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Capture d'écran du site Tunisia Watch, le 27 avril 2011.
Capture d'écran du site Tunisia Watch, le 27 avril 2011.

Blogueurs tunisiens, le parti de la liberté

En Tunisie, les blogs ont joué un rôle dans la Révolution et participent aujourd'hui au débat politique. Sous Ben Ali déjà, les cyber-activistes contournaient la censure pour affirmer leur liberté d'expression.

ATunisiangirl, Mon Massir, Nawaat, Takriz, Carpediem-selim, Wled-el-Banlieue, ByLasko… On ne compte plus les sites et les blogs militants en Tunisie. Ces ardents défenseurs de la liberté d’expression, qui désormais font partie du paysage démocratique et participent au débat politique, perdurent depuis la Révolution du jasmin et la chute du régime de Zine el-Abidine Ben Ali le 14 janvier 2011.

La plupart des blogueurs tunisiens sont apparus bien avant les manifestations. Certains ont abandonné leurs pages, tandis que d’autres sont aujourd’hui membres du gouvernement provisoire comme Slim Amamou, secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, Lina Ben Mhenni, ATunisiangirl, membre de l’Instance nationale pour la réforme du secteur de l’information et de la communication, ou encore Sofiane Belhaj, membre de la Commission tunisienne pour la préservation des principes de la Révolution.

Au temps de la révolution, les blogueurs ont affiché leur insoumission au pouvoir en contournant techniquement la censure. L’écrivain et professeur d’université Abdelwahab Meddeb l’affirme: ce qui s’est passé en Tunisie, c’est une «révolution par les blogs».

Toutes les victoires tunisiennes actuelles ne sont donc pas nées d’hier. Le site Nawaat a par exemple été lancé en 2004, et le blog ATunisiangirl en 2007. Même si des cris plus physiques ont mis le feu aux poudres, la solidarité, l’échange ou la foi en un drapeau font bel et bien partie du patrimoine génétique tunisien et ce, quel qu’en soit le support d’expression.

Les Tunisiens passionnés par le web

Ces initiatives journalistiques, certes d’amateurs, mais qui ont assuré une couverture médiatique complète (photos, vidéos, articles et vérification des informations), ne sont pas le fait d’une tendance ou d’un épiphénomène. Ces cyber-activistes se sont chaque jour physiquement engagés, en militant pour la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme. «Aujourd’hui, Internet est une condition nécessaire, mais pas suffisante, pour faire la révolution», rappelle le journaliste Pierre Haski, directeur de Rue89.

Comme nombre de pays arabes, la Tunisie a toujours été une grande consommatrice de téléphonie, fixe ou mobile: environ 12 millions d’abonnés en 2010 (PDF) pour 11 millions d'habitants. Et, depuis environ cinq ans, les Tunisiens se passionnent pour le web: on comptait 3,6  millions d’internautes en 2010 à travers le pays.

«Rien de plus facile que de lancer un blog», assurent les hébergeurs. Des pages personnelles et interactives peuvent être créées en quelques clics. Une simplification qui permet d’encourager les néophytes sans réserver ce support d’expression aux seuls initiés.

En dehors des pages personnelles, un genre de blog prédomine en Tunisie, c’est le blog d’information, comme Tunisia Watch, DEBATunisie, Nadia From Tunis. On compte plusieurs milliers de journaux en ligne animés par des Tunisiens et presque un million de pages visitées par mois.

Il faut reconnaître que les moyens mis à la disposition de la population, fussent-ils au service du régime dictatorial, ont été conséquents. Qu’il s’agisse ou non d’une entreprise de contrôle, l’ex-président n’a pas lésiné sur les investissements dans le secteur. En Tunisie, les laboratoires de recherches, les établissements d’enseignements du secondaire, les universités, sont tous connectés.

Ingéniosité face à la cyber-censure

L’ex-dictateur, Zine el-Abidine Ben Ali, avait su anticiper le pouvoir des nouveaux médias. En dehors d’un serveur mandataire qui filtrait les sites sur la base de leur nom de domaine, le gouvernement a employé des procédés de censure parmi les plus stricts du monde.

