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Ces chauffeurs de taxi nigérians qui risquent leur vie
La ville de Jos, dans le centre du Nigéria, est en proie depuis plusieurs années à des affrontements religieux à répétition. En 2001, chrétiens et musulmans se livrent à des combats sanglants qui font près de 1000 morts. Les violences se répètent en 2008 et 2010, encore une fois au prix de nombreuses vies. Pour l’organisation internationale de défense des droits de l’homme Human Rights Watch (HRW), «plus de 13.500 personnes sont mortes dans des combats ethniques ou religieux depuis 1999».
Chrétiens et musulmans cohabitent donc dans un climat de défiance et d’animosité réciproques. La peur de l’autre conditionne alors le mode de vie de chacun des habitants du pays, situation problématique notamment pour les chauffeurs de taxis de la ville de Jos.
Ces chauffeurs de mototaxis, localement appelés achabas, risquent leur vie à chaque instant, raconte Maggie Fick au journal britannique le Guardian. Après les violents affrontements de 2010, la ville s’est retrouvée dans une situation d’apartheid et chrétiens et musulmans se sont répartis entre différents quartiers. Il peut coûter la vie à un chauffeur de mototaxi de se rendre dans un quartier où sa communauté n’est pas majoritaire. Maggie Fick explique au serveur du café où elle se trouve qu’elle doit se rendre dans un quartier chrétien pour une interview avec l’archevêque local. Le serveur lui propose de l’aider à trouver un taxi, et commence alors un étrange manège. L’auteur, interloquée, raconte:
«Alors que nous étions sur le bord de la route, je demandai au serveur pourquoi il ne faisait pas signe aux nombreux taxis vides qui passaient devant nous. "Tu ne peux pas aller chez l’archevêque avec n’importe quel achaba", déclara-t-il. Il finit par arrêter un chauffeur chrétien de l’ethnie Haoussa qui me conduisit à l’endroit où des gens tels que ce serveur n’osent pas aller.»
Corinne Dufka, chercheuse pour HRW basée à Dakar (Sénégal) et qui a travaillé sur le Nigeria analyse les raisons de ces haines intercommunautaires:
«Le citoyen qui n'est pas en mesure de retracer la ligne de sa famille jusqu'à sa terre ancestrale ne peut pas bénéficier des aides du gouvernement: bourses pour aller à l'université, accès à la fonction publique... A Jos, les citoyens dits "indigènes" sont pour la plupart chrétiens. Les musulmans de langue haoussa, qui viennent du nord du pays, sont eux considérés comme des étrangers. Cela crée beaucoup de frustration entre les communautés […]l y a trois facteurs expliquant ce cercle vicieux de la violence: l'impunité, la culture de corruption et de mauvaise gouvernance, et les discriminations.»
L’impasse dans laquelle se trouve le pays semble pour l’instant inextricable. L’assassinat sauvage de deux journalistes nigérians le 24 avril 2010 à bord d’un mototaxi est révélateur: Nathan S. Dabak, Sunday Gyang Bwede et leur chauffeur étaient en route pour un rendez-vous professionnel lorsqu’ils ont été tous les trois attaqués et tués à coups de machette par un groupe de jeunes, révoltés par l’assassinat d’un de leur ami musulman. Ce crime révèle l’insécurité dans laquelle est plongé le pays et les difficultés que rencontrent les Nigérians à circuler librement.
Lu sur le Guardian, Libération.fr