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Quel avenir pour le journalisme tunisien?
Tandis que, tous médias confondus, la presse indépendante fait ses premiers pas, le journalisme tunisien avance encore à tâtons: il cherche ses marques dans ce nouveau modèle de libre expression.
On s’en doute, l’ensemble du paysage médiatique tunisien doit être désormais redessiné. Cela nécessitera certainement du temps, et les Tunisiens ne peuvent se contenter de nouvelles nominations à la tête des médias nationaux. Car on ne sort pas aisément de 23 années de censure et d’autocensure, pas plus que l’on accède en quelques semaines à un journalisme indépendant et de qualité.
Alors que l'Instance supérieure pour la protection des objectifs de la révolution (Ispor) poursuit ses travaux et débat autour du projet du décret-loi relatif à l'élection d'une Assemblée nationale constituante prévue le 24 juillet 2011, des intervenants ont fait part de leur refus de faire appel aux médias étrangers pour couvrir les campagnes électorales. Refus aisément compréhensible, si ce n’est qu’il ne résout en aucune manière les problèmes auxquels sont confrontés aujourd’hui les médias tunisiens.
C’est dans le sens d’une réappropriation du champ médiatique que Radio Kalima, créée en 2008 par Omar Mestiri et très vite contrainte à la clandestinité car victime de la persécution de l'ancien régime, a présenté au gouvernement de transition une demande officielle d'attribution de fréquence qui lui a été refusée lundi 4 avril 2001. La rédaction de Radio Kalima a dénoncé le maintien de «son exclusion» de la bande FM et qualifie l'argumentation avancée par le gouvernement de «refus maquillé» et de «tergiversation du gouvernement provisoire» à reconnaître le droit de la station.
La renaissance trouble des médias tunisiens
Du côté des médias internet et presse écrite, la pratique d’un journalisme rigoureux n’est pas encore totalement d’actualité avec la diffusion d’informations parfois erronées ou partielles.
A titre d’exemple, les artistes qui ont participé au projet Artocratie ont été amenés à diffuser un démenti car plusieurs médias avaient sous-entendu à la faveur du communiqué de Abdelhafidh Smaâli, président de l’association du développement économique, social et culturel de la ville du Kram, que les photographies avaient été arrachées pour des motifs religieux. Il aurait fallu vérifier la validité de ce témoignage en prenant le temps de contacter d’autres témoins et, avant tout les artistes eux-mêmes, quitte à conclure à des versions contradictoires des faits.
Du côté des télévisions, la Tunisie compte trois chaînes. La télévision nationale tarde à trouver ses marques et le ton qui siéent au service public. Hannibal TV offre pour le moment peu d’émissions de qualité. Reste la sulfureuse et «berlusconienne» Nessma TV (Mediaset, filiale de la holding Fininvest de Silvio Berlusconi, et Quinta Communications sont entrés en 2008 au capital de la chaîne tunisienne) qui ne cesse de susciter polémiques sur polémiques. Les vidéos qui ont circulé sur les réseaux sociaux montrant le directeur de Nessma TV, Nabil Karoui, vantant les réalisations de Ben Ali, ne relevaient pas véritablement d’une chasse aux sorcières, mais sonnaient comme un rappel à davantage de retenue en direction de dirigeants de la chaîne qui ont eu tendance à se présenter comme l’avant-garde de la révolution.
Mais c’est surtout la nomination de Moez Sinaoui, directeur de la communication de la chaîne, au poste d’attaché de presse du Premier ministère actuel, qui suscite la méfiance, vis-à-vis d’une chaîne que l'on soupçonne d'intriguer, sans toujours veiller à un journalisme de qualité.
Sur le modèle journalistique américain
Les Tunisiens restent donc pour le moment méfiants et circonspects vis-à-vis de leurs médias, mais pleins d’espoir de voir émerger dans les prochaines semaines et les prochains mois des revues et des magazines capables d’offrir des analyses de qualité. Quelque 25 récépissés ont été délivrés, depuis le 14 janvier 2001, par le ministère de l'Intérieur pour la création de journaux quotidiens, d'hebdomadaires et bimensuels, de mensuels et trimestriels. Faudra-t-il pour autant que les médias et la presse soient régis par un code qui les rappellerait à leurs droits et devoirs?
Certaines voix s’élèvent contre l’idée de l’élaboration d’un tel texte. Sofiane Chourabi, jeune journaliste indépendant, fondateur depuis le mois de février de Conscience Po, association d’éveil politique, et membre de l’Instance supérieure dirigée par Y. Ben Achour, avance en effet que tout texte de loi court le risque d’être détourné de son objectif initial, le régime de Ben Ali ayant réussi ce tour de force de ne jamais sombrer dans l’illégalisme en pervertissant à travers l’action d’un Parlement inféodé à sa cause, l’ensemble des textes de lois jusqu’à la Constitution elle-même.
C’est donc vers un modèle à l’américaine que souhaitent se diriger certains, la liberté de la presse étant assurée aux Etats-Unis par l’unique Constitution. Le débat reste ouvert, mais quoi qu’il en soit, c’est bien les pratiques journalistiques qu’il faudra aussi revoir en profondeur.
Meryem Belkaïd Ayari