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Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi lors d'un sommet européen à Bruxelles. REUTERS/POOL New
Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi lors d'un sommet européen à Bruxelles. REUTERS/POOL New

Immigration tunisienne: Sarko surfe, Silvio coule

Les relations franco-italiennes se sont tendues avec la crise libyenne et l'afflux massif d'immigrés tunisiens. Les enjeux politiques sont de taille, et dans ce bras de fer, le président français a pris le dessus.

Assiégés par des opinions publiques assez hostiles aux immigrés clandestins et suspicieuses envers les multitudes en révolte dans le monde arabe, Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy ont tenté de trouver ensemble une échappatoire à cette situation urgente.

Le président français devait justifier aux yeux de son allié italien la fermeture soudaine de la frontière à Vintimille pour empêcher l’arrivée en masse de milliers de Tunisiens débarqués à Lampedusa au cours des deux derniers mois.

Berlusconi quant à lui, devait calmer les Italiens, et tout particulièrement Umberto Bossi, son allié de la Ligue du Nord au gouvernement, au sujet de la gestion jusque là improvisée et maladroite de l’urgence des immigrés.

La solution, pour Nicolas Sarkozy et pour le président du Conseil italien, consistait à trouver un troisième interlocuteur et même une autre rive neutre sur laquelle déverser le problème.

Pas tant pour le résoudre —le sujet reste très délicat pour tout le monde— que pour en donner au moins l’impression. L’exercice, en réalité assez ardu, semble avoir bien réussi à Sarkozy, mais pas du tout à Berlusconi.

A l’issue du sommet bilatéral qui s’est tenu à Rome le 26 avril 2011, le secrétaire de la Ligue du Nord, Umberto Bossi (qui est aussi le ministre des Réformes du gouvernement Berlusconi) s’en est pris lourdement au chef du gouvernement en prononçant ce jugement sans appel:

«Nous sommes devenus une colonie française.»

Carton plein pour Sarkozy

D’après Bossi, Sarkozy a conclu triomphalement sa petite campagne italienne, en plumant littéralement le gouvernement de Rome sur tous les dossiers en cours. L’unique victoire ténue —et encore hypothétique aux vues des résistances allemandes— pour Berlusconi se résume à l’appui français à la candidature de Mario Draghi (actuel gouverneur de Bankitalia) à la présidence de la Banque centrale européenne quand prendra fin le mandat de Jean-Claude Trichet. Mais pour le reste, c’est un «carton plein» pour les Français: oui à l’offre publique d'achat de Lactalis sur Parmalat; confirmation du choix stratégique du nucléaire malgré Fukushima —et de fait des contrats passés avec EDF pour la construction de quatre centrales en Italie—; convergence sur la stratégie militaire en Libye —raids aériens compris.

Mais c’est le dossier le plus chaud, à savoir celui de l’immigration, qui a réellement scandalisé Bossi et son parti. Sarkozy et Berlusconi ont simplement décidé d’envoyer une lettre à la Commission européenne pour solliciter une révision du traité de Schengen qui régule la circulation des personnes dans l’espace européen. Pourquoi? Parce que l’Italie a accordé aux immigrants tunisiens débarqués à Lampedusa un permis provisoire de séjour valide six mois dans tout l'espace Schengen. La France a contesté la validité de ce document, fermé le poste de Vintimille aux Tunisiens et rétabli les contrôles sur toute sa frontière avec l’Italie pour endiguer le flux d’immigrés.

De là est né le contentieux qui envenime les relations déjà brûlantes entre les deux pays ces dernières semaines. La Commission européenne ayant reconnu à la France le droit de refouler les clandestins en provenance d’Italie, le ministre de l’Interieur Roberto Maroni s’était alors exclamé: «Si c’est ça l’Europe, mieux vaut en sortir». Et Maroni appartient lui aussi à la Ligue de Bossi.

Echec Berlusconien

Face à cette situation, quelle solution Berlusconi a-t-il donc trouvé? Envoyer une lettre à la Commission en demandant la révision du traité de Schengen, soit exactement ce que voulaient les Français —lesquels avaient déjà révisé de fait les accords en fermant Vintimille. En somme, un repli sur toute la ligne rendu presque grotesque lorsque le président du Conseil italien a reconnu les bons arguments du président français.

Si Sarkozy doit se prémunir chez lui de la compétition avec le Front national, Berlusconi a l’épine de la Ligue du Nord dans le pied. La différence —fondamentale— est que madame Le Pen n’est pour le moment qu’une adversaire politique en compétition avec Sarkozy sur le terrain électoral. Bossi, lui, est le principal allié de Berlusconi au sein du gouvernement; l’homme qui lui permet de garder solidement en main (d’un point de vue électoral) le Nord de l’Italie, où la Ligue recueille près de 20% des suffrages.

Le président du Conseil italien entre deux feux

Que va-t-il donc se passer à présent? Difficile de le dire, personne n’envisageant sérieusement la possibilité d’une crise gouvernementale. Car nonobstant tensions et litiges fréquents, Bossi et Berlusconi se maintiennent ensemble grâce à un pacte en béton. Mais dans quelques semaines, on vote dans certaines communes importantes, parmi lesquelles Milan, la ville de Berlusconi —le lieu le plus symbolique pour la Ligue du Nord. La compétition est rude: le chef du gouvernement doit démontrer qu’il est encore capable de l’emporter malgré les scandales et les enquêtes judiciaires le concernant. La Ligue du Nord est en compétition contre son allié, ne fait aucun cadeau et se tient en embuscade, prête à profiter des faiblesses d’autrui.

Berlusconi, le soir du sommet, apparaissait pris dans un étau, entre Sarkozy et Bossi. Obligé de combattre sur un terrain qui n’est pas le sien, contraint de montrer le visage d’un leader décidé même à la guerre en Libye contre un adversaire qui, il y a peu de temps, était son allié et son fidèle soutien, partenaire en politique et en affaires. Bossi a été impitoyable sur ce point-là aussi. Réaffirmant sa ligne «pacifiste» —ce qui pourrait sembler paradoxal de la part d’un parti qui flirte avec la xénophobie, mais ce n’est qu’un autre des paradoxes italiens— déjà professée au temps de la guerre au Kosovo et vis-à-vis de Saddam Hussein, il a accusé Berlusconi de «bellicisme» et proféré une banalité pourtant non dépourvue de son petit effet: «La guerre est toujours une erreur».

Cesare Martinetti

Traduit de l'italien par Florence Boulin

 

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Cesare Martinetti est directeur adjoint de La Stampa.

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