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Wael Ghonim, cyberactiviste et «visage de la révolution» égyptienne
A 30 ans, Wael Ghonim, l'homme le plus influent de 2011 selon Time Magazine, quitte son poste de directeur marketing chez Google pour se consacrer à la deuxième phase de la révolution égyptienne: la relance économique du pays.
«Nous avions un rêve pour l’Egypte. Nous avons vécu un cauchemar. La réalisation de notre rêve commence maintenant.» Pour l’activiste égyptien Wael Ghonim, 30 ans, le plus dur est à venir. Il s'est servi d'Internet et des réseaux sociaux comme d'armes pour mobiliser et contribuer à organiser la révolution égyptienne qui a renversé en 18 jours le régime d’Hosni Moubarak, en février 2011. Aujourd’hui, il veut utiliser les nouvelles technologies pour œuvrer à la relance de l’Egypte.
Celui que le magazine américain Time vient de nommer l’homme le plus influent du monde était ce week-end dans la Silicon Valley californienne. Pour y chercher idées et soutiens, mais aussi pour officialiser son départ de Google, où il occupait le poste de directeur marketing pour la zone Afrique du Nord et Moyen-Orient.
«Je travaillais pour Google mais c’est la première fois que je me rends dans la Silicon Valley. Mon dernier voyage aux Etats-Unis remonte à 2001. Et dix ans plus tard, même si je suis connu, j’ai encore droit à un contrôle particulier à l’aéroport...»
Puis il ajoute, amusé:
«Certains croient et font croire que je travaille pour la CIA. Moi, je n’oublie pas que les Américains ont soutenu Moubarak! Aujourd’hui, je regarde vers l’avenir de l’Egypte. Je crois que les innovateurs de la Silicon Valley peuvent changer le monde avec les outils qu’ils créent. Et l’Egypte peut être le nouveau centre technologique de ce monde.»
Les nouvelles technologies pour développer l’Egypte
C’est de cet avenir incertain de l’Egypte qu’il est venu parler vendredi soir à la prestigieuse université de Stanford, à l’invitation de l’association des étudiants musulmans. Smartphone dans la main, jeans, baskets et sweat à capuche, Ghonim est accueilli en héros et le drapeau égyptien flotte sous les ors de l’université californienne. Son auditoire se compose principalement d’étudiants arabes et de membres riches et influents de la diaspora égyptienne exilée dans la baie de San Francisco.
Après un moment de silence en hommage aux plus de 800 égyptiens morts pendant cette révolte, Ghonim salue à sa manière les activistes tunisiens, et lâche avec légèreté:
«Les Egyptiens sont très jaloux par nature, et quand on a vu le succès de la révolution tunisienne, on a voulu faire pareil. Sans les cyberactivistes tunisiens, ça n’aurait pas été possible.»
Il prend plaisir à faire des blagues en arabe qu’il peine à traduire en anglais, avant de mettre en garde, toujours avec humour:
«Souvenez-vous des matchs de qualification pour la coupe du monde de football contre l’Algérie. Toute l’Egypte avait célébré la victoire du match aller et on se voyait déjà qualifié. On s’est fait éliminer au match retour. Avec cette révolution, on a donné une leçon et un signe d’espoir au monde entier. Il ne faut pas célébrer la victoire trop tôt. Le plus dur est devant nous.»
Ghonim explique avoir quitté son poste confortable chez Google et sa villa de Dubaï pour se consacrer pleinement à la transition démocratique et à la relance économique de l’Egypte, où la moitié de la population vit avec moins de 5 dollars par jour (3,44 euros). Pour tenter de relever ce challenge, il s’apprête à créer une ONG qui va se servir des nouvelles technologies pour lutter contre la pauvreté et favoriser l’éducation.
Son autre «rêve» est de «finir de nettoyer le système criminel de Moubarak», éradiquer la corruption et la culture du piston pour rétablir une méritocratie mais aussi donner un second souffle aux investissements étrangers.
De la révolution à la transition
Après avoir contribué à la «révolution 2.0», Ghonim veut réformer l’Egypte en profondeur. Cyberutopie d’un révolutionnaire qui surfe sur les succès? Il le reconnaît, un brin gêné. Il n’a pas vraiment de plan précis mais une myriade d’idées, comme cette proposition d’attribuer à différents Etats étrangers la responsabilité économique et sociale de différents quartiers du Caire.
