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Le Repenti: Quand l'Etat algérien décrétait l'amnésie collective
Avec son nouveau film Le Repenti, Merzak Allouache aborde un sujet sensible: les années qui ont suivi la décennie noire.
Son visage d’enfant n’apparaît jamais. On ose à peine prononcer son prénom. Et pourtant c’est à cette petite fille absente que revient le premier rôle du nouveau film de Merzak Allouache, le Repenti. Tout le film se construit autour de son enlèvement dont on apprend les circonstances par petites touches. Décennie quatre vingt-dix. Des milliers d’enlèvements. Terreur islamiste. Et au milieu du tableau aux paysages rocailleux et verdoyants, le drame familial: Djamila (Adila Bendimerad) et Lakhdar (Khaled Benaissa) perdent en silence leur fille, enlevée puis tuée. A cette époque, très peu de personnes osaient condamner les massacres et s’opposer ouvertement au régime de la terreur. Lakhdar n’a pas eu le courage de sortir son revolver. Pis, Djamila l’accuse d’avoir été complice des ravisseurs de sa fille en acceptant de leur fournir des médicaments. Lui, reproche à sa femme d’avoir fui pour oublier.
Mais très vite, le passé les rattrape. Rachid, un ancien islamiste maquisard, regagne son village et leur propose de les conduire à l’endroit où a été enterrée leur fille. Avec le Repenti, Merzak Allouache parcourt une page de l’histoire algérienne que les Algériens n’ont jamais vraiment digérée. Quand l’Etat promulgue la loi de la concorde civile en 2000, il exhorte pourtant les Algériens à oublier les crimes commis pendant des années et à accepter le retour des anciens islamistes dans la société. La loi garantissait à tout repenti une quasi amnistie.
«Un jour, je lis dans le journal une histoire qui raconte la terrible histoire d’un homme contacté par un repenti qui lui proposait un horrible marché. Avec le temps et au fil de mes lectures, j’ai eu envie de faire un film sur cette période», raconte Merzak Allouache.
Mais l’étincelle eut certainement lieu en 2011. Tunis et le Caire venaient de se soulever contre des régimes qui régnaient en maître depuis des décennies. Et les Algériens leur emboîtaient le pas, sans grand succès. Pourquoi cette inertie algérienne? Quand ses compatriotes se targuent d’avoir déjà fait leur révolution en 1988, Merzak y voit avant tout un «discours de repli».
Quand Merzak Allouache décide de tourner le Repenti, il sait aussi qu’il touche à une énigme, à des évènements qui ne sont pas encore enseignés aux jeunes Algériens. Un sujet tabou que les autorités algériennes n’aiment pas voir ressurgir dans les mémoires. Adila acquiesce. Cette jeune actrice algérienne sent toutefois que le sujet intéresse les jeunes cinéastes. On lui propose davantage de scénarios abordant cette période sombre et violente. Mais cette nouvelle génération de réalisateurs doit être consciente d’une chose: elle ne recevra aucune aide de l’Etat qui alloue principalement ses budgets aux films chantant la gloire des moudjahidins.
«Le temps a fait que cette décennie a ressurgi. Je ne sais pas pourquoi. Il y a un moment où l’on arrive à articuler les traumatismes et les douleurs», explique Adila Bendimerad.
Une amnésie décrétée
Par sa mise en scène, le long métrage aborde cette souffrance étouffée par l’amnésie collective qui a suivi les années 1990. Le film avance par énigmes, ellipses et silences. Lorsque Djamila fait sa première apparition, personne ne sait qui elle est. Les émotions sont au placard. Comme des livres d’un autre temps dont on voudrait oublier l’existence.
Pour Adila, ce silence reflète le mode de fonctionnement de nombreuses familles algériennes où le secret est d’or. Il faut attendre que Djamila, Rachid, et Lakhdar soient dans la même voiture pour que le silence se brise enfin par des cris et des larmes. Djamila veut savoir ce qui est arrivé à sa fille. Elle supplie Rachid, du fond de la banquette arrière: «Raconte-moi». Mais, finalement, c’est plus fort qu’elle. Elle ne peut pas dialoguer avec lui. La concorde civile voudrait qu’elle le considère comme un «frère», lavé de toutes ses actions au maquis. Impossible.
Une loi ne panse pas les plaies d’une mère anéantie par l’enlèvement de sa fille. «Ce qui a suivi cette décennie noire et la concorde civile, c’est l’amnésie, rappelle Merzak Allouache. Une amnésie décrétée. On nous interdisait d’aborder ce sujet. Une concorde civile sans justice, sans vérité. Sauf que cette concorde civile s’est faîte dans le silence.»
Violence collective
Autre réaction treize ans plus tard quand des Algériens réclament sur la place publique de Constantine la peine de mort pour les auteurs d’enlèvements d’enfants. 17 mars 2013, Constantine: une foule appelle à l’exécution des deux Algériens accusés d’avoir enlevé puis tué sauvagement Haroun et Ibrahim.
Les Algériens auraient-ils peur que ce qu’ils ont vécu dans les années 1990 se reproduisent à nouveau? Car même si les grands actes de violence ont pris fin en 1999, des résidus de violences subsistent à travers le pays. A plus d’un titre, le film de Merzak Allouache dit cette violence. La dernière scène en est le point culminant. «Les Algériens sont violents, surenchérit le réalisateur. Toute revendication est mise en avant par un acte de violence. On brûle, on saccage, on coupe des routes, on casse. Les partis politiques, les Algériens se demandent à quoi ils servent. Et la société civile peine à exister.»
Le film de Merzak Allouache nous rappelle au combien une guerre civile marque un pays dans sa chair. Le législateur ne peut rien y faire. Les rancœurs enterrées n’attendent que d’être exhumées. En décrétant une amnésie au rouleau compresseur, les responsables algériens n’ont finalement que repoussé de quelques années la violence et la volonté des Algériens de voir juger les responsables d’hier.
Nadéra Bouazza