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Le monde selon Obiang fils, entre Lamborghini et escort-girls (2/2)
Deuxième partie du récit sur la vie de playboy surréaliste que mène Teodorin Obiang, le fils du terrible président équato-guinéen, dont le procès doit s'ouvrir le 2 janvier à Paris.
Mise à jour: Le procès de Teodorin Obiang accusé de s’être frauduleusement bâti en France un patrimoine considérable, s'est ouvert lundi 19 juin 2017 à Paris.
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Si vous l'avez raté: «Le monde selon Obiang fils», première partie
À l’automne 1991, Teodorin, alors âgé de 22 ans, est arrivé à Malibu au campus chic de Pepperdine University pour suivre un cursus d’anglais. Walter International, compagnie pétrolière basée à Houston qui avait des intérêts dans les gisements offshore encore inexploités de Guinée équatoriale, finançait ses études. Walter accepta également de prendre en charge ses dépenses, ce qui s’avéra une erreur fort coûteuse.
Les frais d’inscription ne coûtaient que 3.400 dollars et comprenaient le logement à Pepperdine, mais la cité universitaire n’eut pas l’heur de plaire à Teodorin, qui préféra faire la navette entre deux résidences en dehors du campus: une maison de location à Malibu, et une suite à l’hôtel Beverly Wilshire. Il assistait rarement aux cours, et passait son temps à faire du shopping à Beverly Hills. Teodorin abandonna ses études au bout de cinq mois; la note de Walter International se montait à environ 50.000 dollars. L’entreprise contrariée se plaignit à l’ambassadeur Bennett, et l’histoire finit par être divulguée.
Teodorin voyagea dans le monde entier les années suivantes, tout en revenant régulièrement dans la région de Los Angeles. En 2001, il acheta une maison à 6,5 millions de dollars sur Antelo Road dans le quartier de Bel Air, en face de chez l’actrice Farrah Fawcett. Il ne s’y installa jamais et se plaignit à un agent immobilier que finalement, la maison était trop contemporaine à son goût.
Teodorin se rêvait en nabab du hip-hop et pendant un temps, il posséda et géra un label dont le nom était dérivé de ses propres initiales: TNO Entertainment. Le projet le plus marquant de TNO semble avoir été un flop intitulé No Better Than This par Won-G —collaboration toute trouvée étant donné que le rappeur, dont le vrai nom est Wondge Bruny, décrit son père comme un ancien responsable militaire sous «Baby Doc» Duvalier, le dictateur haïtien déposé en 1986.
Teodorin a continué de flamber des fortunes pendant toutes ces années. Il a pendant un temps vécu dans un hôtel parisien sur les Champs-Élysées; une équipe de télévision française l’a filmé pendant un délire de shopping au cours duquel il acheta plus de trente costumes en une seule journée. En 2004, il fit l’acquisition de deux propriétés valant à elles deux 7 millions de dollars à Cape Town, en Afrique du Sud. Mais lui et sa famille restèrent à peu près hors de vue des États-Unis —jusqu’à ce qu’éclate le scandale de la Riggs.
Des kleptocrates de moindre envergure auraient peut-être pris leurs jambes à leur cou, mais pas Teodorin. Il engagea deux avocats pour mettre en place des entreprises écrans et des comptes bancaires associés qu’il contrôlait mais sur lesquels son nom n’apparaissait jamais, selon le rapport du Sénat de 2010 —qui découvrit que ces entreprises ne lui servaient qu’à recevoir et dépenser des fonds envoyés de l’étranger.
Des voitures...
En 2006, Teodorin utilisa l’une de ces entreprises, Sweetwater Malibu LLC, pour acheter son domaine à Malibu, qui figure parmi les plus grandes propriétés de la communauté privée et fermée de Serra Retreat. Pour ce qui était des dépenses, Teodorin ne s’en laissait pas remontrer par ses voisins, toutes stars de Hollywood qu’ils fussent. Il possédait au moins une trentaine de voitures de luxe, notamment sept Ferrari, cinq Bentley, quatre Rolls-Royce, deux Lamborghini, deux Mercedes-Benz, deux Porsche, deux Maybach et une Aston Martin, dont la valeur assurée totale tournait autour de 10 millions de dollars, à en croire l’enquête du Sénat. Ses voitures étant bien trop nombreuses pour être toutes gardées à la propriété, Teodorin louait des emplacements dans le garage du Petersen Automotive Museum sur le Wilshire Boulevard. Ses chauffeurs devaient aller chercher celle de son choix pour chaque sortie, ce qui dépendait parfois de la façon dont il était habillé.