Ghonim veut croire en la force de la communauté. Cette même communauté de plus de 850.000 internautes qui avaientt rejoint sa page anonyme «Nous sommes tous des Khaled Said», du nom de ce jeune égyptien de 28 ans battu à mort par deux policiers en pleine rue d’Alexandrie, après qu’il a posté sur Internet une vidéo montrant les forces de l’ordre se partageant une saisie de drogue.
Depuis la Silicon Valley, Ghonim lance un appel:
«Si vous avez de l’argent qui dort dans les banques, investissez, même des petites sommes, en Egypte. Mais ce dont on a surtout besoin, ce sont de compétences et d’un transfert de savoir.»
Il vient de créer un formulaire en ligne pour rassembler une base de données et d’idées de volontaires prêts à aider cette Egypte en transition. Décidément «blagueur» comme il l’avoue lui-même, il ne peut s’empêcher d’ajouter:
«Même si vous n’avez pas envie de visiter l’Egypte, allez-y! C’est un acte de solidarité envers les deux millions d’égyptiens qui vivent du tourisme et qui sont actuellement au chômage. Allez à Charm el-Cheikh, en plus vous êtes sûr de ne pas croiser Moubarak.»
Un appel entendu et également relayé par le prix Nobel égyptien Ahmed Zewail dans une tribune parue dans le Financial Times (cliquer sur le 1er résultat de la page), où il invite les gouvernements et les investisseurs privés à investir un milliard de dollars (680 millions d’euros) pour financer «la révolution de l’éducation».
Mais Wael Ghonim cultive son côté révolutionnaire radical teinté d’anti-américanisme avec une certaine rancœur à l’égard des anciens partenaires de Moubarak. Comme lors de ce débat à Washington la semaine passée avec le patron du Fonds monétaire international (FMI). Lorsque Dominique Strauss-Kahn reconnaît devant lui «les erreurs» de la communauté internationale sous l’ère Moubarak, Ghonim rétorque froidement:
«Pour moi, l’attitude de la communauté internationale à l’égard des dictateurs en Afrique et au Proche-Orient est un crime. Le FMI a accordé des prêts aux dictateurs et le peuple doit rembourser les intérêts.»
Et d’ajouter:
«Nous ne voulons pas de votre aide. Nous avons besoin d’investissements et d’experts pour rétablir un cadre légal et sain dans le monde des affaires en Egypte.»
Lobbying en faveur de l’Egypte, levée de fonds, quête d’idées novatrices, sensibilisation auprès de l’influente intelligentsia égyptienne exilée... La visite de Wael Ghonim en Californie n’est pas un simple pèlerinage de geek sur la terre sainte de la Silicon Valley. Il le dit lui-même, «c’est un déplacement professionnel pour le futur de l’Egypte».
Le destin de l'Egypte entre les mains d'un ingénieur
A peine la conférence de Stanford achevée que l’auditoire se rue vers lui. Photos, autographes, bises, quelques mots échangés; Ghonim est assailli comme une véritable rock star. Adulé en Occident où les médias l’ont désigné contre son gré «visage de la révolution égyptienne», Ghonim sait bien qu’au Caire, il est un personnage controversé. Et qu’il est attendu au tournant. Une partie de la population l’accuse d’être responsable de la situation économique du moment, de la hausse du chômage et des dégâts causés par la révolution. Plus rares sont ceux qui lui font porter la responsabilité des centaines de morts place Tahrir.
«Je les comprends, car certains sont dans la misère et n’ont rien à manger. Et c’est pour eux que je me bats aujourd’hui, pour qu’ils comprennent que le responsable est Moubarak. Et la seule solution c’est de relever l’économie de l’Egypte.»
Au regard de la rue égyptienne et de l’opinion publique internationale, le destin immédiat de l’Egypte repose en partie sur ce jeune ingénieur révolutionnaire propulsé au premier plan de la scène politique.
Tout a commencé avec ce rêve un peu fou de renverser Moubarak...
Joan Tilouine