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Pourquoi des intellectuels africains soutiennent Gbagbo

Pour une fois, les intellectuels africains de la diaspora n’ont pas manqué de faire entendre leur voix au sujet de l’imbroglio ivoirien. Surtout face aux réactions de la communauté internationale.

La crise postélectorale née du second tour de la présidentielle du 28 décembre dernier en Côte d’Ivoire divise manifestement acteurs et observateurs de la scène politique ivoirienne. Et pour cause, entre le président Laurent Gbagbo, proclamé vainqueur par la Cour constitutionnelle, et le candidat Alassane Ouattara, à qui donne raison la Commission électorale indépendante (CEI) et reconnu par la communauté internationale, chacun choisit son camp. Au nom des principes démocratiques ou de la non-ingérence des puissances occidentales dans les affaires intérieures de la Côte d’Ivoire —et plus généralement des pays africains— ou encore des intérêts des uns et des autres. C’est selon.

En tout cas, cette crise aura eu l’avantage d’ouvrir un grand débat à l’échelle du continent sur la démocratie et les élections en Afrique, l’ingérence des puissances occidentales dans la vie sociopolitique des pays africains et la responsabilité des autochtones quant aux crises qui ébranlent l’Afrique, ainsi que les mécanismes et moyens de gestion appropriés pour les résoudre.

La communauté internationale montrée du doigt

Pour une fois, les intellectuels africains de la diaspora —que les situations de conflits sociopolitiques à l’intérieur de l’Afrique concernent généralement peu ou prou— n’ont pas manqué de faire entendre leur voix au sujet de l’imbroglio ivoirien. Surtout face aux réactions de la communauté internationale.

La célèbre écrivaine d’origine camerounaise Calixthe Beyala, écrivait ainsi au fondateur de Jeune Afrique, Béchir Ben Yamed, une lettre dans laquelle elle lui exprimait son désaccord sur l’appréciation de la situation en Côte d’Ivoire en ces termes:

«Je ne crois pas que M. Alassane Ouattara soit le Président élu de la Côte d’Ivoire car pour cela, il eût fallu que sa victoire fût reconnue par le Conseil constitutionnel de son pays; il me semble que ce n’est point le cas, me tromperais-je ? Aucune commission électorale, aussi noble soit-elle, ne saurait proclamer le vainqueur d’une élection, d’autant que dans le cas de la Côte d’Ivoire, cette commission électorale était constituée aux deux tiers par les membres de l’opposition…»

Un autre écrivain non moins célèbre, en l’occurrence le Guinéen Tierno Monénembo (Prix Renaudot 2008), tout en se défendant de soutenir l’un ou l’autre, a écrit notamment dans un article publié par le journal Le Monde: 

«Ce raffut fait autour de Ouattara est tel qu’il en devient suspect. Que veut sauver la communauté internationale, à la fin: la Côte d’Ivoire ou un de ses protégés? Ouattara et Gbagbo sont les loups-jumeaux de la politique ivoirienne: même teint, même sourire carnassier, même poids électoral (l’un contrôlant la Commission électorale et l’autre la Cour suprême).»

La crainte d’une «recolonisation» du continent

En vérité, c’est l’attitude illogique de la communauté internationale que la plupart des intellectuels africains récusent d’emblée. Car des Africains ont en effet eu subitement l’impression que leur continent est dorénavant sous tutelle de l’ONU. Certains d’entre eux estiment que les grandes puissances continuent à tirer les ficelles en matière de politique onusienne. Ce que souligne d’ailleurs de fort belle manière Tierno Monénembo lorsqu’il dit que «l’arrogance des chancelleries et l’hystérie des médias travaillent pour lui [Laurent Gbagbo, ndlr].»

Un peu partout actuellement en Afrique, intellectuels et organisations de la société civile se mobilisent contre ce que les uns et les autres considèrent comme une tentative de «recolonisation du continent» par le truchement de l’ONU et de personnes interposées. D’où les réactions en cascade. Dernière en date, celle de Godswill Mrakpor, un avocat nigérian qui se défend de tout contact avec le président Laurent Gbagbo. Il a déposé un recours contre un éventuel l’usage de la force préconisée par la communauté internationale devant la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao). [Celle-ci a menacé d’envoyer des troupes en Côte d’Ivoire si Laurent Gbagbo ne reconnaît pas sa défaite électorale, ndlr].

«Nous pensons qu`il y a des options, des alternatives pacifiques qui n`ont pas encore été explorées», a déclaré Mrakpor, suggérant à l’appui un recomptage des bulletins de vote ou une autre élection.

A l’évidence, la crise ivoirienne fait grand débat en Afrique, et l’empressement de la communauté internationale à diaboliser Laurent Gbagbo et à adouber Alassane Ouattara risque fort de ne pas arranger les affaires de ce dernier, au-delà même de la question de fond —qui a réellement gagné le second tour de la présidentielle du 28 décembre dernier en Côte d’Ivoire?

Marcus Boni Teiga 

Marcus Boni Teiga

Ancien directeur de l'hebdomadaire Le Bénin Aujourd'hui, Marcus Boni Teiga a été grand reporter à La Gazette du Golfe à Cotonou et travaille actuellement en freelance. Il a publié de nombreux ouvrages. Il est co-auteur du blog Echos du Bénin sur Slate Afrique.

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