«J’ai des chaussures bleues, va me chercher la Rolls bleue aujourd’hui», dit-il un jour à Benito Giacalone, un de ses anciens chauffeurs.
Sa préférée était une Bugatti Veyron bleue, une voiture qui peut atteindre plus de 400 km/heure et qui, neuve, vaut environ 2 millions de dollars. Un soir, Teodorin gara son jouet près de l’entrée de L'Ermitage, un endroit où il aimait prendre un verre. Quand il vit les badauds qui s’arrêtaient pour l’admirer, il renvoya Giacalone à Malibu en taxi pour qu’il revienne avec sa deuxième Bugatti et la gare à côté.
Le personnel de maison de Teodorin comprenait des chauffeurs, des gouvernantes, des gardiens, des gérants, des assistants, des chefs, des équipes de paysagistes et deux équipes de sécurité constituées de flics en congé ou à la retraite, ainsi que des gardes de Guinée équatoriale. Une des équipes de sécurité restait basée à la propriété tandis que l’autre, surnommée «l’équipe de chasse» suivait Teodorin dans ses expéditions nocturnes à Malibu et plus loin. Les dossiers du procès décrivent le «prince» comme une créature nocturne qui dormait généralement jusqu’à l’après-midi, voire jusqu’à 21 heures.
...et des femmes
Teodorin est sorti avec une flopée de femmes, parmi lesquelles la rappeuse Eve qu’il nomma présidente, trésorière et directrice financière de son entreprise écran Sweet Pink, révèle le rapport du Sénat de 2010. Une compagnie d’exploitation du bois de Guinée équatoriale, propriété de Teodorin, transféra 60.000 dollars sur le compte de Sweet Pink, mais l’Union Bank of California, où il était domicilié, le ferma un mois plus tard, en octobre 2005, estimant que tous les fonds envoyés de Guinée équatoriale pouvaient potentiellement être d’origine criminelle.
En 2005, Teodorin organisa une fête pour Eve sur le Tatoosh, un yacht de 90 mètres loué 700.000$ au cofondateur de Microsoft Paul Allen. Le Daily News de New York raconte qu’elle prit ses distances en apprenant que le père de Teodorin était accusé de cannibalisme et aurait mangé ses rivaux politiques. Parmi ses autres compagnes figurent Tamala Jones, qui joua dans des films comme Booty Call et Confessions of a Call Girl, et Lindsey Evans, élue Miss Louisiana Teen USA en 2008 et Playmate Playboy du mois en octobre 2009.
La liste des invités chez Teodorin comprenait invariablement tout un assortiment de femmes à minijupes et talons hauts envoyées par des agences d’escort-girls, m’ont raconté d’anciens employés pendant des interviews. Giacalone signale dans sa plainte que ses tâches non officielles impliquaient d’accompagner les petites amies de son patron dans des virées shopping sophistiquées. Il raconte aussi que la boutique Dolce & Gabbana de Rodeo Drive dépêchait régulièrement un vendeur et un tailleur chez Teodorin dans une camionnette remplie de marchandises, et allait jusqu’à fermer tout son deuxième étage quand ses petites amies venaient faire leurs achats. Giacalone raconte en avoir un jour accompagnée une qui dépensa environ 80.000 dollars, notamment pour s’acheter des robes bronze et rouges qui coûtaient presque 7.000 dollars pièce. Giacalone prétend que Teodorin le chargea de l’humiliante tâche de payer la note avec des billets sous cellophane rangés dans une boîte à chaussures Nike.
Globe-trotter
Son passeport diplomatique permettait à Teodorin de transporter facilement jusqu’à un million de dollars en liquide dans le pays, rapportent les documents de l’ICE. Plusieurs anciens employés racontent qu’il transportait un sac de la taille d’une petite valise, en permanence remplie de liasses de billets de 100 dollars tout neufs. Teodorin voyageait sur un Gulfstream V acheté en 2006 par le biais d’une société écran appelée Ebony Shine International Ltd, enregistrée dans les Îles Vierges britanniques.
«Il s’en servait comme d’un taxi», rapporte Giacalone. «Il voyageait seul ou l’utilisait pour transporter un seul passager. Une fois, il l’a envoyé de Rio à Los Angeles pour ramener son coiffeur.»
Et Teodorin ne voyageait pas léger. Il avait acheté une fourgonnette de 15 places dont il avait fait retirer les sièges pour contenir sa collection de bagages Louis Vuitton.