Récemment, on apprenait d’un ancien directeur des services secrets tunisiens l’existence de bureaux d’écoutes téléphonique et satellitaire près de Carthage. Ces bureaux employaient près de 600 ingénieurs «censeurs» relevant du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir. De leur côté, les blogueurs contournaient les restrictions de navigation en s’échangeant des proxys, ces serveurs qui permettent de surfer anonymement sur le web.

Le site Twitter a également été un atout dans ce face à face virtuel. Le site est un incontournable pour qui veut suivre en direct un événement. Durant la période des manifestations, les hashtags (mots-clés) #sidibouzid, #Zaba, #jasminrevolt, #maniftunis, #benali ou encore #tunis, étaient en première position des sujets les plus recherchés sur le site.

Une guerre ouverte se jouait derrière la toile bien avant la révolte de janvier. Lina alias ATunisiangirl revient sur cette période: «Sous les dictatures arabes, la majorité des pays vivent dans un blackout médiatique. Les médias ne faisaient pas la couverture des événements en Tunisie, et Internet nous a permis d’en assurer la couverture.» 

Les censeurs, soutenus par l’Agence tunisienne d’Internet, pirataient les comptes des militants pour récupérer les identifiants et mots de passe. Les Tunisiens avaient coutume de surnommer «l’erreur 404» (affichage d’un site bloqué) «Ammar 404». Une personnification de la censure, en référence à l’ancien ministre de la Communication Habib Ammar. A ce jour, cette cyber-censure n’existe plus, mais une cyber-police continue de surveiller les internautes tunisiens:

«Je le confirme, la cyber-censure n’existe plus en Tunisie. Oui, il y a une cyber-police qui agit sur ordre de la justice. D’autre part, cette cyber-police fait de la veille sur la toile, essentiellement dans le but d’identifier les sites à résonance terroriste. Mais j’envisage de me renseigner un peu plus quant à leurs activités», a affirmé le secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux Sports, Slim Amamou.

Les blogueurs restent sur le pied de guerre

Plusieurs arrestations de blogueurs ont eu lieu avant la période de crise de janvier 2011. Zouhair Yahyaoui, blogueur emprisonné, créateur du site Tunezine, décédé en 2005 d’une crise cardiaque pendant sa détention, et qui a reçu en 2003 le prix Cyberliberté de Reporters sans frontières, ou encore Fatma Arabicca, emprisonnée en 2009, sont devenus les symboles de la difficulté de faire du journalisme en Tunisie.

Slim Amamou dirige aujourd’hui Alixsys, une entreprise spécialisée dans les systèmes d’information du web. Il alimente par ailleurs le réseau international de veille démocratique Global Voices On line. Le blogueur de 33 ans rappelle son intérêt originel pour la politique: «La politique m’a toujours intéressé, j’en faisais d’ailleurs avant le 14 janvier. J’ai déjà annoncé que je quittais le gouvernement en juillet mais je continuerai à faire de la politique d’une autre manière», assure-t-il. En attendant, il participe à la constitution du Parti Pirate, un site militant contre toute forme de censure:

«Ce parti a pour ambition la lutte contre le copyright, contre la cyber-censure, prôner l’instauration d’un e-gouvernement avec une plus grande participation du citoyen dans les décisions politiques sans qu’il doive attendre les élections pour s’exprimer. Faire du droit au libre accès à l’information, un droit constitutionnel.» 

