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Le flop 5 des dirigeants africains les moins connectés

Malgré le boom d'Internet et des réseaux sociaux en Afrique, il semblerait que certains chefs d'Etat du continent ne se sentent pas concernés.

Après le top 5 des dirigeants africains qui récompensait les présidents du continent les plus actifs sur les réseaux sociaux, le flop 5 décerne quant à lui la palme aux grands absents de la Toile. Et ils sont nombreux à faire pâle figure.

Au-delà de la simple indifférence d’un homme politique vis-à-vis du Web, il ne faut pas oublier que le contexte joue beaucoup dans le développement d’une «cyberactivité» politique, sans oublier certains facteurs qui freinent l’accès de la population à Internet: guerres civiles, censure, manque d’infrastructures… Et si la popularité des chefs d’Etat sur certains réseaux peut se montrer révélatrice de leur stratégie politique et des pratiques sociales, la négligence des réseaux l’est tout autant.

La principale difficulté rencontrée dans l’élaboration de ce flop 5 résidait dans le choix du critère qui départagera le moins connecté d’entre tous: sans page personnelle sur Facebook, sans compte Twitter ni même site officiel, comment déterminer le plus absent parmi les absents?

Au final, les champions du flop 5 ont été départagés sur le nombre de likes («j'aime») comptabilisés sur la page Wikipédia-Facebook qui leur est consacrée (rappelons que les likes peuvent être considérés comme une manifestation de soutien de la part d’un internaute).

Ainsi, chacun peut manifester son soutien à un dirigeant en «likant» sa page, même si l’on sait que le contenu purement informatif de Wikipédia n’a pas la même force qu’un site militant, plus engagé. De ce fait, les dirigeants cités dans le flop 5 n’ont de compte officiel sur aucun réseau social que ce soit. Un retard pénalisant, puisque l'Afrique est en plein boom dans ce domaine.

Sans plus attendre, voici donc le palmarès des présidents africains les moins connectés.

5. Hifikepunye Lucas Pohamba (Namibie): 36 likes

Dernier  du classement, Pohamba en est à son deuxième mandat présidentiel à la tête du gouvernement namibien. Elu une première fois en 2004, il a été reconduit dans ses fonctions en 2009. A noter que la Namibie n’est indépendante que depuis le 21 mars 1990, et dispose d'une des plus faibles densités de population au monde avec 2,6 habitants au kilomètre carré.

4. Mohamed Ould Abdel Aziz (Mauritanie): 18 likes

Le président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz, militaire de carrière, a provoqué la chute de ses deux prédécesseurs. D’abord avec le putsch de 2005 contre le président Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya (qui avait passé 21 ans de pouvoir), puis le 6 août 2008 en renversant le président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. L’élection présidentielle du 18 juillet 2009 —dont la régularité a parfois été remise en cause— a néanmoins officialisé sa position de chef de l’Etat.

3. Issayas Afeworki (Erythrée): 15 likes

Pas de surprise pour Issayas Afeworki qui dirige le pays d’une main de fer depuis son accession au pouvoir depuis 1993. C’est d’ailleurs le seul président qu’a connu l’Erythrée, puisque le pays n’a accédé à l’indépendance qu’en 1993, à la suite de trente longues années de guerre contre l’Ethiopie.

2. Sharif Ahmed (Somalie): 8 likes

Président depuis 2008, Sharif Ahmed est dans le peloton de tête de ce top des flops. A la tête d’un des pays les plus dangereux du monde, il n’est pas encore parvenu à mettre un terme à la guerre civile qui sévit dans le pays depuis près de vingt ans.

1. Omar el-Béchir (Soudan): 3 likes

Officiellement président depuis 1993, le médaillé d’or de notre flop 5 n'a pas volé son titre. Après avoir conquis le pouvoir par les armes en 1989, Omar el-Béchir a dû faire face aux velléités sécessionnistes du sud-Soudan mais surtout à la guerre civile qui dévaste le Darfour depuis 2003. Son implication dans les atrocités commises dans la région (300.000 morts depuis le début du conflit) lui a valu un mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale le 4 mars 2009 —renouvelé le 12 juillet 2010— ce qui ne l’a pourtant pas empêché d’être réélu en 2010 avec 68,24% des voix.

Des études récentes estiment que les vingt dernières années de guerre au Soudan auraient causé la mort de 2 millions de personnes et le déplacement de 4,5 millions de Soudanais. Reste à savoir si la prochaine indépendance du sud-Soudan permettra de stabiliser la situation.

Un faible taux de pénétration de Facebook

Au-delà des considérations politiques qui constituent une entrave à la simple possibilité de pouvoir s’exprimer librement, la faible implantation de Facebook dans certains pays peut expliquer la mobilisation plus que modérée des internautes pour un chef d’Etat.

