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Tunisie : Ces ligues anti- Essebsi et chouchou du gouvernement au mépris de la loi
Sit-in de la Ligue de Protection de la Révolution devant la Constituante appelant à la mise en place du proojet de loi de l’immunisation de la Révolution. 26 avril 2013. Tunis Crédit photo Lilia Weslaty |Nawaat
La ligue de protection de la révolution (LPR) a appelé le 25 avril à un sit-in devant l'Assemblée Nationale Constituante à Tunis pour exhorter les députés à mettre en place le projet de loi de l'immunisation de la révolution. Cependant, ce qui était surprenant, c’est que le parti CPR se joigne à cet appel. Le rendez-vous était donc fixé à 14h, vendredi 26 avril 2013. Sur place, quelques dizaines de membres de la ligue ont installé leur tente, baffles, chaises et micro. Entre chants et slogans, le “diable” contre lequel la LPR manifestait était un seul homme : Béji Caid Essebsi, chef du parti Nidaa Tounes. On entendait plusieurs criaient : « Essebsi le lâche, collabo des américains ... » ou encore « Essebsi, toi le menteur, le vendeur d'alcool ! » ... Néanmoins, les « partisans et militants » auxquels le CPR a appelé au sit-in pour « soutenir et renforcer le projet de loi pour l’immunisation de la révolution», ont été complètement absents.
Imed Daimi engage le CPR dans un sit-in avec la Ligue de Protection de la Révolution
Après avoir vu l’appel du CPR sur sa page officielle facebook, nous avons appelé certains de ses députés pour en savoir plus. Il s’est avéré que plusieurs d’entre eux n’étaient même pas au courant de cet événement ; d’autres croyaient que les partis Ennahdha et Wafa étaient de la fête aussi. En leur apprenant que ces partis n’allaient pas y être, et que seuls le CPR et de la LPR se sont engagés à ce sit-in côte à côte, la surprise des “CPRiens” était évidente.
Pour être certaine de l’information, nous avons contacté le responsable de la communication du parti. Ce dernier nous a confirmé qu’”effectivement le CPR allait manifester seul avec la ligue de protection de la révolution devant l’Assemblée Constituante.” Il s’est avéré également que c’est son secrétaire général Imed Daimi qui avait donné cet ordre. Néanmoins, les autres membres du parti n’avaient- semble-t-il- été ni avertis ni consultés …
Il est à rappeler qu’après la crise que le CPR a vécu lors du “feuilleton” du remaniement ministériel, notamment avec le refus de ses ministres de se retirer du gouvernement tel que le congrès du parti l”avait décidé, le SG du CPR Mohamed Abbou a fini par annoncer sa démission et s’en disloquer pour être remplacé par M. Daimi.
Pour certains responsables du CPR, se mettre à manifester, côte à côte, avec la LPR, est une erreur politique bien qu’ils aient en commun leur désir de rendre effectif le projet de loi l'immunisation de la révolution.
D’ailleurs, la nécessité de manifester n’était pas de toute urgence, surtout que ce projet a été déjà adopté, grâce aux députés Ennahdha et CPR, lors de la commission de la législation générale et ce, depuis le début de ce mois d’avril. Serait-ce donc pour presser le bureau de l’ANC à mettre ce projet à l’ordre du jour du calendrier des sénaces plénières ?
Immunisation de la révolution ou d’Ennahdha contre la concurrence de Nidaa Tounes ?
Le parti Nidaa Tounes ne cesse de concurrencer Ennahdha dans les sondages. D’après le directeur d'Emrhod Consulting, Nabil Ben Ammou, la tendance générale confirme la montée et la percée de Nidaa Tounes dans les intentions de vote avec 23,5%, tout comme c'était le cas pour le mois de février. Ennahdha ne viendrait qu’en deuxième position avec 20% des suffrages en cas de tenue d'élections.
