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Le Maghreb s'ouvre, l'Europe se referme
La sagesse l'aura emporté, mais la révolte tunisienne aura failli enterrer l'Europe. Les accords de Schengen, piliers de la construction européenne, n'ont finalement pas été touchés malgré le voeu de Sarkozy qui a visé son premier ennemi, un Maghreb en pleine mutation.
De l'avis des sédentaires du Nord, le monde sud-méditerranéen s'agite un peu trop et ces derniers temps, il n'a jamais autant bougé. Des capitales européennes s'affolent, peu habituées à ces mouvements et plus à l'aise dans les comptabilités sages et précises. Mais ces migrations se font d'abord à l'intérieur même des territoires du Sud. Des mercenaires tchadiens, nigériens ou guinéens sont en Libye pendant que les Libyens bombardés par les armées de Kadhafi se réfugient en Tunisie, en Egypte et en Algérie. Des Tunisiens partent en Algérie pendant que les Africains subsahariens, en l'absence de contrôle libyen —ex-sous-traitance de l'Europe pour les questions d'immigration clandestine— essaiment un peu partout dans la région.
Deuxième phase, l'exode verticale vers l'Europe, et premier dommage collatéral des révolutions au Maghreb, l'afflux d'immigrés illégaux venus de Libye et de Tunisie, principalement en Italie. Si les Libyens restent généralement en Italie, les Tunisiens veulent dans leur majorité rejoindre la France, pour d'évidentes raisons linguistiques et culturelles. A la gare de Vintimille, mythique point de passage entre l'Italie et la France, Sarkozy a instauré un sévère contrôle pour stopper le flux et pense déjà à se débarrasser des encombrants accords de Schengen pour maîtriser les entrées au paradis. Il en a le droit, et à part le maire de Paris Bertrand Delanoë, qui pour des raisons purement affectives veut accueillir les Tunisiens, les tenants d'un durcissement de l'immigration en France expliquent que cet afflux risque de renverser les équilibres démographiques.
Les révolutions, c'est bien à la télévision, quand chacun reste chez lui. Depuis le début des soulèvements au Maghreb, 25.000 immigrés illégaux sont arrivés en Europe, de Tunisie et de Libye, bénéficiant grâce à l'Italie de titres temporaires de séjour leur ouvrant la porte des 23 autres pays de l'espace Schengen. La France s'est irritée et panique devant le chiffre, mais le rétablissement des contrôles aux frontières ne signifie pas encore la fin de l'espace Schengen et la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Europe des 26. Du moins, pour l'instant.
La faille de Schengen
En dehors de cette immigration illégale et ponctuelle, à la base du problème, Sarkozy, devant la montée du Front National, en a profité pour stigmatiser l'immigration légale, celle qui se fait avec des papiers en bonne et due forme et de vrais visas délivrés par les autorités européennes. L'ouverture de l'espace Schengen et l'abolition des frontières à l'intérieur ont eu comme résultat de brouiller les pistes des arrivants. De fait, un visa italien ou espagnol permet d'entrer en France, un visa français d'entrer en Allemagne ou un visa polonais d'aller au Portugal, et la Grèce, ventre mou de l'Europe, continue à être désignée comme le mauvais exemple en terme de surveillance des frontières extérieures de l'empire.
Alors que le rétablissement des frontières à l'intérieur de l'espace Schengen ne peut se faire que pour des cas précis et des raisons d'ordre public ponctuels, Sarkozy a insidieusement accusé les autres de ne pas harmoniser les procédures d'obtention de visas (court ou long séjour, visas étudiants ou d'établissement sur le sol européen) en prévision des lendemains. Car il s'agit bien du Maghreb de demain, d'après Sarkozy:
«Après les premières élections dans les nouvelles démocraties d'Afrique du Nord, il faudra des règles d'immigration concertées et un développement économique partagé. Si un pays européen ne peut garder ses frontières, la question de la suspension provisoire de Schengen doit être posée sans tabou.»
50 ans après le départ des troupes françaises du Maghreb, deuxième migration après leur arrivée, le retour de boomerang a fait sonner la tête de Sarkozy. Les Tunisiens veulent aller en France et peut-être demain les rejoindront Marocains et Algériens. La question est pourtant mal posée, car en dehors de l'afflux provisoire des Tunisiens et des Libyens, pourquoi penser que les démocraties du Maghreb une fois installées produiront demain de l'émigration massive? La démocratie au Maghreb serait-elle une mauvaise chose pour l'Europe?
Vu d'Alger, première bénéficiaire de visas français du Maghreb, la sournoise idée est lancée et c'est la première étape vers un durcissement global. La France se referme tandis que l'Algérie, qui s'ouvre comme autres les pays du Maghreb, réitère sa position de principe sur la libre circulation des biens et des personnes, un axe particulièrement pertinent en temps de crise. Avec cette question fondamentale: pourquoi un être humain se déplacerait-il moins facilement qu'un carton de dattes ou de chaussures?
Chawki Amari
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