mis à jour le

Le président djiboutien «a échoué sur tous les plans»
Rencontre avec l'opposant politique Alexis Mohamed. De Paris, il tente de faire bouger les lignes de son pays, dirigé par Ismail Omar Guelleh.
Alexis Mohamed, Franco-Djiboutien établi en France depuis de longues années et leader d'un mouvement d'opposition en exil nous a accordé une interview exclusive.
Le Temps : Bonjour Alexis Mohamed, le régime voit en vous un franco-djiboutien de plus, un empêcheur de tourner en rond ayant une situation en France et qui s'occupe des choses qui ne le concernent pas. Que répondez-vous à ce dernier qui tente de vous exclure des débats politiques ?
AM : Dans une situation où les carences sont multiples, où l'anarchie et le chaos qui résultent de l'absence d'une gouvernance et créent une forte appréhension de l'avenir, la morale et la responsabilité politique nous imposent qu'il nous faut élever désormais, le débat politique, au niveau de l'espérance de nos compatriotes et rétablir la politique dans sa juste valeur. Pensez-vous que ma double nationalité intéresse vraiment les djiboutiens, plus préoccupés par leur situation ô combien regrettable? Il faudrait peut-être s'offusquer sur les causes réelles qui contraignent les djiboutiens à l'exil, que de se délecter en les calomniant de conspirateurs.
En outre, je ne me détermine pas en fonction de ce que le régime pense de moi ou de l’idée que le régime peut se faire de moi. Comme natif, je me saisie de l'occasion de m'exprimer à chaque fois où cela me semble nécessaire.
De mon point de vue, le plus important pour nous, l'opposition, est de créer un lien fort avec le peuple, qui a perdu toute confiance en la politique afin qu'il puisse renouer avec l’espérance.
Ce qui m'importe, c'est la République pour tous et non celle du clan au mépris des règles et au détriment de la majorité, car il y va de l'héritage que nous voulons concéder aux générations futures.
Mes valeurs sont simples: l'équité, l’ordre, le mérite, le travail et la solidarité envers nos compatriotes qui sont dans une souffrance sociale, mais elles sont aussi l’innovation, la création, la lutte contre les injustices. Pensez-vous que je dois m'en excuser ?
Ce qui m'importe, dans la République, c'est la place qui revient à notre jeunesse, à nos forces armées, nos enseignants, nos syndicats, nos magistrats, les personnels de la santé publique, la société civile un relai indispensable entre les pouvoirs publics et les citoyens.
Et tout ça, forcement me concerne comme elle concerne chaque citoyen épris des valeurs démocratiques et humaines.
Le Temps : Comment comptez-vous jouer un rôle politique, car en dehors de votre blog et des apparitions télévisées en France vous parlez peu ?
AM. : Vous savez, l'engagement politique se fait à toutes les échelles dans une société. Quand un citoyen mène des actions au sein d'une structure associative, il joue forcement un rôle politique, car il devient un apport dans cette synergie pour le construire ensemble.
Pour ce qui me concerne, je joue déjà un rôle politique à mon niveau, en prenant position quand il le faut sur ce qui se passe dans mon pays. Simplement, je regrette que la politique à Djibouti soit réduite à une forme de sectarisme encore très palpable.
Une tendance que réfute désormais la nouvelle génération plus instruite. Le RADD, est un exemple très révélateur d'une société émergeante, où les libertés des citoyens ont été spoliées durant des années.
Ayant été militant depuis des années dans une grande formation politique en France, avant d'être élu délégué régionale chargé de questions, de la citoyenneté, de l'intégration et du développement économique et social des quartiers dits « sensibles », je ne m'étais jamais reconnu dans cette conception que nous avions toujours eu de la politique à Djibouti.
Je me suis toujours placé au-dessus de petites guéguerre des clans. Ce décalage fait que parfois, des échanges m'exaspèrent. Pour autant, le MRS dont je suis le Président fait un travail en permanence auprès des diplomaties étrangères sur la situation à Djibouti, parce que je me suis toujours refusé à l'idée de la démocratie à géométrie variable. Le changement arrivera plus vite que nous le pensons, car nous avons rendez-vous avec l'histoire à condition que nous arrivions par la suite, à la transcrire dignement et sans oublier personne.
Pour revenir à mon rôle politique à Djibouti, celui-ci avait déjà commencé en 2008, par la création du CNDES (Collectif National pour le Développement Economique et Social). Révolté de voir les carences criantes en matière des politiques économiques et sociales, nous avions élaboré et suggéré certaines pistes pertinentes de politiques économiques et sociales, par exemple : l'idée de pôle de compétitivité au port de Djibouti, de la création du CES (Conseil Economique et Social) pourtant une urgence, la mise en place des zones d'éducation prioritaires, la suppression de la carte scolaire, pour plus de justice et mixité sociale, le POP (Parcours Obligatoire de Professionnalisation) pour les jeunes après leur cursus universitaire, les politiques solidaires, la formation, l'insertion et j'en passe.
