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Affaire DSK: bienvenue au cirque médiatique!
Dans l’affaire DSK-Diallo, les médias étaient à la traîne derrière la justice. C’est l’inverse aujourd’hui, au profit de numéros dignes d’un cirque. Texte et dessin inédits du dessinateur burkinabè Damien Glez.
Oyez, oyez, le cirque est dans vos murs! Inutile de chercher un chapiteau sur la place du village; zappez sur votre téléviseur et vous en aurez pour votre argent: rire, effroi, il y en aura pour tous les goûts!
Au début de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, les médias couraient derrière la justice pour obtenir une maigre pitance, entre photos floues et témoignages au conditionnel. En cette fin juillet, c’est la presse qui occultait, un temps, la procédure judiciaire. Avec le dévoilement du visage fantasmé de Nafissatou Diallo, les journalistes ont incontestablement pris les devants. C’est maintenant la justice qui semble courir derrière les médias.
Ne murmure-t-on pas que le report de la prochaine audience au 23 août aurait pu être inspiré, au procureur, par les déclarations de Nafissatou Diallo sur la chaîne ABC News? Il s’en défend. Mais quand l’ADN est d’un faible secours pour établir s’il y a eu ébats consentis, on filme, en plan… américain les messages subliminaux d’un rictus ou d’une larme.
Moins l’affaire est politique, plus la dimension «fait divers» prend le dessus. DSK censément exclu de la course à la présidence française et remplacé à celle du FMI, le géopolitique laisse place au graveleux. Bienvenue au cirque médiatique et ses numéros à couper le souffle. Découvrez les stars traditionnelles d’un show imparable.
Monsieur Loyal
Fière allure, droit dans ses bottes, le procureur Cyrus Roberts Vance Junior est le maître de la piste, le chef d’orchestre des prestations. Il surveille particulièrement la déontologie des clowns et des lanceurs de couteaux auquel il peut être amené à donner la réplique. Accusé de diriger un bureau qui serait à l'origine de «fuites» dans la presse, «Monsieur Loyal» parviendra-t-il à rester «Monsieur Impartial»? Ou sera-t-il une girouette qui changera d’avis au gré du vent médiatique?
L’éléphant indomptable du Parti socialiste
Dominique Strauss-Kahn a la silhouette bonhomme et la trompe phallique toujours vaillamment dressée. S’il est voûté, c’est qu’il fait le dos rond. Un temps confondu avec un fauve et enchaîné comme tel sous les caméras, le pachyderme a repris la position qui est la sienne dans la tradition du cirque: hors de la cage. Et le voilà qui fait le beau au restaurant et sur le pas de sa porte. Il se pourrait même qu’il dresse ceux qui cherchent à l’apprivoiser.
Les lanceurs de couteaux
Les avocats de l’éléphant indomptable sont aussi des jongleurs de mots. Spécialistes des poignards médiatiques, ils décochent des flèches acérées dont la vocation n’est pas toujours de ne pas atteindre la jeune fille enchaînée sur la roue audiovisuelle. Benjamin Brafman a appris le maniement des lames en officiant aux côtés de la mafia. William Taylor, lui, est considéré comme l'un des dix meilleurs lanceurs de coutelas de la capitale politique américaine. Ils n’hésiteront pas à lancer des haches, s’il le faut.
Les clowns
Ce numéro de duettiste, si cher au monde du cirque, est toujours destiné à remuer l’affect des spectateurs. Dans cette version new-yorkaise, le clown blanc est noir. Affublé de son costume sérieux et du masque lunaire qui rend son visage imperturbable, Kenneth Thompson reste digne et autoritaire en toutes circonstances. Toujours en retrait au début du sketch, Douglas Wigdor devrait endosser le rôle du clown «auguste» si le numéro tournait mal. Il tentera peut-être de transformer en éclat de rire l’humiliation d’un éventuel non-lieu.
La jeune équilibriste bafouée
Attraction incontestée des toutes les récentes représentations du cirque médiatique, la funambule Nafissatou Diallo évolue sur un buzz tendu entre papier glacé et chaînes de télévision à l’écran glacial. Coachée par des experts de la communication, elle cherche l’équilibre entre trois heures d’interview journalistique et huit heures d’audition judiciaire, entre suite 2806 et chambre 2820, entre langue peule et traduction anglophone approximative, entre volet pénal et action civile, entre défense et accusation, entre déclaration d'impôts louche et viol guinéen sujet à caution, entre témoignage et métacommunication, entre théâtralité et sincérité.
Quand le public du cirque veut du spectacle, l’équilibriste semble en rajouter. Quand elle sanglote, certains jugent qu’elle fait mine de tomber pour faire grimper le taux d’adrénaline du spectateur. Les médias font le reste, exposant à l’envi un mouchoir blanc que l’on précise n’avoir été utilisé que «discrètement» par la funambule déstabilisée…
Bouche bée, les yeux exorbités, la plèbe de l’audimat sera l’empereur de ce cirque romain adapté en émission de télé-réalité. Si l’issue du combat avec l’éléphant indomptable s’avérait favorable à l’acrobate, ce «jury avant le jury» n’hésiterait pas à plébisciter la nouvelle égérie d’un féminisme issu du Tiers-Monde. En fin de semaine, l’artiste ne rencontrait-elle pas son fan-club naissant?
Si la funambule devait en revanche s’écraser sur la piste, le public condamnerait «l’impudente» sans hésitation. Depuis qu’elles ont été éclairées par la lumière de Newsweek, les formes fantasmées de la femme de chambre sont devenues chair banale. La cruauté avec laquelle les machistes, du fond des bars, jaugent la demoiselle semble avoir fait de la funambule étoilée un sujet d’exposition malsaine. L’Africaine semble devenue une sorte de Vénus hottentote dont on juge avec impudeur la silhouette, évaluant si elle est de nature à réveiller la libido d’un sexagénaire réputé gâté par la gent féminine. Le cirque (et ses artistes) deviendrait-il une foire (et ses curiosités)? La piste bienveillante deviendrait-elle une arène ou devra mourir sinon le taureau, le matador?
La cage aux fauves
Newsweek, ABC News, The New York Times… Que serait le cirque médiatique sans le frisson que procurent d’imprévisibles carnivores gourmands de chair humaine? Qui saura dominer les crocs acérés des caméras? Qui détournera à son avantage les rugissements des plumes assassines? Alternativement griffé et caressé, quel artiste du cirque sera finalement dévoré tout cru dans la fosse aux lions?
La contorsionniste invitée
Bonus étranger du cirque étasunien, Tristane Banon, entraînée par sa propre mère, pourrait se… plier en quatre pour un featuring remarqué. Son coach, l’avocat David Koubbi, est habitué au cirque médiatico-judiciaire franco-américain. Il défendit le docteur Delajoux lorsque celui-ci recevait des flèches envoyées, d’outre-Atlantique, par le chanteur Johnny Hallyday.
Face au succès de ce cirque d’été qui relègue le Cirque d'hiver Bouglione au rang de spectacle amateur, et en attendant la vraie-fausse autobiographie et le «film librement inspiré de», Monsieur Loyal annonce la prolongation du cirque médiatique jusqu’au 23 août…
Damien Glez
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