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Ni musulmane ni chrétienne: je suis une citoyenne égyptienne
Une campagne contre la mention de la religion sur la carte d'identité a été lancée sur les réseaux sociaux en Egypte.
Musulman, chrétien ou juif. Ce sont les trois seules identités religieuses reconnues en Egypte. Elles peuvent figurer sur la carte d’identité. Les autres doivent se taire et se travestir pour se conformer à l’ordre des trois monothéismes.
Aux yeux de l’Etat, d’un employeur et de toutes les administrations devant lesquelles elle se présentera, une personne sera soit musulmane soit chrétienne. Exception: les pratiquants du bahaïsme, une branche de l’islam chiite. Ils ne sont plus obligés d’inscrire une fausse religion sur leur carte d’identité, depuis 2009.
Pour en finir avec une citoyenneté éminemment liée à la religion, des libéraux égyptiens ont lancé des groupes Facebook et YouTube qui appellent les citoyens à recouvrir la partie de leur carte où il est fait mention de la religion.
Intitulé «Ce n’est pas vos affaires», le groupe Facebook relaie l’actualité de cette campagne menée contre l’ingérence de l’Etat dans la vie privée des citoyens. Pour ces libéraux, la religion est une affaire personnelle et non celle de l’Etat. C’est pour cette raison qu’ils réclament la suppression de la mention religion sur tous les documents officiels. Pour participer à la campagne, les Egyptiens sont donc invités à masquer la religion inscrite sur leur carte d’identité par un autocollant.
Pourquoi une telle initiative? Pourquoi maintenant? Les porteurs du projet sont persuadés que cette distinction religieuse ne sert à rien, si ce n’est à diviser encore plus les Egyptiens. Pendant la révolution, la blogueuse et journaliste égyptienne Sarah Carr se souvient avoir dû montrer sa carte d’identité à un Egyptien qui contrôlait les rues après le couvre-feu. Sarah Carr… mais ça ne sonne pas très musulman. Pour en savoir plus, il retourne la carte. Y figurent le sexe, l’état matrimonial et la religion de la journaliste.
«Comment pouvez-vous être musulmane et vous appeler Sarah Carr?», lui demande le policier, interloqué. Elle, est excédée. D’où vient ce besoin d’appréhender l’autre par le biais de schémas établis comme la religion ou l’état matrimonial?
Obsession
Pour Sarah Carr, l’une des principales organisatrices de la campagne «Ce n’est pas vos affaires», les récents affrontements autour de la cathédrale d’Abassiyya ont montré combien les Egyptiens sont obsédés par l’identité religieuse, et que cela pouvait être un facteur de violences meurtrières. De là surgit un paradoxe: l’Etat égyptien dit traiter tous les citoyens sur un pied d’égalité, or c’est lui qui tient à distinguer les Egyptiens en fonction de leur identité religieuse.
Envahie par un sentiment d’impuissance après les heurts confessionnels, Sarah Carr a alors l’idée de recouvrir la mention religieuse sur sa carte d’identité et de poster la photographie sur Facebook. Cette donnée «n’est absolument pas nécessaire à l’Etat, elle ne sert à rien d’autre qu’à nourrir les préjugés des fonctionnaires (et toute autre personne qui voit la carte d’identité)», écrit Sarah Carr sur le site Egypt Independant.
Mais camoufler la religion suffit-il à combattre l’esprit de corps qui traverse toute l’Egypte? Les noms suffisent à marquer l’identité religieuse d’une personne. Dans les affaires de divorce ou d’héritage, les juges appliquent des lois basées sur la religion de chacun. Dans ce type d’affaires, la personne concernée est soit musulmane soit chrétienne. En lançant cette campagne, la journaliste sait pertinemment qu’elle n’offre pas de solutions durables. Mais elle proteste contre un ordre social établi, refuse de se plier à l’étiquetage religieux, et revendique pleinement une citoyenneté laïque.
Nadéra Bouazza
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