Les enregistrements compilés par FlightAware, entreprise qui suit le trafic aérien privé et commercial, montrent que les tâches ministérielles de Teodorin l’ont envoyé vers des destinations aussi cruciales que Las Vegas, où en juillet 2009, une facture pour la suite présidentielle au Four Seasons —libellée au nom du «Prince Teodoro Nguema Obiang»— se monte à 5.000 dollars la nuit; à Miami, où l’une de ses deux vedettes Nor-Tech 5000 était amarrée, et à Palm Beach. Les Bermudes, Nice et Paris figuraient parmi ses autres destinations internationales favorites.
Sa virée d’un mois à l’automne 2009 à Maui se distingue par son luxe et sa débauche, raconte Giacolone. Teodorin s’y rendit dans son Gulfstream V et affréta un deuxième jet pour un groupe d’employés de maison. Il emmena avec lui quelques escort-girls et fit convoyer plusieurs voitures de sport et une de ses vedettes Nor-Tech, peinte en orange, violet et jaune pour un effet des plus tapageurs. Le carburant au plomb qu’elle utilisait n’était pas en vente sur l’île et fut donc apporté par avion, au prix de 600 dollars le baril, explique l’ancien chauffeur. Mais les vacances furent gâchées quand le Nor-Tech chavira dans le Pacifique après une brève excursion.
«Je n’ai pas encore réussi à trouver d’où vient ce type, mais l’argent n’est pas un problème pour lui», raconte un habitant perplexe sur un forum de navigation local, thehulltruth.com. «Hier, au moment de prendre le bateau, le prince s’est pointé sur le quai dans sa Bugatti. Entre la voiture, le bateau, les accompagnateurs royaux (notamment quatre poulettes absolument superbes), ça faisait un sacré tableau sur la petite passerelle.»
L’Amérique aura été une longue fête pour Teodorin, mais les jours heureux pourraient enfin arriver à leur terme. Il possède toujours le domaine de Malibu; Lauer, de Qorvis, insiste sur le fait qu’aucune information ne laisse penser qu’il est interdit de territoire aux États-Unis et que d’ailleurs, il y est passé au printemps dernier (Qorvis a refusé de répondre aux questions sur les soupçons de corruption et de blanchiment d’argent évoqués par les enquêteurs américains ou sur les allégations des anciens employés qui poursuivent Teodorin en justice). Mais le rapport du Sénat de 2010 dévoile des volumes d’informations bancaires délicates sur la famille, ce qui a sûrement contribué à réduire sa capacité à introduire de l’argent dans le pays.
Pendant ce temps, de nouveaux procès surgissent de terre —il y en a encore quatre en suspens— et les accusations se font de plus en plus crues: une ancienne employée accuse Teodorin de s’être montré nu devant elle. «C’est un invité dans notre pays, qui de toute évidence estime que les règles ne s’appliquent pas à lui», s’indigne McDermott.
Une histoire de famille
Peut-être tout cela explique-t-il pourquoi Teodorin se fait plutôt rare à Los Angeles ces jours-ci, et qu’il passe bien plus de temps en Guinée équatoriale. Ce n’est peut-être pas Malibu, mais il y possède tout de même une immense propriété sur la plage, avec une piscine dans un patio décoré de statues de marbre importées d’Italie. Mieux encore, pas d’ennuyeux enquêteurs ou de contrôleurs financiers en vue. Par le biais d’une holding appelée Abayak et d’autres instruments financiers, le père de Teodorin aurait des intérêts dans tous les secteurs économiques clés. Gabriel, frère cadet de Teodorin, contrôle le secteur pétrolier depuis son poste au ministère des Mines et de l’Énergie. Son cousin gère le ministère du Trésor et supervise le budget, et c’est un autre membre de la famille qui dirige le cabinet militaire.
Teodorin n’a pas non plus besoin de s’inquiéter de la curiosité des journalistes, car il n’y a ni radio, ni télévision indépendantes en Guinée équatoriale. En 2009, le ministère de l’Information a renvoyé quatre journalistes d’une station d’État pour «manque d’enthousiasme» sur les «mérites» du gouvernement. Quelques années auparavant, un animateur de Radio Asonga—propriété de Teodorin—avait déclaré que le président Obiang était «en contact permanent avec le Tout-Puissant» et avait le droit de «tuer sans devoir rendre de comptes à personne».
