vers le Nord du pays. Son père est mort l'année dernière et les économies de la famille ont payé son voyage». Traverser le Golfe d’Aden reste l’objectif, malgré la distance, malgré une route dangereuse et onéreuse. Samedi dernier, les trois garçons répondaient toujours présents à Dadaab, mais répètent toujours qu'ils n'en peuvent plus d'y rester. «C’est vrai, reconnaît un travailleur humanitaire sur place. Le camp est saturé,  les conditions y sont catastrophiques».

Fuir, peu importe la destination

Dans le clan familial, certains se sont dirigés directement vers la frontière éthiopienne. D'autres, comme le père, vers Mogadiscio, la capitale... pourtant le point le plus meurtrier du pays. Pour l'instant, les frères Khalif n'ont aucune nouvelle de lui.

Tout le monde devait quitter le village. Depuis la fin de l’année dernière, c’est un autre ennemi qui est venu s’abattre sur le pays, balayant les dernières raisons de s’attacher à la terre à laquelle ces éleveurs étaient pourtant très attachés: la faim.

En plus des combats qui s'intensifient ces dernières semaines dans la région, les habitants du centre et du sud du pays fuient le manque d'eau et de nourriture. Cette grave famine a été provoquée par des précipitations insuffisantes. «Nous connaissons la pire sécheresse de ces dernières décennies», témoigne un responsable du HCR local.

Les bêtes meurent, comme les hommes qui décèdent par centaines.  Les villageois sont forcés de manger des fruits non-comestibles. 10% des vaches et 5% des moutons et des chèvres auraient déjà péri, avançait fin avril un travailleur du Comité Internationale de la Croix Rouge. Les régions frontalières avec le Kenya, Bay, Bakool et Moyenne et Basse Shabelle sont les plus touchées, d'après plusieurs sources. «On n’a pas vu la Somalie aussi sèche en 30 ans» a déclaré Mike Sutherland, de Save the Children (presse).

A Mogadiscio ou dans la mer 

Un phénomène nouveau est relevé par diverses sources en effet: pour nourrir la famille, des adultes vont chercher du travail journalier dans les villes, même les plus dangereuses. La sécheresse pousse certains vers Mogadiscio, l’épicentre de la guerre. «C’est sans doute la première fois que des éleveurs et leur bétail migrent vers la capitale et cela illustre la gravité de la sécheresse dans le pays», selon l' OCHA.

Un travailleur local d’Association Humanitaire Africaine confirme que des déplacés venus de l’intérieur du pays «viennent dans les camps autour de Mogadiscio». Et précise: «le problème, c'est que la prise en charge humanitaire autour de la capitale est depuis très longtemps très insuffisante.»

Là-bas, les dernières nouvelles parlent de quelques «avancées» militaires en faveur du gouvernement légitime (TFG), soutenu par la force internationale (Amison), mais la situation demeure catastrophique.

«Mogadiscio reste un champ de guerre. Les islamistes armés occupent toujours beaucoup de quartiers, précise un haut gradé militaire de la force africaine sur place. On ne voit pas comment une zone pareille peut devenir une terre de refuge

Yémen, Somaliens non grata

Le cousin parti au Yémen est toujours injoignable; le contact connu à Aden, où réside une importe communauté somalienne, ne répond pas. «Nous attendons les nouvelles», espèrent toujours les frères Khalif.

Le Yémen, qui connaît aujourd'hui un important mouvement de révolte de rue contre le président Ali Abdullah Saleh, est sens dessus dessous.

Les mauvaises nouvelles régulièrement diffusées par les médias humanitaires arrivent jusque dans les camps: disparitions dans la mer lors de la traversée, rackets et violences sur les réfugiés commis par des bandits qui infestent certaines régions côtières, etc. Sans oublier que la rue yéménite ne voit pas d’un bon œil les Somaliens depuis qu’elle les soupçonne d’alimenter les contingents de mercenaires du président aujourd’hui contesté: des rumeurs persistantes  bien que démenties à chaque fois par les autorités de protection des réfugiés.

Tout cela, les frères Khalif, comme d’autres migrants somaliens, l’ignorent. Ou ne veulent pas savoir, tellement “le désir de pouvoir partir vaut plus que tout” (un travailleur du HCR, Kenya). Rien ne les dissuade de fuir. 5.000 Somaliens sont arrivés au Yémen seulement entre janvier et mars de cette année.

«Mettez vous dans la tête de ces gens, nous explique un agent local de l'ONG Adra travaillant au Yémen, rien ne peut les arrêter. Il n'y a pas plus infernal que ce qui se passe aujourd’hui chez eux. Alors, partout ailleurs c'est le paradis, à l'étranger».

Le monde gagnerait à aider tout de suite la Somalie 

Comment intervenir dans un tel contexte? «Nous aider à arrêter la guerre!», lance un officier supérieur de la force africaine  de maintien de la paix. Pour lui, l'équation est simple: la sécurité humanitaire est impossible sans la paix, «au point où on en est».

Il nous explique avec moults arguments que l'Occident gagnerait en participant au retour de la paix en Somalie: «La lutte contre la piraterie coûte énormément aux puissances occidentales. Si on nous aide à ramener la sécurité dans le pays, le phénomène peut être anéanti très facilement. Sans oublier l'argent dépensé pour lutter contre les flux migratoires» (qui profiterait en partie de l'absence de l'Etat de droit). La force africaine en Somalie manque en effet de moyens.

Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-moon reconnaît lui-même que les efforts de lutte contre la piraterie, par exemple, doivent être intégrés dans une solution globale pour la Somalie. «Notre réponse doit être globale et complète, englobant une action simultanée sur trois fronts: la dissuasion, la sécurité et la primauté du droit et le développement (...) une économie stable et prospère est la solution la plus efficace au problème de la piraterie»

Pour rappel, près de 1,4 million de Somaliens sont déplacés à l'intérieur du pays, 680.000 autres réfugiés dans les pays voisins. Cette grave sécheresse pourrait amplifier «les effets de la guerre» et rendre les mouvements des populations «incontrôlables dans toute la région» (officier burundais Amison). Les Nations Unies, le Fonds humanitaire commun pour la Somalie, les ONG locales et internationales se mobilisent.

«Mais les moyens sont très, très insuffisants!», estime un cadre ougandais qui suit le dossier à Addis-Abeba, à l’Union Africaine. «Nous sommes en Somalie, rappelle un journaliste somalien, ce n’est pas une des destinations privilégiées des bailleurs, depuis très longtemps».

Gaspillée, volée ou corrompue

Il faudra encore des efforts, hélas, pour rassurer davantage les donateurs. C'est une bombe qui vient de tomber sur le terrain du plaidoyer en faveur de la Somalie: une partie du milliard de dollars d'aide internationale donnée chaque année au pays pour secourir les populations serait gaspillée, volée ou corrompue, d'après une enquête d'un journaliste canadien corroborée par une série de sources humanitaires. A suivre. Dans tous les cas, dans le camp des réfugiés de Dadaab, les frères Khalif savent que le dur chemin de l'exil ne fait que commencer...

Edgar Mbanza

Cet article a d'abord été publié sur Youphil.


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Edgar Mbanza. Journaliste spécialiste de l'Afrique.

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