Le Temps : Votre opposition au régime remonte à quelle année ?
AM. : Mon opposition face aux injustices remonte à mon plus jeune âge. Quand vous avez connu vous-mêmes, la pauvreté, la misère et l'injustice sociale, vous avez pour droit moral de ne pas être passif devant cette réalité macabre. Et je m'insurge, aujourd'hui comme hier, contre celles et ceux qui n'ont eu ou ont pour seule ambition, celle d'agiter et balloter cette République au gré de leurs absurdités afin de continuer à duper le peuple.
Mon opposition est aussi celle du communautarisme clanique qui gangrène notre société, il faut se l'avouer, et réduit le djiboutien à sa seule appartenance ethnique. Je combats la loi des tribus parce que de toute évidence, elle est un cancer et frein à notre émancipation comme à notre progrès social. Il nous faut sortir de cette tragédie qui n'a pour tendance que la régression.
Il ne s'agit pour personne d'oublier sa propre histoire, mais la République est notre histoire à tous, pour pouvoir mieux vivre une destinée commune. Pensez-vous que l'on pourra un jour vous faire aimer ce que l'on aura appris à vous faire détester ? C’est-à-dire l'autre.
Nous devons avoir pour seul but de vaincre l'injustice, de permettre à celui qui n'a rien d'être considéré, à celui qui travaille d'user du fruit de sa labeur, à celui qui commence tout en bas de l’échelle sociale de la gravir aussi haut que ses capacités le lui permettent, d'instaurer une vraie égalité de chance pour tous, que l'enfant soit éduqué, le malade soigné, le vieillard arraché à sa solitude, le travailleur respecté, la misère vaincue.
Si dans des pays pseudo démocratiques l'ascenseur social est grippé, il reste toujours la solution de l'escalier, mais à Djibouti, même celui-ci est inexistant. Voilà les réalités que le régime fuit toujours.
Le Temps : Vous aviez des accointances avec le président Ismael Omar et vous êtes même proche de lui sur le plan familial, pourquoi ce divorce politique ?
AM. : Des accointances ? Non, vous n'êtes pas sérieux j'espère. Regardez autour de vous, et vous comprendrez, ce que génèrent comme avantage la soumission et l'appartenance à une basse-cour très représentative. Si je résume bien la question, appartenir à un même sous clan relève forcement d'accointance avec le régime, qui n'est d'ailleurs pas dans sa composition, que d'un seul sous clan. Vous êtes vous-même proche sur le plan familiale, pour autant, vous êtes aussi une victime, parce que tout comme moi, vous allez à contre sens d'un mensonge. Donc, nous nous trouvons face à une vérité ou le régime ne représente que lui-même.
Quand on aime son pays et qu'on a du respect pour ses compatriotes, on ne peut pas se montrer complaisants avec la monstruosité d'un régime qui sape les fondements d'une nation.
Pour ce qui est d'un divorce politique, il faudrait d'abord qu'il y ait eu mariage, et ça, chacun le sait. Si je puis avoir du respect pour l'homme, puisqu'on a tendance à résumer le régime à un seul homme, je n'approuverai jamais la dérision politique qu'il sème.
Le Temps : Quel bilan faites-vous de la gouvernance du président de la république durant les treize années écoulées ?
AM. : Je dirais plutôt que le Président a échoué sur tous les plans : politique, économique et social et même du bon voisinage avec les pays limitrophes. Il a manqué une chance de laisser dans l'histoire nationale, l'empreinte d'une gouvernance juste et responsable, pour le peuple et par le peuple.
Nous vivons depuis 1999, un véritable déni de démocratie qui a fait place à une anarchie jamais égalée, doublée d'un chao sociétal. Et c'est le peuple qui trinque, parce qu'il subit les conséquences d'un « néantisme » absolu. Jamais il n'a été au centre de tous les débats politiques. Il en a toujours été absent.
Le Temps : Quelle solution préconisez-vous donc pour que notre pays s’en sorte ?
AM. : Sur ce point, la solution n'appartient pas qu'à moi, elle est ouverte à l'ensemble des djiboutiens, politiques ou pas. Il faut que la République de Djibouti devienne un Etat démocratique, un Etat de droit.
Les solutions exigent au préalable, des questions sincères auxquelles nous devons nous poser. Cherchons-nous une démocratie acceptable par tous, ou celle de la connivence et des amitiés où l'impartialité de l'Etat serait mise au placard. Cherchons-nous une démocratie où l'exécutif est tout, et le Parlement rien, ou celle où le Parlement contrôle l'exécutif et a les moyens de le faire. Voulons-nous une démocratie où l'indépendance de la justice soit reconnue ou celle d'une démocratie où la justice est complaisante.