Washington chouchoute son roi du pétrole
Les égards avec lesquels Washington traite Obiang contrastent de façon saisissante avec les manières moins délicates réservées aux voyous internationaux qui n’ont pas la chance d’être assis sur de vastes réserves pétrolières. Et les relations entre les États-Unis et la Guinée équatoriale sont lubrifiées au possible. En juin 2000, quand les directeurs des compagnies pétrolières américaines ont commencé à qualifier la Guinée équatoriale de «Koweït d’Afrique», la Overseas Private Investment Corporation, agence gouvernementale américaine, a approuvé l’octroi de 173 millions de dollars de garantie de prêt pour la construction d’une usine de méthanol américaine en Guinée équatoriale, son plus vaste programme en Afrique subsaharienne à l’époque.
Cinq mois plus tard, le député William Jefferson dirigea la toute première délégation du Congrès en Guinée équatoriale et se vit offrir les clés de Malabo (Jefferson fut condamné à de la prison en 2009 après avoir été reconnu coupable de plusieurs chefs d’accusation, notamment de complot d’infraction à la loi sur la corruption d’agents publics étrangers. Les procureurs l’ont accusé d’avoir accepté des pots de vin en échange de la promotion de marchés en Afrique, notamment de concessions pétrolières en Guinée équatoriale).
En septembre 2005, selon des groupes crédibles de défense des droits de l’homme, le régime d’Obiang a torturé des dizaines de prisonniers qu’il accusait d’avoir des liens avec une soi-disant tentative de coup d’État l’année précédente. Pourtant, en avril de l’année suivante, la secrétaire d’État de l’époque, Condoleezza Rice rencontra Obiang à Washington et le qualifia de «bon ami» des États-Unis. En septembre 2009, deux mois avant que la Guinée équatoriale n’organise ses élections présidentielles bidon, un Obama tout sourire posa pour une photo avec Obiang lors d’une réception au Metropolitan Museum of Art de New York, donnant au régime l’occasion de briquer son image de marque.
Pendant ce temps, les liens avec le monde des affaires américain se sont étendus et consolidés. En février 2010, la Guinée équatoriale a discrètement accordé un contrat de 250 millions de dollars à Military Professional Resources Initiative (MPRI), société de sécurité privée basée en Virginie, pour assurer la surveillance des côtes, marché qui nécessitait l’aval du département d’État.
«Accorder une autorisation à MPRI est cohérent avec notre objectif de politique étrangère d’assurer la sécurité maritime dans le golfe de Guinée», m’a indiqué par mail un responsable du département d’État, en ajoutant que l’autorisation était assortie d’une formation qui «comprenait une importante composante dans le domaine des droits humains et une provision antitrafic, et nous estimons que cette formation est un outil solide pour une amélioration tangible du respect des droits humains et de la transparence».
De nombreux autres pays semblent poursuivre les dirigeants de Guinée équatoriale avec davantage de vigueur. Un tribunal espagnol enquête actuellement sur une accusation concernant 11 proches et associés d’Obiang soupçonnés d’avoir utilisé 26,5 millions de dollars blanchis pour acheter des maisons et des chalets à Madrid et aux Canaries. Une enquête de police française de 2007 a mis au jour des actifs d’une valeur de plusieurs dizaines de millions de dollars appartenant à la bande d’Obiang, notamment des voitures de luxe appartenant à Teodorin et valant à elles toutes 6,3 millions de dollars. À la fin de l’année dernière, un tribunal français a estimé qu’une affaire de corruption portée par des groupes de défense des droits de l’homme contre les Obiang et de nombreuses autres familles dirigeantes africaines pouvait être jugée.
Après lui avoir permis de faire absolument tout et n’importe quoi aux États-Unis pendant des années, le gouvernement américain pourrait bientôt découvrir qu’il aura besoin de traiter bien plus directement avec Teodorin à l’avenir. Signal clair de son empire politique, son père gâteux l’a nommé vice-président du parti au pouvoir en juillet dernier. En outre, une source bien placée m’a confié que de hauts responsables de Guinée équatoriale ont déjà informé les dirigeants de compagnies pétrolières américaines que Teodorin serait le prochain chef d’État. Vu la taille des réserves de pétrole de son pays, il va avoir de l’influence —et de l’argent— pendant un bon moment encore.
Note à l’administration Obama: vous trouviez que Teodorin était déjà difficile à gérer en Prince de Malibu? Attendez un peu qu’il devienne le Roi de Guinée équatoriale.
Par Ken Silverstein
Traduit par Bérengère Viennot