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Pour Boni Yayi, le pouvoir à tout prix
Portrait de Boni Yayi, réélu président du Bénin en mars, après des résultats contestés.
Quand il a accédé au pouvoir en 2006 à la suite d’une élection démocratique et sans contestation, peu de Béninois connaissaient vraiment le nouveau président Boni Yayi. Exception faite de son passage comme conseiller de l’ex-président Nicéphore Soglo, beaucoup n’ont découvert l’homme que de loin, à travers la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) qu’il présidait.
La réélection dès le premier tour à la présidentielle du 13 mars 2011 de Boni Yayi a été vivement contestée par son challenger Me Adrien Houngbédji, qui s’est autoproclamé nouveau président élu de la République. Avant de baisser la garde après plusieurs manifestations réprimées par les forces de l’ordre. A la suite d’un processus électoral dont la transparence laisse clairement à désirer, Boni Yayi a été crédité de 53,1% contre 35,6% pour Me Adrien Houngbédji par la Cour constitutionnelle, dans l'élection la plus contestée de l’histoire du Bénin. Le Front des organisations de la société civile pour des élections libres, transparentes et pacifiques (Fors-Elections) a pour sa part indiqué que «l’écart entre les deux challengers en tête est de 7 points». Même dans l’entourage du président Boni Yayi, certains émettent des réserves quant au score que la Commission électorale nationale autonome (Céna) lui a donné, sur fond de discorde et d’échauffourées entre membres de cette institution.
Début de carrière dans la banque
Né en 1952 à Tchaourou dans le nord-est du Bénin, Boni Yayi a entamé, après son baccalauréat, ses études supérieures à l’université d’Abomey-Calavi au Bénin. Il obtient une maîtrise en sciences économiques, option gestion des entreprises. Puis, pour des raisons familiales, ce fils de paysan décide de poursuivre des études à l’Institut international des assurances de Yaoundé, au Cameroun. Il faudra la prompte intervention du préfet du département de l’Atacora, Abdoulaye Issa (originaire du même département que lui) et proche lieutenant du régime révolutionnaire du président Mathieu Kérékou, pour l’en dissuader.
Boni Yayi se voit donc orienté vers une carrière bancaire par Abdoulaye Issa, qui siège au Comité central du Parti de la révolution populaire du Bénin (PRPB). La défunte Banque commerciale du Bénin (BCB), où Bruno Amoussou officie alors en tant que directeur général, l’accueille de 1975 à 1977 puis il part à la Banque des Etats d’Afrique de l’ouest (BCEAO) à Dakar, Sénégal. Il achève ses études par un doctorat de troisième cycle en 1986 à l’université d’Orléans et un doctorat en sciences économiques en 1991 à l’université Paris IV Dauphine en France. Son retour au pays se fait dans les années 90, quand le Président Nicéphore Soglo, élu en 1991, le nomme conseiller à ses côtés pour s’occuper des questions monétaire et bancaire. Et le propose ensuite à la tête de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD).
Le parcours de Boni Yayi n’a rien à voir avec celui des acteurs de la classe politique traditionnelle au Bénin. Ni véritablement acteur politique ou social, ni ministre avant son irruption dans l’arène politique nationale: moult concours de circonstances ont manifestement joué en sa faveur. Il s’agit notamment de la fin des deux mandats constitutionnels de l’ancien président Mathieu Kérékou. Mais également de la lassitude des Béninois à l’égard d’une classe politique vieillissante et qui ne s’est pas renouvelée depuis.
Un homme neuf et fort en économie
Après deux nouveaux mandats de Mathieu Kérékou, réélu en 1996, les Béninois, qui connaissent une situation économique difficile, croient dur comme fer que le banquier de Tchaourou est la seule alternative pour relancer l’économie chancelante. D’autant plus qu’il promet un changement, auquel il ajoute sa foi en Dieu. Une foi qui émaille tous ses discours, largement amplifiés par les pasteurs qui l’entourent dans leurs chapelles. Entre la peste et le choléra, la question du choix ne se pose pas. Résultat de la présidentielle de 2006: les Béninois préfèrent l’homme neuf qui n’a jamais trempé dans quelque affaire plutôt que l’un ou l’autre des acteurs de la vieille classe politique. Même si Me Adrien Houngbédji peut se prévaloir d’être un homme propre, il reste tout de même que c’est grâce à lui que le président Mathieu Kérékou est revenu au pouvoir en 1996 et qu’il a cogéré le pays avec lui avant de jeter l’éponge.