Statistiques du réseau Facebook par pays, au 19 avril 2011 (Source socialbakers.com)

NB: le Soudan fait partie des seuls pays africains à n'être pas répertoriés parmi les pays utilisateurs de Facebook avec le Zimbabwe, le Sahara Occidental, la Guinée-Bissau, le Liberia et la Côte d’Ivoire.

La censure des médias

Si la possibilité de pouvoir s’exprimer librement sur Internet n’est pas la même partout, il est évident que la culture Web ainsi que les réseaux sociaux auront beaucoup plus de mal à s’épanouir dans des pays où toute voix contestataire est muselée par une répression plus ou moins féroce.

Ainsi, certains de nos «champions» ne s’illustrent pas seulement dans notre flop 5, mais aussi au sein du classement 2010 de Reporters sans frontières (RSF) pour la liberté de la presse. Mention spéciale pour l’Erythrée, grande dernière du classement RSF (178e sur 178 pays) pour la quatrième année consécutive, et qui cette année fait partie des pays classés «sous surveillance» par l’organisation.

Lucie Morillon, responsable du Bureau de Nouveaux médias à RSF, confirme que le trio de tête du flop 5 (Soudan, Somalie, Erythrée) concerne des pays où la censure des médias est l’une des pires au monde:

«L’Erythrée est le pire pays pour les libertés de la presse, et le pouvoir se méfie beaucoup d’Internet. Il y a de nombreuses arrestations de dissidents dans les cybercafés; toutes les voix contestataires sont sous surveillance. Certains médias locaux à la solde du gouvernement dénoncent les informations véhiculées par Internet.»

La Somalie n’est pas mieux lotie, arrivant en 161e position. Les ravages de la guerre civile et la montée en puissance des Shebab (islamistes radicaux) n’est sans doute pas étrangère à un tel résultat, puisque ces derniers chercheraient à prendre le contrôle de certaines radios indépendantes dans le but de diffuser leur propagande religieuse et idéologique.

Le Soudan (172e) enregistre quant à lui la plus belle contre-performance de 2010 puisque le pays a chuté de 25 places en un an, et ce malgré la suspension (temporaire) de la censure sur la presse écrite —qui au final n’a rien changé à la mainmise de l’état sur toutes les publications et à l'emprisonnement de certains journalistes.

Lucie Morillon explique:

«La situation de ces pays est de fait très compliquée au vu des conflits internes. Face à l’instabilité de la situation et au caractère répressif des régimes, il est clair que les chefs d’Etat se méfient d’Internet comme d'un outil pouvant compromettre leur autorité et donner plus de poids à l’opposition.»

Des enjeux politiques différenciés

Il peut paraître plus surprenant de retrouver des pays tels que la Namibie ou la Mauritanie dans ce flop 5, étant donné la situation intérieure relativement stable de ces pays, où le nombre d’utilisateurs d’Internet (et de Facebook) y est également plus important que dans d'autres Etats africains. La «cyberabsence» remarquable des chefs d'Etat namibien et mauritanien témoignerait donc d’un manque de volonté de certains hommes politiques de s’investir sur la Toile, peut-être parce qu'ils n'y voient pas leur intérêt.

En Namibie, la situation est relativement bonne en ce qui concerne le respect des libertés et des médias. Le président véhicule une image plutôt positive à travers le pays. Ainsi, sa popularité «dans la vraie vie» pourrait expliquer le fait qu’il ne ressente pas le besoin d’utiliser le levier des réseaux sociaux pour rassembler son électorat.

Les arguments relatifs à la Mauritanie sont du même acabit. Pour avoir eu des contacts avec le président mauritanien, Lucie Morillon estime que sa faible présence sur les réseaux sociaux relèverait plus d’une stratégie politique basée sur une indifférence à Internet et ses réseaux —bien qu’il se dit «conscient» des critiques qui peuvent circuler sur son compte.

Finalement, les résultats du top 5 et du flop 5 révèlent que la présence ou non d’un homme politique sur les réseaux sociaux est le signe d’une stratégie de communication politique. Il est intéressant de noter également que dans des situations d’urgence (échéances électorales, conflits majeurs…) certains chefs d'Etat vont se montrer très actifs sur les réseaux sociaux (Goodluck Jonathan au Nigeria, Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire), alors que dans les pays où des conflits s’inscrivent dans la durée, le contrôle des médias et l’absence des réseaux sociaux dénotent des enjeux différents de la simple conjoncture politique.

Anaïs Toro-Engel et Agnès Ratsimiala


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Agnès Ratsimiala et Anaïs Toro-Engel

Journalistes à Slateafrique.com.

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