De son côté, Lina Ben Mhenni, alias ATusiangirl, professeur d’anglais à l’université, poursuit sa route après son couronnement pour le Meilleur blog 2011. Sa page Internet comptabilise entre 1.000 et 6.000 vues par jour, 20.000 personnes qui la suivent sur Facebook et 4.000 sur Twitter. Les motivations de cette jeune blogueuse prennent racines au-delà du soulèvement tunisien: «J’ai grandi dans un milieu militant. Mon père est un ex-prisonnier politique, du temps de Bourguiba. Il est aussi l’un des membres fondateurs d’Amnesty Tunisie», justifie-t-elle. Elle nuance volontiers les titres qu’on lui décerne à la hâte:  

«Qu’est-ce qu’un cyber-activiste? On est avant tout une activiste sur le terrain. On ne peut pas être activiste seulement derrière son écran.»

D’autres, comme Anis Bedda, ont préféré suspendre leur activité de blogueur pour prendre du recul sur cette situation ubuesque: «Personnellement, j’ai arrêté d’écrire quelques semaines après le départ de Ben Ali. Dans la cacophonie qui régnait, j’ai préféré observer en silence, et attendre de voir comment se développent les choses.»

Le blogueur Selim (Carpediem-selim), quant à lui, se satisfait du résultat de ces quatre années de blogging: «Aussi modeste soit-elle, j’ose espérer que ma contribution a aidé à accélérer l’évolution sociale et politique en Tunisie qui s’est soldée par une révolution. Tout simplement en commentant et en débattant, ce qui a progressivement amené à une prise de conscience commune.»

Sofiane Belhadj, le traducteur des câbles de WikiLeaks en français et en arabe, arrêté et emprisonné le 6 janvier 2011, revient sur cette période de concurrence où la brutalité de la censure lui faisait repousser les limites:

«Mon premier groupe consistait à défendre l’idée d’une démocratie tunisienne, et parallèlement j’ai animé ma page I Have a dream: une Tunisie démocratique. On était plusieurs [blogueurs, ndlr] à se faire concurrence, et l’effet de concurrence nous a amené à aller le plus loin possible et jouer avec le feu.» 

Quel avenir pour les blogueurs tunisiens?

Bien qu’il ne s’agisse que d’une période transitoire, la situation actuelle du pays n’inspire pas outre mesure les blogueurs tunisiens. ATunisiangirl confiait il y a peu son manque d’engouement pour les prochaines élections: «Jusque là, aucun parti politique ne m’a convaincue, tout comme les médias qui ne changent pas, les journalistes ont la possibilité de faire beaucoup mieux, mais ne le font pas vraiment.» Lina insiste sur la place que tiennent désormais les blogueurs dans la diffusion des informations:

«Le rôle d’un blogueur ne s’arrête jamais. On doit mettre la pression. Sur les réseaux sociaux, ou sur le terrain. Moi je serai toujours un électron libre, je n’ai pas envie de m’engager dans un parti politique.»

Sofiane Belhadj reste plus optimiste sur l’avenir et sur la période de flottement que traverse la Tunisie: «Il faut vraiment maintenir le cap, comme il a été défini, c’est-à-dire, l’objectif démocratique. La libre concurrence devenue possible, je ne peux être qu’optimiste à long terme. Il y a eu une union pour faire tomber la dictature, dès que la dictature est tombée, il y a eu une division en plusieurs idéologies et c’est normal, d’autres pays ont connu des zones de transitions assez identiques», nuance-t-il. 

La blogosphère c’est aussi et surtout un rempart à la désinformation. L’information y est vérifiée par des milliers d’internautes et corrigée presque en temps réel. Aussi libre soit-il, le paysage médiatique tunisien doit désormais compter avec ces blogueurs et multiplier son offre pour parvenir à un pluralisme visible.

Pour Slim Amamou, «sur Internet, il n’y a plus de géographie, plus de frontières, plus de barrières, plus de langues». Un esprit collectif et «citoyen du monde», qui dépasse le carcan étroit du seul Etat, et qui symbolise le contre-pouvoir populaire. Sur l’une des pancartes qui trônaient le 14 janvier 2011 sur l’avenue Habib-Bourguiba de Tunis, on pouvait lire, surplombant le dessin d’un ordinateur portable: «Ceci est notre arme.»

Mehdi Farhat

 

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Mehdi Farhat

Journaliste à SlateAfrique

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