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Abdoulaye «Shakespeare» Wade
Pour comprendre Abdoulaye Wade, relisez l’œuvre de William Shakespeare. Coups de théâtre, luttes de pouvoir, trahison et machiavélisme à la louche. Texte et dessin inédit du dessinateur burkinabè Damien Glez.
Abdoulaye Wade maîtrise la langue de Shakespeare. Le vocabulaire anglais peut-être; la syntaxe sans doute; mais surtout le sens de la dramaturgie. À bien relire les épisodes de sa présidence, les effets de manche de l’avocat octogénaire semblent directement inspirés de l’œuvre de l’écrivain britannique.
Il est vrai que les intrigues de l’auteur du XVIe siècle semblaient plus africaines que nature. On se souvient, d’ailleurs, d’interprétations d’Hamlet par des comédiens ouest-africains, y compris dans les théâtres nationaux scandinaves. Transposées dans la chefferie africaine, les manigances politiques shakespeariennes n’ont jamais été anachroniques. Surtout pas dans la trajectoire d’Abdoulaye Wade.
La preuve, par le menu, avec des œuvres que l’on pourrait croire directement adaptées au pays de la teranga…
Othello: Abdoulaye Wade n’a-t-il pas un air de famille avec ce général «noir» empêtré dans les intrigues enivrantes du pouvoir? N’a-t-il pas tenté de briser la carrière d’Idrissa Seck comme Othello évinça Cassio?
La tempête: la pièce s’ouvre sur le naufrage d’un navire, comme l’ère Wade s’est ouverte sur le naufrage du Joola…
Hamlet, prince de Danemark, semble devenu Karim, prince du Sénégal. Cette pièce fut la plus adaptée de Shakespeare, mais aussi la plus critiquée, y compris sur les plans historiques et psychanalytiques. Hamlet était harcelé par le spectre de son roi de père.
C’est un paternel bien vivant —mais tout aussi régnant— qui tente d’attirer vers les arcanes du pouvoir un prince Karim manifestement torturé. À l’instar d’Hamlet, le prince du Sénégal ne se dit-il pas qu’«il y a quelque chose de pourri au royaume»?
Jules César relate les relations complexes entre l’empereur tout puissant et son fils, qui finira par le conduire à sa perte.
Richard III: après Abdoulaye Ier (2000) et Abdoulaye II (2007), l’Abdoulaye III «non rétroactif» de 2012 ne s’annonce-t-il pas aussi rusé et cynique que l’ancien roi d’Angleterre mis en scène par Shakespeare? Sous le prisme sénégalais, les répliques du personnage de la pièce pourraient sembler prémonitoires:
«J'ai vu plus de quatre-vingts ans de douleurs, et chaque heure de joie s'est toujours brisée sur une semaine d'angoisse.»
Richard III a dû connaître, lui aussi, une semaine du 23 juin. Maître Wade tiendra-t-il à infliger cinq actes à son public?
Le Roi Lear est-il devenu Le roi délire? Shakespeare, déjà, mettait en scène une figure patriarcale que l’opinion erronée sur ses enfants conduisait à sa perte, et à la leur. Il échoua dans son projet de ne se retirer du pouvoir qu’après avoir transmis son royaume à sa progéniture. Abdoulaye Wade, lui, se défend de toute tentation dynastique…
Coriolan présentait des émeutes de la faim qui ressemblent à s’y méprendre aux manifestations sénégalaises contre les délestages. Représentant de la famille patricienne, le susceptible Caius Martius ne comprend pas pourquoi il est mis à l’index par la plèbe… comme Karim Wade. À l’acte III, Caius obtiendra le soutien du sénat. Troublant: Abdoulaye Wade a voulu rétablir, en 2006, cette deuxième chambre, qu’il avait lui-même dissoute en 2001…
Beaucoup de bruit pour rien: c’est ce que tous les observateurs se sont exclamés après la vraie-fausse extradition de l’ancien dictateur Hissène Habré. Adaptée à la sauce tieboudjen, la comédie devient une tragicomédie…
La mégère apprivoisée s'ouvre sur l’illusion d’une nouvelle vie pavée de richesses, de palais et de serviteurs. L’ancien opposant sénégalais trouvera-t-il la sagesse de s’en détacher?
Après sa déclaration de candidature qui semblait être son Songe d’une nuit d’été, Abdoulaye Wade arrivera-t-il à écrire, comme William Shakespeare, une comédie qui s’appellera Tout est bien qui finit bien? Roméo-Abdoulaye coulera-t-il des jours heureux à la présidence avec Juliette-Viviane? Peut-être ouvrira-t-il les yeux et écrira-t-il sa Comédie des erreurs…
On sait si peu de choses sur Shakespeare que certains lui ont même dénié la paternité de son œuvre. Bien avant les intrigues du berceau de la négritude, l’auteur aurait eu… un nègre. Certains osent même affirmer qu’il n’aurait jamais existé. Pourtant, tout le monde se souvient de lui. Si son disciple Abdoulaye Wade existe bien, se souviendra-t-on de lui?
Damien Glez
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