Ainsi, pour Nidaa Tounes, désigné par la LPR, CPR et Ennahdha comme “premier accusé et visé par ce projet de loi”, ce projet vise à exclure les Tunisiens, sans passer au préalable par l'instance traditionnelle de la justice. De fait, la commission de la législation générale, avait convenu que ceux qui seront exclus de la vie politique, pendant 7 ans seront ceux qui ont occupé des postes depuis le 7 novembre 1987 à :
- La présidence et l'appartenance au bureau politique de l'ex-RCD
- L'appartenance au Comité central, les secrétaires permanents, les secrétaires adjoints, le directeur de cabinet le SG de l'Union tunisiennes des organisations de jeunesses, le directeur du Centre des études et de formation, les chefs d'arrondissements, l'appartenance au Bureau national des étudiants du RCD, les membres des comités de coordination, les membres des fédérations territoriales et professionnelles
- Le Premier ministre, les ministres, les secrétaires d'Etat, les directeurs de cabinet, les membres de cabinet présidentiel ou du président de la Chambre de députés
- Les candidats du RCD à la Chambre des députés ou à la présidence d'un conseil municipal
- Tous les candidats sur des listes du RCD
- Tous ceux ayant lancé des appels à ben Ali pour se présenter à l'élection présidentielle de 2014
A contrario, Samir Dilou, ministre des Droits de l’Homme et la justice transitionnelle, qui est pourtant d’Ennahdha, a rejoint, en partie, la position de Nidaa Tounes, en proposant de faire passer en premier le projet de loi de la justice transitionnelle. En effet, au mois de mars dernier, dans une intervention lors de la réunion de la commission des droits et des libertés à l’ANC, M. Dilou a exprimé clairement son opposition au projet de loi de l'immunisation de la révolution, un coup de couteau pour la “base d’Ennahdha”. Il a insisté sur le fait que la loi de la justice transitionnelle, fruit de consensus entre la société civile et du ministère, “doit précéder les lois exclusives."
Entre justice et calculs politiques, seuls les députés seront aptes à choisir le chemin le plus adéquat pour les intérêts et enjeux de cette période. Annoncées pour la fin de l’année 2013, les élections dépendront en effet du passage en premier : celui du projets de loi de immunisation de la révolution (exclusion politique) ou du projet de loi de la justice transitionnelle, (sanctions judiciaires).
Les ligues de protection de la Révolution, chouchou du gouvernement
Suivant de près l’évolution de ces ligues transformées en milices violentes contre les manifestations des partis de l’opposition, nous avons rencontré M. Mostafa Tahri, président du comité régional de l'LPR à Tunis. Il s’est présenté comme le “Cheikh des révolutionnaires”. M. Tahri m’a expliqué que la majorité de ceux qui font partie de la Ligue de protection de la Révolution sont des personnes qui ont été emprisonnées sous le régime Ben Ali.
” Nous avons été opprimés, nous avons subi le contrôle administratif. Les membres de cette ligue sont pour la plupart des personnes ayant subi l'oppression, c'est pour cette raison que nous sommes ici » a-t-il affirmé.
Pour son appartenance politique, le cheikh a nié au début toute adhésion à un parti quelconque m’assurant que “la révolution est au-dessus des partis“. Nonobstant, il s’est ressaisi après quelques questions pour me confier son appartenance au parti Ennahdha. Pourtant, lors de ce sit-in, le parti islamiste n'était pas de la partie, ni celui de Wafa non plus qui vivraient selon certaines sources une guerre intestine …
Voulant savoir ce que pense M. Tahri, de ces histoires de Ligues qui d’abord récupèrent par le biais de citoyens des dossiers de “corrompus” pour ensuite faire du chantage aux “corrompus” allant jusqu’à les menacer de mort, le cheikh nous a assuré qu’il n’y a rien de cela. Pour lui, “celui qui a des preuves peut tout simplement porter plainte contre la Ligue”. Nous rappelons que dans l’affaire Dammak, que nawaat a mené, aucune poursuite judiciaire à l’encontre des membres de la ligue, d’ailleurs nahdhaouis, n’a été initiée.
Le gouvernement, terreau officiel de l”impunité garantie aux ligues
Outre l’incident insolite de l’attaque contre la centrale syndicale et les différentes démonstrations de force, toujours impunies, l’Etat et les autorités manifestent une inertie outrageante en couvrant les activités de la Ligue. Etant conscient du degré de danger d’une telle impunité, le parti Ettakatol (partenaire d’Ennahdha au pouvoir avec le CPR) ainsi que plusieurs partis de l’opposition ont exigé, lors des négociations pour remaniement ministériel, le gel de la Ligue, et ce dans le respect de la loi 88 des associations.
Plusieurs associations de la société civile, dont la LTDH et plus d’une cinquantaine d’avocats ont adressé le 7 mars dernier une mise en demeure officielle au secrétaire général du gouvernement l’enjoignant d’engager les procédures nécessaires pour la dissolution des LPR conformément au décret-loi n°88 du 24 septembre 2011 relatif aux associations.
De son côté, M. Samy Razgallah, membre du bureau politique d'Ettakatol, nous a également confirmé que le secrétaire général du gouvernement avait saisi le chargé des contentieux de l’Etat pour geler les activités de la LPR. Pourtant, le 5 avril dernier, la députée Lobna Jribi du même parti, révéle en séance plénière que la promesse du gouvernement n'a pas été respectée et que la décision prise par la Troïka pour geler les activités des "Ligues de protection de la révolution" n'a pas été exécutée.
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