Nous avons besoin de mesurer d'abord la pertinence de ces quelques questions pour l'instant, pour mieux être disposé à aborder le reste avec honnêteté. Mais qu'est-ce qu'également la démocratie, s'il n'y a point place à tous les sujets qui ont attraits à la réconciliation nationale pour arriver à fermer les plaies béantes dans notre histoire nationale. Aucune alternance aussi ne sera possible, si l'idée de la mémoire ne nous effleure point. Tout cela imbriqué, donnera naissance à une nation dont les fondements seront solides. C'est ce qui nous permettra de voir l'avenir avec beaucoup de sérénité.
Le Temps : Vous aviez soutenu le groupement des partis de l'opposition, regrettez-vous ce choix ou vous en êtes satisfait ?
AM. : Il est vrai que je me réjouis de la formation de l'USN, même si je regrette qu'elle ne soit pas encore une coalition politique comme l'exige le contexte politique actuel. Certes, elle a participé à des élections dont elle savait pertinemment l'issue, parce qu'aucune dictature ne rend jamais les armes par la voie démocratique. Malgré le refus du régime à procéder à un processus électoral libre et transparent, elle en a tout de même fait fi pour l'affronter avec si peu des moyens, et si peu de liberté. L'USN a réussi à braver à main nu l'UMP à l'image de la confrontation qui a opposé David et Goliath, le résultat dépasse toutes les espérances. Mon soutien s'inscrit donc, dans la même énergie que l'ensemble des djiboutiens.
Cependant, il ne faut pas réduire l'opposition uniquement à celle de l'intérieur. Il y a aussi l'opposition de l'extérieur. Il y a également la Diaspora qui fait un travail remarquable, dont je salue le courage et l'énergie dont-elle déploie pour cette cause qui nous unie. Si l'une se fait l'écho du peuple à l'intérieur du pays, l'autre se fait du même écho à l'extérieur. Le résultat de cette synergie nous le voyons bien, a permis d'interpeller l'opinion publique internationale qui a poussé les diplomaties étrangères à prendre position sur la situation de la République de Djibouti.
Le Temps : Notre pays vit depuis le 23 février 2013 une crise post-électorale sans précèdent, quelle est votre lecture de la situation, pensez-vous que l'USN a gagné les élections ?
AM. : C'est sans conteste que je dirai oui, sinon le conseil constitutionnel n'aurait pas mis autant de temps pour proclamer les résultats de ses élections. Sa démocratie à 20%, l'a mis dans une situation de l'arroseur arrosé, parce qu'à aucun moment, il ne s'attendait à ce que l'opposition prenne part à ces élections, mais également à ce qu'elle puisse se regrouper dans une coalition électorale. Le peuple s'en était saisi pour inviter le régime à son départ. Ce qui suscite malheureusement, cette logique répressive dans laquelle il continue à s'enfermer.
Le Temps : Dans ce cas quel conseil donneriez-vous au chef de l'Etat ?
AM. :. Je n'aurais jamais la « prétention » de le conseiller. Je dirais tout simplement qu'il aurait dû accepter le verdict des urnes et respecter pour une fois, le choix des électeurs djiboutiens. Une issue digne pour une sortie honorable. Si le régime a échoué sa gouvernance durant quatorze années, qu'il réussisse au moins, la sortie de fin de son règne.
Le Temps : L'homme de rue pense que pour des raisons géostratégiques le président est soutenu par les puissances occidentales militairement présentes à Djibouti, êtes-vous de cet avis ?
AM. : On ne peut pas à chaque fois où nous échouons nous même dans l'idée de notre combat pour la démocratie, pointer du doigt la communauté internationale. Il ne faut pas oublier qu'un pays est d'abord un Etat souverain.
Certes, la communauté internationale, notamment la France et les Etats-Unis présents à Djibouti, peuvent contribuer davantage à notre émancipation face au régime, mais nous devons également nous pencher de façon cohérente sur l'alternance que nous proposons comme gage de garantie à l'égard de nos futurs partenaires.
Nous sommes seuls décideurs de notre destiné rien de plus. Et je pense que le message est bien compris par la nouvelle coalition de l'opposition.
Le Temps : A la veille des dernières législatives, le chef de l'Etat avait déclaré qu'il ne se représenterait en 2016, et préparerait discrètement un successeur. Pensez-vous qu'il envisage de partir ou est-ce une man½uvre de plus pour endormir les djiboutiens et la communauté internationale ?
AM. : Cette interview ne s'inscrit plus dans ce nouvel contexte politique. La donne a changé et l'appel au changement du peuple et de la communauté internationale est pressante. Et puis, la République de Djibouti n'est pas une principauté des Emirats où l'on nomme son successeur, il y a une constitution qui nous est propre, et le peuple la fera valoir à tout moment.
Le Temps : Quelques mots pour conclure?
AM. : Soyons les bâtisseurs de la grandeur de notre Nation.
Entretien précédemment publié dans les pages du bimensuel Djiboutien « Le Temps » n° 25 du 18 avril 2013, Djibouti. Avec l'aimable autorisation de la rédaction