D’ethnie Nago (proche du Yorouba) répartie au centre du pays, Boni Yayi bénéficie du soutien du Nord dont il est en partie originaire de par sa mère, issue d’un sous-groupe des Batombou qui est un métissage entre Peulh et Batonnou. Et il s’appuie sur une partie des formations politiques et autres mouvements qu’il suscite dans le pur style de feu le général-président Gnassingbé Eyadema du Togo. Avec des marches de soutien qui vont finir par être érigées en mode opératoire du système Yayi. Il bat le grand rappel de ses coreligionnaires des églises évangéliques.
L'heure de la déception
A l’épreuve du pouvoir, les Béninois se rendent compte que celui qu’un confrère, Edouard Loko, a qualifié dans un ouvrage intitulé L’intrus qui connaissait la maison ne connaissait pas vraiment la maison. Lui-même l’a avoué à l’Assemblée nationale lors d’un de ses discours en présence des membres du corps diplomatique. Boni Yayi fait souvent montre de populisme, au risque de faire machine arrière sur des questions d’intérêt national. Cela a été le cas par exemple concernant la suppression de la vente d’essence au bord des rues, la subdivision territoriale du pays en différents départements, les décisions de justice pour la démolition de certaines habitations à Cotonou.
Avant son élection à la magistrature suprême, bien des questions se posent sur cet homme qu’ils trouvent très humble à leur goût, voire très mou pour diriger le Bénin. Une fois hissé au pouvoir, Boni Yayi se dévoile. Il s’aliène ses premiers soutiens pour s’arc-bouter sur ses coreligionnaires et un certain nombre de coteries. Lesquelles sont entretenues aux frais de la princesse à la hauteur de leur soutien.
«Le président Boni Yayi est quelqu’un d’obstiné et qui n’écoute pas vraiment les conseils quand il veut entreprendre quelque chose. Je dirais même qu’il fait semblant d’écouter les gens», reconnaît un de ses anciens collaborateurs.
Mais quand il manque à ses devoirs envers le peuple béninois, il n’a qu’un seul mot: «pardon». Et pour se racheter: «Je vous aime.» Car il sait bien que le pouvoir est au peuple et que ce peuple-là en majorité aime qu’on touche son cœur. «Boni Yayi a l’art de ne pas respecter ses engagements», confie Antoine Dayori, deuxième vice-président de l’Assemblée nationale.
Dans les milieux officiels et parmi ses amis, il est pourtant qualifié d’homme très courtois, assez ouvert, disponible et attaché à ses amitiés. «Le Boni Yayi d’avant est bien différent de celui de maintenant. Il a promis le changement, mais c’est seulement lui qui changé. Il a mis une commission d’enquête sur ma gestion à la Communauté électrique du Bénin (CEB) sans qu’elle ne m’écoute. Heureusement que le gouvernement togolais ne l’a pas suivi. Non content de cela, il a tout fait pour que je sois limogé de mon poste actuel à la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cédéao). En vain. Car j’ai été recruté sur concours, auquel seize candidats de nationalités différentes ont postulé», raconte Cyr Kouagou, l’ancien directeur général de la CEB et candidat malheureux à la présidentielle. Ils étaient pourtant très liés du temps où ils étaient ensemble à Lomé, au Togo, dans la petite confrérie des Béninois qui président aux institutions internationales dans ce pays voisin. Comme pour dire que la célèbre sentence de Lord Acton selon laquelle «le pouvoir corrompt, le pouvoir absolu corrompt absolument…» illustre parfaitement cette métamorphose.
Beaucoup de Béninois pensent d’ailleurs que Boni Yayi a emprunté certaines méthodes de gouvernement du Togo. D’abord, le culte de la personnalité que les Béninois ne connaissaient pas, même sous le régime marxiste-léniniste. Le Bénin regorge de docteurs, mais il est le premier à se faire ainsi appeler. Et courtisans et laudateurs avec lui. Ensuite, pour asseoir son pouvoir, la presse privée est mise à contribution à coups de contrats. «Moi, je ne veux plus jouer les opposants comme au temps du marxisme-léninisme. Il faut gagner de l’argent», déclare un patron de presse par rapport au contrat qui le lie au gouvernement du président Boni Yayi. Les médias d’Etat, eux, se mettent à faire un travail dont la frontière entre l’information et la propagande est ténue.
Sous son apparente humilité, le président Boni Yayi est loin d’être insensible au culte de la personnalité. Et il est bien servi. Ce qu’on lit ou entend sur les médias fait croire qu’en l’espace d’un mandat, il a fait plus de réalisations que tous les chefs d’Etat béninois qui se sont succédé depuis 1960. C’est qu’en réalité, le pouvoir auquel il a accédé sans s’y attendre vraiment, il y tient comme à la prunelle de ses yeux. Et çà, les Béninois l’ont compris tardivement.
Marcus Boni Teiga
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